Hessie | Survival Art

Femme, autodidacte, immigrée, Hessie est une des rares artistes de couleur active sur la scène française des années 1970. A partir de la fin des années 1960, celle-ci a développé une œuvre singulière, faisant de la broderie et du collage un message de survivance et de féminisme. Comme d’autres artistes de sa génération, elle se réapproprie cette pratique féminine artisanale pour en faire une écriture contemporaine du fil et de l’aiguille. La manière dont elle fait sienne une activité longtemps considérée comme archaïque et anonyme par l’histoire la rapproche pourtant des avant-gardes, notamment des développements abstraits du minimalisme, tout comme des mouvements sociaux de libération des femmes. Cette première exposition d’envergure dans un musée français depuis près de quarante ans participe à la redécouverte entamée il y a quelques années d’une artiste longtemps marginalisée par l’histoire de l’art. Son histoire résonne aussi comme celle d’une femme du XXe siècle dans un monde globalisé, y compris dans le mystère qu’elle continue d’entretenir autour des événements de sa vie. Née en 1936 dans une famille métissée des Caraïbes, Hessie quitte l’île de Cuba pour un périple, notamment américain, avant de s’installer en 1962 avec le peintre Dado, à Hérouval, en Haute Normandie à une heure de Paris, dans un moulin cédé par le collectionneur Daniel Cordier. Dans cette maison où elle vit toujours, Hessie (Carmen Lydia Djuric) s’aménage rapidement un atelier qui lui permet de se retirer comme dans une bulle de création pour tisser les trames d’un temps domestique. Dans cette "chambre à soi", selon l’expression de Virginia Woolf, elle développe une œuvre hors temps, hors case, qu’elle a poursuivie jusqu’à aujourd’hui. S’appropriant des matériaux pauvres, domestiques (papiers, vêtements, déchets, poils, poussières…), féminins (tissus, fils, boutons) ou liés à l’enfance (jouets), elle donne pourtant forme à un langage plastique rigoureux, minimal et souvent abstrait. Tout en échappant aux catégories établies, son œuvre reste puissamment contemporaine. Grâce à un large corpus d’œuvres réunissant les séries sur tissu et sur papier, les broderies et les collages, ainsi que des pièces inédites, l’exposition donne à voir les multiples facettes d’une artiste inclassable. "Survival Art, soit un art de survie, pour résister à la dissolution, à la perte, d’où une prédilection assumée pour les déchets, objets obsolètes, matériaux du quotidien, vestiges d’une vie, ou encore pour la couture, une action qui raccommode, soigne et relie. Survival Art, comme les mouvements de libération féministes dont elle est proche, ou les ateliers ou réunions de femmes solidaires et engagées auxquels elle participe. Ce terme de Survival Art prend aujourd’hui rétrospectivement une autre dimension quand on sait que la survie est inscrite au cœur même du destin de l’œuvre de l’artiste qui échappa de peu à la destruction. Visuel : Hessie, 'Boîte' (n°inv189), 1975. Photo Bétarice Hatala, (c) Galerie Arnaud Lefebvre.