Merci aux galeristes !

Une fois la date du 11 mai arrêtée, chacun a pu se projeter. A la radio, à la télé, les présentateurs demandaient inlassablement aux auditeurs et aux personnalités interviewées : « Que ferez-vous en premier ? » Pour nombre d’entre nous, plusieurs choses s’imposaient et parmi elles, retrouver les œuvres et donc les galeries. Pour ArtsHebdoMédias, il s’agissait de les soutenir et de saluer leur réouverture. Tout simplement. A travers la visite rendue à quelques-unes seulement, c’est à une profession dans son entier que nous adressons nos meilleures pensées.

« Cette affiche n’a rien à vendre. On est juste très heureux de vous revoir. » La typo est discrète, le fond est blanc. En petits caractères noirs, un « Bienvenue dehors » achève de nous convaincre : c’est bien à nous que cette affiche s’adresse. Nous les confinés d’hier, osant à peine franchir le pas de notre porte. Dans le métro, des myriades d’autocollants. Au journal de 20 h, tout paraissait irréel. Pourtant, c’est bien vrai. Une rame non bondée, des distances de sécurité respectées, un fauteuil sur deux libre, un masque par visage. Pince-moi ! Non, tu ne dors pas. Sur l’avenue des Champs-Elysées, comme à la corrida, il y a un côté ombre et un côté soleil. Difficile de se laisser aller à la joie d’une luminosité retrouvée tant le calme est trop calme, anormal, fatal presque. D’un pas alerte tout de même, je longe les arbres. Les magasins sont discrètement ouverts. C’est à peine si l’on voit poindre une lueur. Personne ne fait la queue chez Vuitton. Quelques établissements vendent des boissons à emporter. Le Grand Palais en travaux se dit qu’il n’a finalement rien manqué. Un jeune couple de Japonais est assis dans l’herbe. Lui la croque sur un cahier de dessin. Aucune galerie à visiter pour l’heure, mais une photo à faire du bouquet de tulipes offert par Koons à la ville de Paris. La sculpture se dresse à l’arrière du Petit Palais au milieu de ce qui sera à terme un espace arboré mais qui aujourd’hui est encore en chantier. Marc Jimenez a écrit un texte pour Astasa – site nouvellement lancé par ArtsHebdoMédias et le MICA, laboratoire de l’université Bordeaux Montaigne – dans lequel la sculpture est particulièrement évoquée. La photo viendra l’illustrer. En savoir plus ? Cliquez ! Pour ma part, je ne traîne pas dans le quartier.

Place de la Concorde, 12 h 30, le 14 mai 2020.

La place de la Concorde est vide. Il est 12 h 30. Je n’aime pas ce jour d’après qui prouve combien certains quartiers de la capitale ont perdu leurs forces vives. Plus d’habitants de souche, plus de commerces de proximité. Les touristes disparus, on se croirait dans un temple déserté. Sur la place du Palais-Royal, Chez nous de Carmen Mariscal. La petite maison est totalement fermée, blindée de cadenas – de ceux que les amoureux laissent à longueur d’années accrochés aux grilles de certains ponts parisiens. Elle ne respire pas l’amour mais la solitude. L’artiste s’interroge sur cet objet symbole de propriété accaparé par des histoires à l’eau de rose et abandonné au vent comme un sou à l’eau dans les fontaines aux vœux. Une carcasse de rat jonche le trottoir. D’aucuns m’avaient interpellée en m’informant que le Paris du confinement les laissait libres en surface. Les matous aussi ont dû en profiter.

Chez nous, Carmen Mariscal, place du Palais-Royal, le 14 mai 2020.

13 h 30. Trois pelés et un tondu traversent l’esplanade du Forum des Halles. Impressionnant. Seule Pixels Wave light de Miguel Chevalier anime l’œil. Située au niveau -2, l’installation de lumière générative vibre sur 32 mètres de long. Quelle joie ! Là, où la vie s’est endormie, l’art veille. Rue Saint-Martin, le Centre Wallonie-Bruxelles-Paris est fermé. Il faudra absolument revenir. Le message, c’est le réseau ! Mail Art en Belgique francophone devait démarrer le 19 mars. Le Mail Art est une « pratique contre-institutionnelle échappant aux logiques de marché et fonctionnements muséaux, considérée par Filippo Tommaso Marinetti – fondateur du mouvement futuriste – comme une offensive contre la transition académique, à la conquête de la modernité rêvée (…) Il n’est pas inopportun de voir dans cet a-mouvement comme une sorte de préfiguration des mots d’ordre des auteurs de la déclaration de l’indépendance du cyberspace parmi lesquels, John Perry Barlow – défenseur de l’idée d’un internet libertaire, utopique », explique Pierre-Olivier Rollin, commissaire de l’événement dans son argumentaire. Vérification faite sur le Web, le centre rouvre le 25 mai et l’expo est prolongée jusqu’au 14 juin.

Pixels Wave light, Miguel Chevalier, au Forum des Halles, le 14 mai 2020.

14 heures précises, le rideau se lève sur les sculptures de Marc Petit. Edouard Schwab, masqué, me fait signe d’entrer dans sa galerie. Nos yeux sourient devant cette nouvelle exposition de l’artiste, qui pour la première fois n’était pas présent pour l’accrochage. La discussion va bon train tandis que le regard scrute des formes qu’il n’avait jamais vues. La moitié des quelque 70 pièces est récente. Au mur, des ombres projetées viennent confirmer la puissance d’un geste, le balancement d’un corps. Un ange aux ailes entravées grave à jamais notre rétine. Difficile de revenir à l’objet premier de la visite : exprimer aux galeristes la joie que nous avons de les retrouver et, par là-même, notre soutien en cette période très incertaine. Durant le confinement, Edouard Schwab n’est venu que deux fois à la galerie. C’est sur Internet qu’il a trouvé à s’occuper, à maintenir le lien avec son réseau d’amateurs d’art. Pour la première fois, il a organisé un jeu-concours. « Nous n’aurions jamais pensé à prendre une telle initiative en temps normal. Une œuvre était à gagner et nous avons été surpris par la réaction très positive des internautes. A la fois par le nombre de participants et par leurs commentaires. » Quand la date du 11 mai a été avancée, Edouard Schwab s’est préparé. Le 13, la galerie rouvrait ses portes.

Edouard Schwab, Galerie Schwab Beaubourg, le 14 mai 2020.

C’est reparti ! Les automates de la fontaine Stravinsky ont les pieds au sec. Assis seuls ou en petites grappes, quelques Parisiens leur tournent le dos. Ils discutent, ils lisent. Un père photographie sa famille. La scène aurait été banale voilà deux mois, mais aujourd’hui il n’en est rien. Je file vers le Marais et remonte dare-dare la rue des Archives. Le programme imaginé ne sera probablement pas tenu. 16 rue des Quatre-Fils, j’aperçois Eric Dereumaux devant des grands formats signés Hermann Nitsch. Une immense toile emballée est posée le long du desk d’accueil. La prochaine exposition de la galerie RX se prépare. Qu’avez-vous fait durant le confinement ? « Ce moment de pause a été un moment de construction. Nous avons réussi à travailler à distance, notamment grâce à la visioconférence. Ça fait plus d’un an que nous tentions de mettre en place une plateforme pour les collectionneurs. C’est désormais chose faite ! », positive le galeriste. Sous la verrière, les couleurs du « dernier actionniste en activité » se composent à partir de tourbillons de matière. Au sous-sol, des toiles plus petites possèdent un pouvoir hypnotique plus fort encore. Chaque forme d’une densité palpable laisse s’échapper la peinture. L’œil y plonge et en ressort étourdi.

Eric Dereumaux, Galerie RX, le 14 mai 2020.

Un stop à la galerie Alain Margaron s’impose. Leurs newsletters intitulées A la découverte d’une œuvre ont été précieuses. A intervalle régulier, tout au long des semaines sans œuvres, elles débarquaient dans notre boîte e-mails pour revenir sur le travail d’artistes inoubliables comme Dado (1933-2010), Fred Deux (1924-2015), Michel Macréau (1935-1995), Bernard Réquichot (1929-1961) ou Jean Hélion (1904-1987). Mais aussi nous faire découvrir les paysages de la Coréenne Hong InSook. Il fallait à tout prix remercier pour ce « temps du regard » offert et savoir si celui du déconfinement signerait l’arrêt de cette initiative numérique. Pas du tout, assure-t-on à la galerie. Bien au contraire, il est même question de partager des vidéos. La première a été réalisée spontanément au téléphone portable suite à l’annonce du confinement. Les prochaines seront plus soignées. Le pli de la communication numérique est pris ! A quelques centaines de mètres, Christophe Gratadou est lui aussi fidèle au poste. Les peintures de Jean Legros (1917-1981) attendent les dessins de Silvia Velázquez. Le galeriste a décidé de redémarrer avec un face-à-face inédit entre deux expressions géométriques qui reflètent des époques différentes mais une volonté commune de transposer le réel. Durant les dernières semaines, il a réalisé avec les artistes qu’il représente un site pour inviter à la découverte des univers créatifs de chacun d’eux mais aussi inciter à la solidarité en ces temps difficiles.

Christophe Gratadou, Galerie Gratadou, le 14 mai 2020.

Direction maintenant la rue Charlot. Dans la cour pavée, une affiche rouge annonce la couleur ! « United », déclame-t-elle fièrement. C’est la première fois que Thierry Bigaignon s’adonne à la joie d’une exposition collective. « J’ai changé ma programmation pour présenter cet accrochage. Il fallait unir nos forces. Tous les artistes de la galerie y sont représentés. » Faire face ensemble était sa première idée suivie de très près par celle d’ouvrir sa réserve, lieu rarement visité mais recélant pourtant des pépites. Issues d’expositions antérieures, les œuvres de nouveau exposées sont parfaitement connues du galeriste. « J’ai vécu des mois avec chacune d’elles. » Visiblement ému par cette réunion inopinée, il revit chaque histoire, revisite chaque technique. « Souvent, les visiteurs me demandent d’expliquer la ligne de la galerie. Si les mots manquent parfois, les images, elles, parlent clairement. » Assis sur une caisse de transport, Thierry Bigaignon pose pour la photo. Si l’avenir est incertain, son objectif n’en est pas moins précis : « Transformer la menace en opportunité ».

Thierry Bigaignon, Galerie Thierry Bigaignon, le 14 mai 2020.

Une amie me rejoint. Nous décidons de prendre un café. A emporter évidemment. Notre-Dame se profile à l’horizon. Nous papotons à distance respectueuse. C’est frustrant de ne pas pouvoir exprimer par le geste la joie de ces retrouvailles. Je sais que sous d’autres latitudes, le moindre contact direct est inconvenant, que nous pourrions nous aussi nous adapter. Mais cette distance-là me vrille l’estomac. Il y a quelque chose de réconfortant à toucher l’autre. La preuve peut-être de son existence. Mais plus sûrement parce que toucher signifie également émouvoir. Trêve de balivernes. Des galeries sont ouvertes sur l’autre rive de la Seine et l’heure tourne. Il n’y a que nous rue Guénégaud. Plongé comme à son habitude dans la pénombre, le salon de Da-End est lui aussi investi par plusieurs artistes habituellement représentés par la galerie. L’exposition de Markus Akesson a été reportée. Quynh Saïkusa (photo d’ouverture) apparaît, sourire aux lèvres, et masque à la main puis rapidement au visage. Clic, clac. Nous prenons congé et entrons quelques mètres plus loin dans la galerie Béatrice Soulié. Constance nous accueille. La maîtresse des lieux est à Marseille où elle vient tout juste d’ouvrir un deuxième espace, place aux Huiles. A Paris, Conciliabules de Pétra Werlé est prolongée jusqu’au 30 mai. Quel bonheur de s’abandonner aux œuvres. Née d’une gravure, chacune d’elles est l’instantané d’un monde féérique qu’explorent des personnages à la mine réjouie et à l’étonnante morphologie. Tableau après tableau, un récit extraordinaire se construit. Un ara porte un bicorne, un poisson voile, une sirène accoste la terre ferme par amour du gardien de deux gallinacées, une chauve-souris fuit des anémones de mer… Chaque détail est savoureux.

Constance, Galerie Béatrice Soulié, le 14 mai 2020.

Nathalie doit rebrousser chemin. Je poursuis. A la galerie Lélia Mordoch, l’exposition rassemblant des œuvres cinétiques est prolongée encore quelques semaines. Jean de Lassus choisit de prendre la pose devant cinq pliages signés François Morellet. Toutes les pièces sont superbes. Encore un petit tour, un petit signe de la main, et puis s’en va.

Jean de Lassus, Galerie Lélia Mordoch, le 14 mai 2020.

Il est presque 19 heures. J’appelle. Inutile de se casser le nez sur une porte fermée. Antoine Le Clézio est encore là. Il donne un coup de peinture au deuxième étage. Pendant le confinement, l’A2Z Art Gallery a initié de nouvelles pratiques. Danhôo a créé en live sur les réseaux à raison de quatre séances de 30 minutes chaque semaine du mois d’avril. « Même si rien ne peut se substituer au lien physique à l’œuvre, il faut admettre que le numérique offre de super outils ! L’expérience de création en direct menée avec Danhôo nous a donné envie de développer ce genre de communication à destination d’un public plus large. Nous imaginons désormais partager les vernissages et même le quotidien de la galerie. » La descente d’escaliers permet de jeter un œil sur l’exposition collective qui va précéder celle de Yang Mian, prévue pour mi-juillet. Antoine choisit de se faire photographier devant une toile explosive de… Danhôo et m’offre un masque réalisé par l’artiste. Illico presto, le chirurgical termine dans une poubelle. Je n’ai jamais longé les grilles du Luxembourg avec une aussi fière allure !

Antoine Le Clézio, A2Z Art Gallery, le 14 mai 2020.

 

Marie-Laure Desjardins portant le masque conçu par Danhôo.

 

Crédits photos

Toutes les photos ©MLD

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