Pour son septième anniversaire, la foire internationale d’art urbain (UAF), à Paris, innove et met l’accent sur les femmes artistes et galeristes avec Miss Van fêtant ses trente ans de carrière (que le temps file vite !), Agnès b. et Magda Danysz, entre autres. L’UAF concocte une édition spéciale, centrée sur les artistes et le solo show. Outre un hommage à Miss.Tic, la foire dédie plus de la moitié des espaces à l’univers d’un artiste ou d’un duo, mettant notamment à l’honneur Vhils, Invader, ainsi que Lek & Sowat, les créateurs de l’affiche de l’événement. Nous avons rencontré le binôme, très à l’honneur ces derniers temps*. Entrés dans les collections du Centre Pompidou, artistes urbains invités à la Villa Médicis, présentés dans l’exposition CAPITALE(s), le duo de choc revient sur son parcours et ses actualités, en particulier sur leur exposition à l’Urban Art Fair.
Comment avez-vous conçu l’affiche de l’UAF et quelles sont vos méthodes de travail en binôme ?
Nous souhaitions faire quelque chose autour de la typographie. L’UAF étant une foire d’art urbain, nous avions envie de retourner à la racine de notre pratique, à savoir le graffiti et le culte qu’il voue à la lettre, à l’écriture. Ça nous paraissait d’autant plus intéressant que cette piste n’avait pas été explorée par la foire jusqu’à présent. Notre ami Tcheko nous a aidé à la réaliser. Pour ce qui est de nos méthodes de travail, celles-ci varient d’un projet à l’autre. Disons que l’un d’entre nous va avoir une intuition, une idée, une envie que l’on va ensuite approfondir par la discussion ou la réalisation d’esquisses. On dit souvent qu’on travaille comme des musiciens qui improvisent en studio. L’un de nous va initier une mélodie et l’autre va chercher un rythme pour l’enrichir, et inversement sur le projet suivant.
Qu’allez-vous présenter lors de cette exposition et sur quoi portent vos recherches picturales actuelles ?
Nous travaillons depuis des années sur un film intitulé Hope, qui a été tourné en marge de l’acte 59 des gilets jaunes. À l’époque, J’aurais voulu être un artiste, qui se trouvait sur un dispositif sécuritaire au pied du Centre Pompidou, s’est retrouvée en plein milieu d’affrontements entre les forces de l’ordre et certains manifestants. Le film revient sur ce moment particulier grâce à des vidéos trouvées sur les réseaux sociaux et nous le présenterons au public pour la première fois pendant l’UAF. Ce film nous a ensuite inspiré une série de toiles sur lesquelles nous travaillons depuis que la galerieJoël Knafo nous a proposé de participer à la foire. Il s’agit de typographies peintes à la main par-dessus des fonds calligraphiés qui sont ensuite volontairement abîmées, vieillies, poncées pour donner l’impression d’usure du temps,d’érosion, comme si nous avions ponctionné des bouts de rue pour les ramener sur le stand de la foire. Enfin, il y aura un livre d’artiste en série limitée, toujours en lien avec l’œuvre au centre, sur lequel nous travaillons actuellement avec Julien Martial, des Ateliers Martial.
Vous êtes les premiers graffeurs à être entrés dans la collection du Centre Pompidou me semble-t-il avec Tracés Directs, comment est-ce arrivé et quel sentiment avez-vous d’être des précurseurs en la matière ?
C’est grâce à Sophie Duplaix, conservatrice en chef au Centre Pompidou. C’est elle qui nous a présenté Jacques Villeglé en 2012, en nous invitant à participer à une conférence avec lui. Nous sommes restés en lien avec lui, jusqu’à lui proposer de venir discrètement nous rejoindre sur le tournage de Tracés Directs au Palais de Tokyo. Des années plus tard, nous avons exposé le film ainsi et le tableau noir sur lequel il a été filmé pendant la foire Drawing Now. Lorsque Sophie Duplaix nous a demandé ce que nous comptions faire de ces deux œuvres, nous lui avons répondu en plaisantant que nous comptions les offrir au Centre Pompidou, qu’elles seraient les premières issues du graffiti à entrer dans les collections. Anotre grande surprise, elle nous a alors pris au mot et nous avons commencé à travailler ensemble sur le dossier de proposition. Nous étions évidemment ravis lorsque notre proposition a été acceptée. Heureux pour nous bien sûr, mais pas uniquement… Nous étions tout aussi contents pour Jacques Villeglé et les autres artistes du projet, ainsi que pour notre culture en général. Nous espérions que cette première acquisition ouvrirait les portes à d’autres artistes du mouvement.
Pionniers, vous l’avez aussi été en intégrant la Villa Médicis, à Rome, au milieu des années 2010, racontez-moi un peu cette aventure…
La Villa Médicis a eu un impact considérable sur nos vies. Ce fut une année à part, une parenthèse enchantée passée à créer dans le plus beau jardin de la plus belle ville du monde ! C’est à Rome que nous avons quitté l’environnement postindustriel auquel nous étions habitués pour déployer notre esthétique dans un cadre différent. C’est là-bas aussi que nous avons commencé à rencontrer des artistes en dehors de notre milieu et créer avec eux. Là-bas enfin et surtout, que nous avons débuté un travail en atelier. C’était d’ailleurs ça le vrai cadeau de la Villa : la possibilité de passer une année entière à peindre à 4 mains en intérieur.
Le Mausolée tient une place particulière dans votre parcours, d’abord parce que c’est une vraie proposition forte in situ et aussi parce qu’il vous a permis « d’entrer au musée » en étant repéré par une institution telle que le Palais de Tokyo. Quel regard portez-vous sur le Mausolée avec le recul ?
Effectivement, le Mausolée tient une place à part dans notre parcours. C’est notre premier projet en commun, la matrice de bien des choses que nous avons entrepris depuis. C’est dans ses murs, cachés dans le froid et le noir avec nos invités, que nous sommes véritablement devenus artistes. A mesure que les mois passaient, il ne s’agissait plus pour nous de juste peindre des fresques mais de réaliser des films, prendre des photos de manière sérielle, ramener des artefacts en vue de futures expositions, rédiger des textes pour rendre compte de notre progression quotidienne, apprendre à travailler à plusieurs et ainsi de suite… C’est une expérience qui nous a profondément transformés.
Comment avez-vous décidé de devenir un duo d’artistes ? Comment ce duo s’articule-t-il dans votre pratique plastique ?
Nous nous sommes rencontrés il y a plus de dix ans lors d’une expo collective et tout de suite, nous nous sommes bien entendus, artistiquement et surtout, humainement. Nous venions l’un et l’autre de prendre la décision de lâcher nos boulots alimentaires pour se donner une chance dans le monde de l’art et rapidement, nous nous sommes mis à créer ensemble dans ce qui deviendra le Mausolée. Il n’y a jamais eu de véritable problème d’égos entre nous, ni d’inspiration : nous sommes assez complémentaires et complices dans le travail ce qui fait qu’une fois le Mausolée terminé, nous avons eu envie de continuer l’aventure à deux. Ensuite, les choses se sont enchaînées assez naturellement. Six mois après le Mausolée, nous avons commencé à peindre au palais de Tokyo et ainsi de suite jusqu’à former un duo ces douze dernières années.
Quel projet rêveriez-vous de voir naître prochainement ?
Notre rêve serait d’ouvrir le Mausolée au public, que les gens puissent le visiter en l’état. Cela fait des années que nous en parlons avec différentes personnes de la Mairie de Paris, propriétaire des lieux, sans que ça se débloque pour l’instant. Administrativement, la question est assez complexe. On verra bien si on y arrive ou non. Si notre carrière nous a apprisquelque chose, c’est bien la patience…
Pour finir, un petit mot sur Jacques Villeglé (dont c’était l’anniversaire récemment) ?
Merci pour tout et tu nous manques.
*En sus de l’UAF, les œuvres de Lek & Sowat sont notamment présentées dans l’exposition CAPITALE(s), dont AHM vous parlait il y a quelques mois, et sous le tunnel des Tuileries où ils ont rendu un hommage à Jacques Villeglé.
Contact> Urban Art Fair, du jeudi 14 au 16 avril 2023, Le Carreau du Temple, 4 rue Eugène Spuller, 75003 Paris. www.urbanartfair.com
Livre> Pour en savoir plus sur le tunnel des Tuileries : Le Tunnel des Tuileries : l’art en bord de Seine, sous la direction de Nicolas Laugero Lassere, aux éditions Alternatives, sera en librairie à partir du 18 mai 2023.
Image d’ouverture> J’aurais Voulu être un artiste par Lek & Sowat, Centre Pompidou, Paris 2019. Photo Nicolas Gzeley