Petites Trans-gressions entre la carotte et le bâton

Après So Women, So Beast & Nasty, So Hot & Lovely, So Solo, So Book… l’exposition annuelle de la Trans Galerie, à Paris, satellite du salon SoBD qui n’aura pas lieu cet hiver, fait acte de résistance :  entre la carotte et le bâton :  « So Ecolo ou pas » est une bulle d’air !

Depuis 9 ans, l’artiste Corine Borgnet qui se défend d’endosser dans cette exposition le rôle de commissaire réunit par cooptation d’autres plasticiens autour de l’idée de Trans Galerie, une galerie transfrontière et sans domicile fixe, issue d’une complicité avec Renaud Chavanne auteur et théoricien de la bande dessinée et fondateur du salon SoBD. L’initiative conjointe a pour but de présenter les œuvres d’artistes plasticiens lors de l’événement qui se tient généralement dans le Marais à Paris en décembre, afin d’instaurer des réciprocités avec ce le 9art.

©Lionel Sabatté, Poussière volatile, du 02/01/2020,16 x 20 x 9 cm. Poussières sur structure métallique

Repoussé en février puis finalement reporté en 2021, le grand raout du SoBD n’aura pas lieu cette année sous la Halle des Blanc Manteaux. En revanche, le virus de la Covid-19 n’a pas totalement tué dans l’œuf les efforts de la Trans Galerie dont la programmation satellite réunit une vingtaine de plasticiens [1] depuis le 16 janvier, jusqu’au 30, à la Galerie F, 4 rue des Guillemites, à Paris. L’exposition collective en cours sera suivie pendant une semaine, d’un « duo-show » de Rodolphe Baudouin et David Supper Magnou, dans l’espace adjacent et sous le regard averti de la commissaire et critique d’art Isabelle de Maison Rouge. Et l’on peut d’ores et déjà découvrir les cabanes réalisées à partir de matériaux pauvres de Baudouin, plasticien sculpteur qui pour So Ecolo côtoient un exemplaire du bestiaire de Lionel Sabatté, engagé depuis quelques années déjà dans un processus de récolte de matières qui portent en elles la trace d’un temps vécu : poussière, cendre, charbon, peaux mortes, souches d’arbres – et avec lesquelles Sabatté « dessine », ou plutôt concocte des êtres hybrides, porteurs d’une réflexion sur notre place dans l’environnement …  Au sein d’une Nature à l’image encore vierge, le photographe Jérôme Combe extrait des mises-en-lumière d’une flagrante beauté – ici par la réfraction des éléments qui la composent, cadrés au sol comme s’il s’agissait de l’abstraction fragile et réversible d’une émulsion organique.

©Jérôme Combe, Murmur *1, édition 1/3, 2020. Impression FineArt sur papier coton contrecollée sur aluminium avec châssis rentrant 110 x 165 cm.

« L’exposition collective So Ecolo ou pas se voulait être l’objet d’une réflexion profonde des artistes face à la crise climatique : qu’en est-il du choix des matériaux qu’ils utilisent et de leur posture face à ce combat pour la planète devenu essentiel »,nous éclaire Corine Borgnet qui présente un ouvrage de laine à la couleur jaune post-it, – ironique résurgence d’une série Office art initiée aux Etats-Unis, où se tricote le mot « urgent ». On rit jaune quand dans l’espace de la galerie son sablier, Patience, premier opus de la nouvelle série  Time matters, troué come une vieille dentelle, et réalisé à partir d’os de volaille minuscules patiemment extrait des reliefs d’un repas, entre en résonance avec notre condition humaine contradictoire et contrariée.

©Ghyslain Bertholon, Troché de face, Lapin, 2020 (Série débutée en 2004) Taxidermie et bois laqué.

Et l’on se repaît de « L’entre deux mondes » de Jessy Deshais, dont les univers aussi chatoyants que factices empruntés au numérique semblent surgir des entrailles des livres qu’elle découpe, comme les restes des espèces vivantes que nous avons englouties avec délice. Et l’on se renforce aussi, de l’énergie vitale d’Ana Bloom et de son « BREATH Project » photographique, La route des SOUFFLES…

©Ana Bloom La route des SOUFFLES, BREATH Project, Leila,Goa, India, 2017. Technique photographique mixte. Tirage 100 x100cm argentique lambda, papier métallique Kodak Contrecollé sur plaque aluminium.

Finalement faire exposition, provoquer la rencontre, créer un point de fusion ou de frottement prend la posture d’un acte de résistance : aussi modeste soit-il, il s’apparente à un désir existentiel animé par l’instinct de survie au milieu d’une crise économico-sanitaire qui nous suspend aux injonctions plus ou moins cohérentes de ceux qui nous gouvernent !

©Léa Le Bricomte, Cosmogram, 2020 (exemplaire 2/5), tirage photo 60 x 80 cm sur papier contrecollé sur Dibond.

Sont présentés à la Trans Galerie, comme autant de pieds de nez, là la gloire des prédateurs, les trophées de chasse inversés ou plutôt les Trochés de facede Ghyslain Bertholon, et les subtiles mises en scène de Matthieu Boucherit – à partir de ces gestes qui règlent la musique,  dans leur fragile moment de bascule, entre l’autorité et l’autoritarisme, tandis que les détournements par balles d’imposantes et martiales architectures miniatures, les spirits housede Léa Le Bricomte, nous renvoient à l’esthétique guerrière et à la fascination du pouvoir qu’elle accompagne.

©Matthieu Boucherit, Right(s) Left (2019) – Gelatino bromure d’argent sur verre anti UV 99%, cadres en metal, 52x42cm chaque.

Or c’est cette idée même d’une définition gratifiante du pouvoir qu’inverse ici une sculpture « vivante » corail artefact de Jérémy Gobé, qui parti à la rencontre d’ouvriers sans ouvrages et de matières sans ouvriers… d’objets sans usage et d’ouvrages non façonnés, s’est arrêté en 2017 sur un projet « art-science-industrie » susceptible de participer à la reconstruction des barrières de corail…

©Bryan Crockett, Relic 4, 2016, 20 x 18 x 15 cm, résine chargée a la poussière de marbre, moisissure et projection de feutrine.

Pendant ce temps-là, le cœur déliquescent – par trop d’espoir ou de résilience ? –, Heart “Relic # 4”de l’artiste californien Bryan Crockett – amusé de voir sa sculpture hallucinée, bloquée aux douanes françaises pendant plusieurs jours comme s’il s’agissait d’une transfuge –  a fini par rejoindre « ses pairs » à la galerie éphémère où bien d’autres œuvres, explorant notamment les ressources du dessin hyperréaliste ou déconstruit, les notions d’échelle ou de virtualité, sont à découvrir !

©Freddy Pannecocke, Homme termitière 2020- Crayon sur papier 49 x 32 cm.
©Marie Havel, Jumanji #13, 2017 – Graphite sur papier, 30 x 40 cm, sous verre.

 

 

 

©Corine Borgnet, URGENT, 2010 série « Office Art ». Tricot 60 x 60 cm réalisé à partir d’un Post-it collecté dans un bureau.

[1] Les artistes invités : Rodolphe Baudouin, Ghyslain Bertholon, Ana Bloom, Matthieu Boucherit, Corine Borgnet, Léa Le Bricomte, Jérôme Combe, Bryan Crockett, Nicolas Delprat, Jessy Deshais, Yann Derlin, Harold Guérin, Jérémy Gobé, Marie Havel, Rachel Labastie,
 Freddy Pannecocke, Lionel Sabatté, Maryline Terrier, Nicolas Tourte,Nicolas Rubinstein, Samuel Yal.

SO Ecolo ou pas Trans galerie : du 16 au 30 janvier 2021 Galerie Cécilia F. 4 rue des Guillemites, Paris 75004. Du Jeudi et vendredi 14h à 17h30 – samedi et dimanche de 11h à 17h30. Autres jours et autres horaires sur RDV.Contact :  CorineBorgnet@gmail.com – 06 14 67 84 49

Crédits photos : Image d’ouverture : ©Jessy Deshais, Dans les chutes 5 / l’entre deux mondes » sous cadre chêne 103 X 73 cm / Collage et dessin sur papier, ©Lionel Sabatté, Poussière volatile, ©Jérôme Combe, Murmur *1, ©Ghyslain Bertholon,Troché de face, Lapin, ©Ana Bloom, La route des SOUFFLES, BREATH Project, Leila,Goa, ©Léa Le Bricomte, Cosmogram, ©Matthieu Boucherit Right(s) Left (2019,©Bryan Crockett, Relic 4©Freddy Pannecocke, Homme termitière, ©Marie Havel, Jumanji #13, ©Corine Borgnet, URGENT, série « Office Art ».