Une collection libre d’images

110 tableaux de la collection du centre d’art perpignanais A cent mètres du centre du monde (ACMCM) sont actuellement présentés à La Marina, à Valence, en Espagne. Regroupés en trois grands thèmes (Mémoire, Fiction et Identité), ils témoignent de la passion pour la peinture contemporaine de Vicent Madramany, collectionneur et fondateur d’ACMCM, disparu en 2018. Cette exposition rend superbement hommage à son œil avisé et à son engagement résolu envers la création picturale actuelle.

Pendant que le centre d’art A cent mètres du centre du monde continue d’accueillir l’exposition de Bernard Michel, une partie de sa collection se montre à Valence (Espagne). Le fondateur catalan d’ACMCM, Vicent Madramany, fut aussi l’initiateur de cette dernière commencée il y a plus de vingt ans ou plus exactement dès sa jeunesse. A son arrivée à Perpignan, il décida de convertir un ancien bâtiment consacré au maraichage en lieu d’art, et son amour de la peinture a fait tout le reste. Ses acquisitions ont été régulières, associées à celles des mécènes dès le début, sollicités ici à l’occasion de cet hommage qui lui est rendu. Les œuvres sélectionnées rendent compte de la diversité des expositions qui ont été organisées depuis une quinzaine d’années.
Alors en quoi consistait ce reste ? A faire partager à tous cette passion, en défendant certains partis pris esthétiques, en montrant les œuvres, à avoir imaginé très tôt de les réunir en collection commune entre le centre et les mécènes. Ce qu’il a fait durant des années depuis l’ouverture du centre d’art en 2004. Son engagement pour la peinture figurative ne l’a pas empêché d’ouvrir le lieu à un certain éclectisme. Sous sa houlette, et grâce à l’investissement personnel qu’il n’a cessé de dispenser, d’autres l’ont rejoint. Des mécènes, des collectionneurs, des passionnés, des artistes mais aussi certains de ses proches, chevilles ouvrières inlassables avec qui il a partagé son insatiable passion.

Vue d’exposition Col-leccio Col-lectiva. ©A cent mètres du centre du monde

C’est à ce paysage de l’art que la base marine de Valence a offert ses cimaises. Dans ce lieu immense, royal, très haut de plafond – il recevait initialement des bateaux soumis à réparation –, les salles se distribuent à l’image d’un espace muséal, clair, vivant autrement le white cube. Ici, une centaine de tableaux est installée, les unes par connivence, d’autres par formats, d’autres encore par genre ou style. Car il ne faudrait pas croire malgré cet intérêt marqué pour la peinture figurative que les œuvres soient des pages d’imitation ! Loin s’en faut si l’on s’en tient aux nombreuses variables de traitements appliquées aux différents genres : portraits, paysage, scènes de genre… Sont présentes autant d’œuvres abstraites ou non figuratives que sont nombreux les personnages d’Artur Heras et de Jean Le Gac, farouches amis de Vicent Madramany.
On y côtoie aussi avec une rare justesse les mystérieux personnages de Chema Lopez, les motifs de Claude Viallat, les ellipses colorées de Dominique Gauthier. Chaque salle surprend par la diversité et la cohérence de l’installation. Il peut y avoir ainsi, dans la même perspective d’un regard panoramique, un premier plan avec les œuvres puissantes de Vincent Corpet, entre chien et diables, totem et loup et juste derrière, c’est-à-dire dans la salle suivante visible depuis ce point de vue, des œuvres laquées de Till Arbus ! Les entrechocs esthétiques sont jouissifs et ne relèvent pas de la simple diversité mais d’une intelligence voulue entre couleurs, figures et formats.
Dans une salle plus intime, on découvre les corps troubles de Pat Andrea ou la géométrie architecturale de Tania Blanco baignant dans une dominante bleutée où l’homogénéité naît d’une complicité silencieuse entre les formes. Il faut imaginer un arrangement des toiles, discret et solide, à l’identique d’une nature morte, disposition réfléchie et subtile pour que les objets tiennent ensemble. De même, on relève plus loin dans un esprit de détails mais aussi de monumentalité contenue, les œuvres d’Ernesto Casiero, par exemple, qui font basculer notre échelle visuelle entre les motifs que l’on croit marins et la surface entièrement noire d’où ils émergent. Telle une planche d’études de laboratoire, cette œuvre fait peinture avec sobriété. Dans ce rapport au blanc et noir, un mur très réussi où Tony Bevan et Claudia Busching, dialoguent de lignes à aplats, amorces de ce qui aurait pu être une salle consacrée au N&B faisant référence à des plages d’histoire minimaliste, d’abstraction géométrique, d’art cinétique, etc. Au lieu de cela, les œuvres en noir et blanc ponctuent l’accrochage tout entier, apportant des respirations à certaines œuvres très fortes en couleurs, ou en gros plan, même lorsque la dimension organique et quasi inquiétante de pièces comme celles de Vrankic interroge la souffrance ou la menace corporelle.
On pourrait ainsi continuer à décrire la réussite de cette accrochage a priori complexe qui offre au bout du compte la possibilité d’un regard clair, tranquille sur l’ensemble des œuvres aux diversités si singulières. Mais l’aspect important qui ressort de cette exposition est celui des différentes sources esthétiques et plastiques, voire anthropologiques, faisant bon ménage sans qu’un mouvement ou une influence prévale sur l’entourage. Les œuvres permettent un aperçu de ce que les artistes retiennent de prédécesseurs, de styles, d’engagement conformément rassemblées au sein d’une collection.

Vue d’exposition Col-leccio Col-lectiva. ©A cent mètres du centre du monde

En feuilletant le très beau catalogue, divisé en plusieurs sections, la mémoire, la fiction et l’identité, arrivent des réponses. La fiction absorbe ainsi dans son thème deux œuvres d’Adami mais le terme de fiction, à aborder selon la narration pour Pancréac’h ou Boix, est également adopté pour…Viallat qu’on verrait peut-être mieux dans une section consacrée à la forme, fiction spatiale (Blanco), etc. Enfin, la section consacrée à l’identité est attribuée à des peintres presque tous nés après les années 1950, qui sans être assimilée à une « jeune peinture » s’exprime par des métissages techniques, thématiques ou de support. Artur Heras traverse ces sections, ses œuvres répondant à de nombreuses problématiques. On retrouve ainsi des constantes : la présence totale ou partielle d’un personnage anonyme, il en présente le portrait, la silhouette ou le profil, par des représentations de trames ou de fonds faits de lettres accumulées, il assure la continuité de son sujet qui devient donc parfois fictionnel, identitaire ou mémoriel.
Cet aperçu fut largement détaillé dès le jour du vernissage, au cours d’une conférence de presse, où on pouvait reconnaître les deux commissaires Artur Heras et Josep Salvador (également commissaire à l’IVAM pour l’exposition actuelle de Josep Renau, aux côtés de Joan Ramón Escrivá), le directeur général de La Marina, Vicent Llorens, et son directeur adjoint Evarist Caselles ainsi que le président d’ACMCM, Salvador Pavia. Humour de la situation, un personnage en silhouette, fortuit et discret d’Artur Heras s’était invité et leur tournait le dos, comme on le tourne à toutes les conventions !
Non conventionnel toutefois est ce lieu qui présentait des abords d’accrochage compliqués immédiatement dépassés. Pour en terminer par l’entrée qui accueille les visiteurs, une série de portraits réalisés par plusieurs artistes domine la salle et annonce tout de suite l’audace des sujets et des styles qui les entourent. Bien que signées par plusieurs, ces peintures de visages font corps et appartiennent à une même scène, offensive, talentueuse. Enfin, si l’on voulait « Tout savoir » comme l’écrit Ben sur un tableau noir trônant dans entre deux salles, il ne sera pas vain de tout voir !

Vue d’exposition Col-leccio Col-lectiva. ©A cent mètres du centre du monde

Contact> Col-leccio Col-lectiva, jusqu’au 9 janvier à La Marina de Valencia, Espagne. Notons que cette exposition sera ensuite montrée à ACMCM à Perpignan.

Crédits photographiques> ©A cent mètres du centre du monde.

 

Print Friendly, PDF & Email