Depuis 2015, OVNI qui tient pour « Objectif Vidéo Nice » fédère les structures culturelles de la ville et ses hôtels dans un festival porté par l’engagement contemporain d’une génération d’artistes rompue à l’art vidéo. Cette année encore, du 18 novembre au 4 décembre, de l’hôtel Windsor aux anciens abattoirs où réside La station 109, du musée Matisse à l’hôtel Malmaison, du West End « palace » aux étages transformés par la folle créativité des talents réunis sous le label « Sud Emergence », aux galeries du centre-ville, l’art vidéo se déploie avec autant de formats et d’ingénieuses scénographies qu’offre la chambre pour se pencher sur le thème de la folie ! Plus d’une centaine d’œuvres, confrontant la génération émergente aux signatures confirmées du médium, sont à découvrir sous le signe d’OVNi Folies, dont la fureur de vivre se concentre dans les hôtels du 2 au 4 décembre 2022.
Ainsi par le prisme de l’intime ou de la furie politique, près d’une vingtaine de lieux partenaires se sont ralliés à la bannière d’Odile Redolfi, l’inspirée fondatrice du festival qui s’est entourée cette année, de deux commissaires invitées, Isabelle de Maison Rouge et Annie Aguettaz, et de la directrice artistique Nathalie Amae initiatrice du projet l’Antichambre (Altavolta agency) à Paris en 2019. Les folies d’OVNi s’entendent au pluriel : « La programmation renvoie autant à l’extravagance de la gaîté collective qu’à la furie du monde, explicite Nathalie Amae : « Folies » s’entend aussi par maisons de villégiature ou de réception construites à partir du XIVe siècle par l’aristocratie ou la bourgeoisie aisée en périphérie des villes où étaient invités des proches ou connaissances en toute intimité, voire en secret. » Le concept, plus démocratique et convivial est ici renouvelé et développé par les artistes contemporains, dont certains sont encore étudiants. « Les artistes prenant part à OVNi traversent les intensités et les états du Monde, aux horizons complexes et parfois aveugles. Ces états que l’on retrouve à travers la programmation 2022, font “images” et sont intrinsèquement spectaculaires et argumentaires. »
Le cours de l’histoire et la folie de la guerre seront au cœur de cette édition avec l’artiste et vidéaste ukrainienne, Oksana Chepelykn, invitée d’honneur de cette 8e édition. Investie depuis 1994 dans le champ du cinéma expérimental, Oksana Chepelyknn et ses topiques questionnent le corps, le féminisme, ainsi que les nouvelles technologies. L’artiste était accueillie en résidence au Frac en avril 2022 avec le soutien de la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur et bénéficie actuellement d’une résidence à l’IMéRA, l’Institut d’études avancées à Marseille.
Tandis que le Musée national Marc Chagall expose une série vidéographique de Portraits de réfugiés ukrainiens par Olivier Roller, cinq artistes ukrainiens sont invités à l’hôtel Victoria avec la participation du Centre culturel de l’Ambassade d’Ukraine. « Le “Saint Sebastian” du vidéaste Mykhaylo Barabash, défendu par Le Centre culturel incarne par exemple, le tiraillement entre délire et espoir, souligne la directrice artistique Nathalie Amae, qui nous donne ici quelques marqueurs au sujet des films présentés par les institutions partenaires, à l’hôtel Windsor, QG de la manifestation […] La notion de folie s’infiltre dans chaque recoin, et parfois, seuls les artefacts d’une réalité présumée permettent de se raccrocher in extremis pour éviter de sombrer. C’est là, le regard apposé de Monica Hirano ainsi que celui de Roman Carré représentés par Laboratorio Arts Contemporains d’Haïti (dont l’artiste invité, Maksaens Denis remportait le grand prix OVNi CHE-Windsor l’année dernière pour l’installation Mes rêves). Seul ou influencé par le collectif, l’Homme affronte la folie des humains face au monde naturel dans ses dimensions multiples, reprend Nathalie Amae, c’est ce qu’il ressort du film de Renata Haar et du vidéaste Isagus Toche, conseillé par Isabelle Pellegrini-Circa, […] L’énoncé d’OVNi – édition 2022 est un imaginaire des possibles folies, comme lieux et comme idées, résume Nathalie Amae. OVNi Folies ! arbore ce terme empreint de déplacements et d’ambiguïtés pour développer une multitude d’interprétations artistiques avec l’ambition un peu folle d’amener le festivalier à comprendre l’incompréhensible. »
La chambre pour white cube
Faut-il donc avoir un petit grain de folie en soi, pour réveiller avant l’hiver, la belle niçoise alanguie, avec un tel sujet tabou ! Ayant baignée dans le milieu de l’art – avant de prendre la direction du Windsor Odile Redolfi n’en est jamais sortie, et fait perdurer à Nice, un esprit de corps autant qu’une forme de générosité hospitalière festive, dans le sillage peut-être, des nouveaux réalistes. Le festival OVNi porté par l’association du même nom, mérite bien son acronyme, même si l’idée de convier l’art vidéo à l’hôtel, n’est ni totalement nouvelle, ni ne garantit l’exclusivité du festival : le salon Loop inauguré en 2003 vient de clôturer le 17 novembre à Barcelone l’édition#22, tandis qu’Around vidéo (cf article) a lancé du 30 septembre au dimanche 2 octobre à Lille, sa première mouture, ouverte au public, dans la convivialité d’une ancienne faculté de médecine réhabilitée en hôtel cosy pour start-up-peurs, le Moxy Lille City, privatisé pour une trentaine de galeristes et collectionneurs réunis, le temps d’un week-end à Lille, près de la Belgique. Odile Redolfi, et Haily Grenet (directrice d’Around vidéo Art Fair, fondé par les collectionneurs Renato et Catherine Casciani) ont déjà fait équipe ensemble à Nice, mais ce qui enchante d’avantage l’inspiratrice d’OVNi c’est la dimension « festival » plus que l’orientation « marché »… La différence est notoire avec le salon Loop, basé dans le prestigieux hôtel Almanac près de la place de Catalogne : il s’agit de la présence des artistes ! A Nice, ce sont eux qui mettent en scène « leurs salles obscures », comme autant de vaisseaux spatiaux immersifs, pour y proposer au public une expérience totale, alors que Loop (pionnier du genre) convie désormais les galeristes à exposer sur écran, pendant trois jours, dans la pénombre des suites.
Médium apparu dans les années 1960, l’art vidéo ne représente qu’une niche du marché de l’art, bien qu’il soit de plus en plus usité par les artistes permettant l’onirisme autant que le traitement décalé d’une réalité et de questionnements très contemporains. Se rapprochant du court métrage, du documentaire ou du cinéma d’animation, c’est un « cinéma » d’auteur hors de ses circuits de diffusion qui s’inscrit dans une démarche de recherche à la fois personnelle et formelle et s’exprime par l’expérimentation – qu’il s’agisse de prises de vue réelles, de l’animation d’un dessin réalisé à main, de l’hybridation d’images générées par ordinateur ou détournées des moteurs de jeux vidéo. « Diffusée dans toutes sortes de formats, projetée, sur écran, tablette, téléphone portable ou casque de Réalité virtuelle, la création vidéo – au-delà des seules expériences immersives prisées par le public – est devenue un medium par excellence, étaye la directrice artistique d’OVNi. Il suffit pour en aviser de se reporter à la sélection du Turner Prize ou des œuvres présentées dans les foires et autres biennales. » La dimension « salon » d’OVNi – entendre « marché » – s’est créée en 2017 et dut passer par un format de projection sur les fenêtres de l’hôtel en 2020 lors du confinement. Or l’édition 2022 du festival d’automne niçois affirme clairement son positionnement en tant que « projet d’hospitalités artistiques », quand la maturité des propositions, leur dimension performative ou l’originalité de leurs formats en font un détecteur de talents incontournable pour le public, les collectionneurs et institutionnels.
Dans l’intimité trouble de la chambre
Ainsi cette année encore, cinq hôtels ouvrent leurs portes au public le temps d’un week-end : du 2 au 4 décembre sur la fenêtre de l’entrée du prestigieux hôtel Hayatt, Palais de la méditerranée, par son regard macroscopique adressé aux passants, Frédéric Nakache questionne le seuil en toute impunité entre art et folie… Quant à la programmation du Windsor, elle s’est concentrée autour du projet Cosmopolis, un corpus d’œuvres proposé par les instituts et centres culturels étrangers sous l’égide du Ficep ainsi qu’à l’exposition Les fleurs fleurissent en automne répondant à la thématique de la biennale de Nice 2022, « Fleurs ». C’est dans cet esprit que l’artiste Corine Borgnet, deuxième prix OVNi CHE-Windsor 2021 obtenu pour sa vidéo 14 secondes de rien une éternité de tout, fut invitée cette année à composer un ikebana, tandis que le Mamac consacre une exposition à la thématique « Devenir Fleur » jusqu’au 30 avril 2023.
L’hôtel Victoria nous l’avons déjà cité, accueille cinq artistes ukrainiens. Le West End face à la promenade ouvre ses étages cette année encore aux jeunes talents sélectionnés par Sud Emergence, tandis qu’à La Malmaison, deux cartes blanches ont été confiées aux curatrices Isabelle de Maison Rouge et Annie Aguettaz ; deux regards avertis pour des propositions d’artistes confirmés. « Un son très métallique, un bourdonnement d’insectes, un air de ragtime… Un ventre féminin sur lequel est peint en rouge sur blanc des cercles concentriques, une bouche rouge baiser ou rouge sang ouverte sur des dents blanches. Une femme vêtue de blanc, le visage dissimulé sous un livre, […] Des gens portant des costumes taillés dans de la toile de Jouy ouvrent et ferment des portes… »: Actions Anonymes Sa, Agnès Guillaume et la plasticienne et performeuse Isabelle Lévénez (en ouverture de l’article, tragiquement décédée le 20 septembre 2021) ont été choisies par Isabelle de Maison Rouge : « Trois formes visuelles et sonores empreintes d’absurde contribuent à entourer de mystère, d’une atmosphère diffuse pouvant inspirer l’angoisse, le malaise, la curiosité, ou l’amusement face au tourbillon fou d’un monde qui part à la dérive ». Annie Aguettaz, de son coté, a convié Adrian Paci qui invite le spectateur à plonger à ses côtés dans les méandres d’un rouge vif signifiant l’acidité d’une violence domestique tandis que l’artiste Jeanne Susplugas joue sur l’incertitude de la vision et nous offre, sous l’apparence d’une légèreté fantasmée, l’image d’une femme contemporaine aliénée par son environnement sociétal. Ali Kazma, l’artiste turque, qui de 2006 à 2015 a principalement développé et structuré son œuvre autour de deux séries, intitulées Obstructions et Résistance– des vidéos qui explorent le monde de la production industrielle, artisanale et artistique -, s’approprie ici la place du corps et de ses tourments. Voici quelques indices, forcément réducteurs, pour évoquer la profondeur d’autant d’univers intimes et troubles qui se développent dans l’espace et le temps.
OVNi online
Et s’il est bien difficile de dérouler un narratif à propos d’une intention, d’une émotion, d’un ressenti qui décide d’en faire fi, alors peut-être, est-il préférable de se connecter sur la toute nouvelle plateforme interactive OVNi online conçue par l’artiste et scénographe Lili Jeanne Benente, qui nous permet désormais de traverser les éditions précédentes ! On y retrouve notamment les extraits vidéo des primés 2021 sous la forme d’un « tuto-teaser ». La grande exposition 2021 Nature Contre-Nature, du pôle 109 dédié aux cultures contemporaines, y est particulièrement bien mise en exergue. Il s’agissait l’année dernière de « laisser voyager les sens, atteindre dans la contemplation un état hypnotique à la frontière du naturel et du surnaturel ». On peut y redécouvrir les extraits d’une forêt en animation, faussement enchanteresse par Jérémy Griffaud – véritable révélation OVNi 2021 qui concourrait cette année pour le prix de l’art numérique Opline Prize –, l’hallucinant herbier hybridé de Florian Schönerstedt concocté avec l’aide d’une IA, ou encore, l’écorchée d’ORLAN, invitée d’honneur en 2021 qui nous a régalés par son humour féministe et ses pertinentes déclarations tandis que ses femmes « hommage à Picasso » déformées, sublimées par les couleurs d’une saine colère étaient exposées à la galerie Eva Vautier. Cette année celle-ci présente, jusqu’au 14 janvier, le réjouissant travail naturaliste de Benoit Barbagli, Tout autour de l’eau, que nous avions découvert au West End en 2021 parmi les jeunes talents mis en avant par Sud Emergence. Le Narcissio propose l’œuvre de Stéphane Magnin, tandis qu’Espace à Vendre se demande jusqu’au 7 janvier si Luc Verna n’est pas un peu trop maquillé, la Galerie Laurent & Laurent et la Galerie Depardieu présentent des videos de Daniel Rothbart et Bernard Pourrière.
Retour aux abattoirs
Cette année Le Pôle 109 nous propose une expo XL art et Science conçue à partir du constat de Wittgenstein : « Le monde est tout ce qui est » [1]. La proposition qui occupe la grande Halle du 109 est présentée tel « un agencement collectif qui s’inscrit dans un rapport critique de l’humain à la Terre et au biologique. Loin d’un inventaire, les projets artistiques présentés partagent une certaine expérimentation conceptuelle de notre environnement et de sa disposition à assimiler les désordres. Ils formalisent une pensée de la nature ou la dévoration de celle-ci. Ils évoquent les vulnérabilités organiques ou inorganiques, florales, minérales, aquatiques ou aériennes. Ils traduisent également les hypothèses d’un équilibre entre les milieux, les ressources et la présence des vivants. Philosophes et scientifiques s’accordent sur cette Zone d’incertitude que nous venons de pénétrer. Ils disent les perturbations issues des interactions de la technosphère sur la biosphère. Ils content les méta systèmes nés des Nouvelles Technologies et leurs formes hybrides. Mais lorsqu’ils racontent que “90 % de la biodiversité végétale a pu opérer la plus grande conquête de l’espace terrestre” ils disent aussi du vivant sa capacité de résilience », précise la directrice artistique. Une collaboration avec les élèves du Master Management de l’Art et de la Culture de l’IAE de Nice a, en outre, été mise en place pour la médiation, tandis qu’une réflexion sur les dispositifs de monstration et de diffusion a été menée en collaboration avec les élèves en post-diplôme du Pavillon Bosio de Monaco et la designeuse Smarin pour créer un univers immersif remettant en perspective le point de vue du spectateur. Toujours au Pôle 109, d’autres entités telles Le Hublot, qui poursuit son festival annuel Artifice Numérique #05 (dans lequel est encore exposé Griffaud), tandis que Le Forum d’Architecture et d’Urbanisme propose une programmation en synergie avec OVNi Folies. A découvrir !
Fédérer un territoire
Par ailleurs, de nouveaux acteurs se sont associés à la manifestation en cours depuis le 18 novembre : la librairie Vigna, à Nice, propose notamment un focus sur l’œuvre de Maria Klonaris et Katerina Thomadaki, inspirée par les archives du Docteur Klonaris qui convoque l’intersexualité et la figure de l’hermaphrodite, « quand le corps, vecteur d’incompréhension est mis à l’épreuve de l’étude psychique ». Une chapelle et même un appartement d’artiste ont été inspirés par la thématique… ONVi sort ainsi de son territoire et s’aventure jusqu’au Musée national Fernand Léger, à Biot, qui projettera, le dimanche 4 décembre, un film de l’artiste Elizabeth Price, User Group Disco, mais aussi à l’Espace de l’art concret de Mouans-Sartoux qui présente l’exposition Chemin des pixels en collaboration avec l’historique association d’art vidéo, Light Cone. A noter qu’OVNi accompagne aussi les artistes défendus par le festival à Chassagne-Montrachet, aux ateliers Poush Manifesto à Paris-Aubervilliers et à l’international, jusqu’à Taipei et Séoul.
Deux Prix, OVNi Cosmopolis soutenu par le Centre Haute Énergie et le WindsoR ainsi que le Prix Sud Émergence soutenu par la DRAC et l’hôtel West End seront remis le samedi 3 décembre à 20h au Théâtre National de Nice, salle des Franciscains. A suivre !
[1]. « Le monde est… », Lectures du Tractatus par Blumenberg, Jean-Claude Monod, le Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein. Archives de Philosophie 79, 2016, 121.
Visuel d’ouverture> ©Isabelle Lévénez, Totem ©Courtesy H Gallery