Les pays dont on rêve sont souvent plus beaux que ceux que l’on découvre. Nous les forgeons à notre goût, en en dessinant le paysage et en inventant la langue. Les êtres qui les peuplent sont des abstractions qui nous permettent d’explorer notre propre âme. Les plus beaux voyages sont ceux qui peuplent notre enfance. Les sons, les odeurs, les couleurs, tout est dépaysement. Et les humains sont faits à notre image. C’est à ce voyage-là que je songe. Je m’imagine cingler, toutes voiles dehors, depuis Lille jusqu’au Cap de Bonne Espérance. La destination, à vrai dire, importe peu. Seule me motive cette espérance contenue dans le nom de cette ville d’Afrique du Sud, aux confins du continent. Ce projet invite l’audience à partir… Partir sans se poser de questions, est sans doute la forme la plus aboutie du voyage. Celle qui ne poursuit aucun but, n’entend rien conquérir ni découvrir cet ailleurs qui fascine. Enfant, chaque livre me transportait dans des univers nouveaux que je devais refaçonner à mon idée. J’inventais tout. Je me faisais une joie de ces noms que, plus tard, j’allais chercher sur une carte. Les distances n’avaient aucune importance. Il me suffisait d’ouvrir un livre et, comme par magie, j’étais téléporté dans d’autres dimensions. Adulte, j’ai plusieurs fois été tenté de monter dans un avion pour lequel je n’avais pas de réservation, ou de prendre un train qui se mettait en marche. Les noms me fascinaient : Zanzibar, Macao, Tombouctou, Cipango… Aujourd’hui encore, ces noms me renvoient à l’âge où je les découvrais et leur fascinant mystère est demeuré intact en ma mémoire. Mais les plus beaux voyages restent toujours à faire. Nous fermons les yeux et nous imaginons les entrelacs de rails, les aiguillages, le bruit sourd de la machine qui part à l’abordage, depuis une ville, Lille, qui se trouve au carrefour de l’Europe. Une ville traversée, une ville carrefour dans laquelle il n’est point besoin de s’en aller pour, déjà, être dans le dépaysement. Les lieux d’expositions sont, par excellence, des espaces d’hétérotopie. Ils ne fabriquent pas seulement d’autres réalités et d’autres temporalités, mais manipulent notre imaginaire. Alors, pourquoi pas, depuis Lille, traverser la France et une partie du Sud de l’Europe, traverser l’Afrique dans sa longueur pour parvenir au Cap de Bonne Espérance ? L’art est un plaisant mensonge, que, dans de nombreux pays du monde, on nomme « conte ». Un moment privilégié pendant lequel tout devient possible. Me revient en mémoire le vers d’une chanson d’Alain Bashung, pour clore cette exploration sensible : La nuit je mens, je prends des trains à travers la plaine. Simon Njami, Commissaire. Avec : Kwame Akoto, LeIla Alaoui, Heba Amin, El Anatsui, Joël Andrianomearisoa, Nicola lo Calzo, Mimi Cherono Ng’ok, theo eshetu, Gopal Dagnogo, Modupeola Fadugba, Meschac Gaba, Jellel Gasteli, Pélagie gbaguidi, Kendell Geers, Hassan Hajjaj, Nicholas Hlobo, Délio Jasse, Katia Kameli, Kiluanji Kia Henda, Abdoulaye Konaté, Moshekwa Langa, MICHèLE Magema, Fatima Mazmouz, Emo de Medeiros, Hassan Musa, Paul Alden Mvoutoukoulou, Mwangi hutter, Moataz Nasr , Aimé Ntakiyica, Pumé Bylex, Émilie Régnier, Andrew Tshabangu, Freddy Tsimba et Amina Zoubir.
Chargement de la page