C’est une première pour Médecins du Monde ! L’ONG de solidarité internationale fondée en 1980 lançait vendredi 3 novembre, dans l’espace convivial du Ground Control près de la gare de Lyon à Paris la première édition d’un festival d’art urbain, qui convie jusqu’au dimanche 5 novembre en entrée libre, 25 artistes plasticiens, graffeurs, Dj et danseurs, tandis que le public, appelé à participer à un concours d’éloquence, accueillait, samedi soir, dans la chaleur et la convivialité des lieux, les textes et lauréats sélectionnés par le jury. « Intitulé le Festival des Gros Maux, car en prenant la plume ou la parole nous pouvons faire bouger les lignes, souligne la présidente de l’association bénévole, le docteur(e) Florence Rigal, rencontrée aux côtés de quelques artistes lors du coup d’envoi – Régis R, le duo Lek & Sowat, ou encore Nathanaël Mikles des Ensaders – l’événement a pour but de rassembler, et de transcender générations, genres, origines, classes sociales et croyances, pour mettre en avant le pouvoir créatif qui réside dans la diversité de notre société. » Voici quelques questions posées aux uns et aux autres, quant à leur engagement participatif, glanées dans le vif de l’action in situ.
AHM. – Florence Rigal, vous êtes présidente de Médecins de Monde depuis juin 2022, comment l’idée d’organiser un festival dédié à l’art urbain et à la prise de parole est-elle apparue au sein de l’association ?
L’idée de ce festival était de se placer dans la continuité du témoignage et du plaidoyer que représente Médecins du Monde, en parallèle de ses actions concrètes d’observation et d’alertes, de prévention des risques, de soin et de coordination sur le terrain. C’est un plaidoyer qui s’adosse à la société civile, dont nous avons la conviction qu’elle porte les mêmes valeurs qui nous animent. La question de l’art étant un moyen de libérer une parole et de rallier les publics, nous avons réunis des artistes et invité le public à manier les mots pour dénoncer les maux de notre société […] Pour le concours d’éloquence, et d’écriture lancé au mois de mai, par exemple, nous avons reçu 934 textes sur le thème proposé cette année, « Soigner l’injustice ». Or les trois quarts des auteurs et autrices n’étaient pas issus de « la sphère Médecins du monde ». Avec un jury composé de journalistes (Le Monde, France Culture), d’une influenceuse littéraire, d’un auteur, et du représentant de nos donateurs et donatrices – 350 000 personnes dont les dons représentent la moitié de notre budget – mais aussi de bénévoles de l’association et moi-même, nous nous sommes réunis au siège le 26 septembre pour déterminer ensemble les lauréats des cinq prix décernés. C’était passionnant et très émouvants : certains textes concourant en poésie, nouvelle, chanson, éloquence et pour le Grand prix du jury, mettaient en avant des aspects très sensoriels, et un rapport au corps très présent.
L’art permet de retravailler l’émotion que l’on éprouve pour pouvoir la partager, pour qu’elle nous soit plus « digeste ». Il nous aide à tenir une indignation plus construite, à métaboliser toute cette violence quelle que soit l’expression artistique, afin de ne pas en rester sidérer. L’art est une étape, qui propose une forme afin que d’autres personnes en fassent leur cause et se l’approprient, quand le constat nous apparaît trop violent … Et puis, l’expression artistique nous touche dès lors que l’on comprend que l’autre a perçu ce que l’on ressentait soi-même. C’est l’idée du partage que nous voulions mettre en avant, que nous ne sommes pas seuls et qu’avec Médecins du monde et le festival des « Gros maux » nous voulons faire du bruit et qu’il s’entende.
Comment avez-vous choisi les artistes et les formes artistiques proposées
Nous voulions réunir des formes artistiques populaires sans a priori. Toutes sont les bienvenues pour soutenir nos combats. La question de la santé étant au cœur de l’action de Médecins du Monde, la danse s’imposait, elle convoque le corps et englobe toutes les possibilités de ce que l’on peut exprimer à travers lui. Nous voulions que cela soit une manifestation qui fasse du bien et qui puisse devenir un rendez-vous, autour des questions de santé, qui pour Médecins de Monde sont d’ordre politique et qui appartiennent aussi à chaque citoyen ; la santé passe notamment par la solidarité et l’idée de justice, qu’elle soit environnementale ou sociétale. C’est une manifestation que nous préparons depuis plus deux ans. Quant au choix des artistes, nous avons travaillé en coproduction avec Mlle Pitch, l’agence dirigée par Vincent Guyader, mais il est préférable d’en discuter directement avec eux.
Quelques artistes plasticiens dont les œuvres sont en vente au profit de Médecins du Monde sont venus pour le lancement : Nathanaël Mikles, du collectif les Ensaders a accepté de nous dévoiler le brief qu’il s’est donné avec son partenaire pour la fresque qu’ils entreprendront samedi. Tandis que Régis-R a déjà accroché sa peinture-sculpture, Lek & Sowat profitent de leurs amis pendant que ça sèche, dans un « atelier in situ ». D’autres sont tout juste en train de se mettre à l’œuvre…
Nathanaël Mikles, comment avez-vous eu vent de ce festival et avez-vous été choisi pour y participer ?
Depuis une quinzaine d’années, je travaille avec le collectif Ensaders auprès de Guillaume Garouste de l’agence Artegalore qui nous propose de temps en temps ce genre de projet ; et puis nous participons aussi à des ateliers créatifs avec des groupes au sein de l’association La source [1] fondée par ses parents, Gérard et Elisabeth Garouste, qui depuis trente ans œuvre auprès des jeunes publics et des milieux défavorisés afin de leurs donner un accès à l’art avec cette l’idée de (re)prendre confiance en soi par la pratique artistique sous toutes ses formes. Au sein du collectif Ensaders, nous sommes trois artistes Yann Bagot, Kevin Lucbert et moi-même. Nous nous sommes rencontrés il y a 20 ans aux Arts déco (l’Ensad, à Paris). Nous sommes des amis d’atelier, le principe c’est que nous dessinons tous les trois simultanément sur le même support et que nous prenons du plaisir à le faire, c’est pourquoi nous continuons. Pour le festival, il s’agit plus d’une performance dans un temps limité : pendant trois heures sur une toile avec Yann Bagot, nous allons créer une fresque évolutive. Ce que nous voulons exprimer, c’est cette idée que les équipes de Médecins du Monde sont sur le terrain, confrontés à une réalité violente et une détresse humaine. Dans la mesure où nous travaillons beaucoup autour du paysage, l’enjeu est donc d’amener le spectateur dans cet environnement, où il va y avoir du chaos, de la violence, de la dévastation… mais à la fin de l’espoir. Son titre : Être là pour soigner !
« Seuls avec tous » c’est le slogan ou plutôt la formule détournée qu’a choisi Lek & Sowat, le duo de choc de l’art urbain dont le projet Tracés Directs réalisé avec Jacques Villeglé en 2013 fut la première œuvre de graffiti à entrer dans la collection permanente du Centre Pompidou (cf: notre article par Alexandra Boucherifi. Et plus récemment, Hope une commande du Centre d’art contemporain qui retournait à la rue sous la forme d’un film éponyme dont la « matrice » servit de mobilier urbain, voire de bouclier, lors du 59e acte des gilets jaunes, le 29 décembre 2019. Voir le film ici
Lek & Sowat, quel intérêt, quelle satisfaction ou inspiration, la participation à une manifestation comme celle-ci vous apporte-elle ?
Il se trouve que lorsque Guillaume Garouste nous a contactés il y a quelques mois, nous venions de lire le livre autobiographique de son père (Gérard Garouste paru chez SKIRA-Flammarion) qui nous avait beaucoup plu ; on connaissait bien la commissaire de sa dernière expo, il y avait-là une dimension humaine qui concordait. Souvent on nous contacte pour des ventes caritatives, mais cela n’a pas trop de sens pour nous de réaliser une œuvre dans l’atelier puis de la sortir pour une vente. Et puis Médecins du Monde, c’est un projet hyper vertueux à nos yeux et le thème nous intéressait – cela fait longtemps qu’on peint des grands mots. « Seuls contre tous » c’est un peu notre carrière (rires) mais ça nous semblait un peu négatif. Or cette association qui envoie des médecins un peu partout dans le monde en période de crise, ça nous a paru être la parfaite illustration de « seuls avec tous » et c’est comme cela qu’on arrive à faire des choses. On a donc opté pour un mélange de calligraphie et de typographie qui correspond bien à notre signature visuelle et puis rien n’est net aujourd’hui, alors ces lettres un peu déchirées, un peu cassée – dues au départ à un problème de scotch – illustrent bien la situation actuelle.
Depuis que le conflit israélo-palestinien a repris on est vraiment content d’avoir dit oui et d’être là aujourd’hui. La situation nationale est devenue complétement toxique : la tête nous rabâche les stratégies de chacun alors qu’au fond, ce que veulent les gens c’est la paix ! Nous nous réalisons ici nos petits projets artistiques pendant que Médecins du Monde est au front ! Ça peut paraître dérisoire mais si nous pouvons toucher une ou deux personnes et changer un regard, pour nous, ça vaut la peine.
Regis-R également connu sous le pseudonyme de Prince Of Plastic depuis 25 ans pour ses œuvres et installations gigantesques créées uniquement à partir de matériaux de récupération, est lui aussi issu de l’Ensad, à Paris. Pour le festival des « Gros maux » l’amateur de « punchlines » a réalisé une peinture dotée d‘un lettrage en… matériaux recyclés.
Régis-R, quel est le slogan que vous avez choisi et comment l’entendez-vous ?
C’est une citation attribuée à sœur Teresa : « La vie est un combat, accepte-le. » Je trouvais que c’était assez à propos, avec une racine commune, la religion catholique que partagent sœur Teresa et Médecins du Monde. Leur logo contient bien une croix, non ? Et une colombe que l’on retrouve dans la bible. Pour moi cela veut dire « ne lâche pas l’affaire, sinon tu n’auras pas de vie » et l’idée que « le premier ennemi à combattre, c’est soi-même et souvent c’est le seul ! » mais je n’en connaît pas l’auteur. Moi, mon combat c’est de n’utiliser que des matériaux de récupération, pour créer toute forme de sculpture ou peinture avec ou sans lettrage. Par ailleurs, je suis amateur de boxe anglaise et pratiquant.
Et de conclure par une maxime toute personnelle : « Ça ira mieux dehors, sortir de soi, quel bonheur ! »
Il n’est donc pas trop tard pour aller se réchauffer au Ground Control, au contact des siens, naïfs et fiers qui préfèrent l’art à la gare que l’être à la guerre, jusqu’à 22 h 30 pour jouer avec les mots, pour pe(a)nser les maux qui nous traversent, nous engloutissent et parfois nous dépassent dans un contexte social délétère où ceux qui croient diriger le monde semblent totalement exempts de la violence systémique qu’ils opèrent.
[1] Médecins du Monde est une ONG médicale de solidarité internationale créée en 1980. Elle intervient en France et à l’étranger, afin de soigner les populations les plus vulnérables, les victimes de conflits armés, de catastrophes naturelles, celles et ceux qui n’ont pas accès aux soins. Association humanitaire indépendante, Médecins du Monde dénonce les atteintes à la dignité et aux droits de l’Homme et plaide pour améliorer la situation des personnes vulnérables.
[2] La source : « Favoriser l’épanouissement de l’enfant et l’éveiller à l’art, c’est cultiver sa sensibilité, son imagination, son intelligence, dans la perspective d’en faire un être de désir. » Gérard Garouste
Informations complémentaires :
Les artistes programmés sont : Christophe Andrusin, Pieter Ceizer, Marco Castilla, La Dactylo, Valentine Dardel, Samuel Eckert, Les Ensaders, Cédric Fettouche, Olivier Garouste, Bérangère Galvao, Anka Girls, Aimée Guillo, Guillaume et Laurie, Kashink, Paolo Kraft, Lek&Sowat, Lucie Lith, Val d’Off, Petite Poissone, Arnaud Puig, RERO, Régis R (Prince of Plastic), Ara Starck, Aksel Varichon, Fabien Verschaere.
Les Gros Maux : En entrée libre, 81 rue du Charolais, Paris 75012
Vendredi 03 novembre : 14h-01h – Samedi 04 novembre : 12h-01h – Dimanche 05 novembre : 12h-22h30. Lesgrosmauxfestival.com
Visuel d’ouverture > ©Les Ensaders, Yann Bagot et Nathanaël Mikles, Etre là pour soigner – 2023 – « Les Gros Maux », 1er festival d’art urbain, de danse, graff et d’éloquence de Médecins du Monde ©Les Ensaders