Le temps lointain où l’on peinait à publier des articles pour informer sur les rares expositions de graffiti est définitivement révolu. L’heure est à la profusion d’expositions d’« art urbain » partout en France, des pionniers aux petits derniers à découvrir. L’heure est aussi au sens, au questionnement, à l’analyse, au regard porté sur l’histoire qui s’écrit sous nos yeux, depuis quelques décennies déjà. Et parce que nous savons depuis longtemps que l’important n’est pas la destination, ArtsHebdoMédias vous propose un voyage qui vous mènera de Paris à Landernau en passant par Bordeaux et Biarritz.
À Paris
Capitale(s), 60 ans d’art urbain à l’Hôtel de Ville, Paris. Capitale(s), 60 ans d’art urbain est le grand événement du moment. L’exposition gratuite de l’Hôtel de Ville à Paris, à laquelle on accède sur rendez-vous, et avec un peu d’attente, est un véritable succès. À l’origine de cette giga curation, des galeristes, collectionneurs, porteurs de projets et un artiste, Marko93. Déjà plusieurs dizaines de milliers de visites au compteur, des articles partout dans la presse, mais qu’est-ce qui a provoqué un tel engouement ? Capitale(s) présente plusieurs dizaines d’artistes, dont des piliers du graffiti et de l’art urbain, et se pose un regard historique sur ce mouvement contemporain. On retrouve ainsi les œuvres de précurseurs à l’instar de l’inclassable Jacques Villeglé (1926-2022) et d’Ernest Pignon-Ernest, qui ont investi la rue bien avant tout le monde. Plusieurs pochoiristes légendaires sont représentés, parmi lesquels Blek Le Rat, Jef Aérosol et Miss.Tic (1956-2022), dont les sujets mutins autant qu’engagés nous manquent particulièrement. Et d’autres graffeurs et street artistes qui ont orné murs des villes et trains depuis quelque 50 ans, parmi lesquels A-One, Bando, Futura 2000, Keith Haring, Lokiss… Impossible de tous les citer ! Outre la peinture à la bombe ou au marqueur, de nombreuses disciplines sont ainsi représentées, témoignant de la richesse des champs plastiques investis par les artistes comme la mosaïque avec Invader, l’excavation avec Vhils, la photo avec JR, le land art avec Saype, entre autres. À mesure que l’on déambule dans les allées de cette grande exposition, on aperçoit des figures familières à l’instar des bonhommes souriants d’André, des mômes de Seth, ou des persos de Psyckoze parsemant les murs de Paris et des catacombes depuis des décennies. Les petits et les grands apprécieront l’exposition et notamment la Graffbox de Cristobal Diaz, permettant de découvrir les tags de nombreux artistes en train de poser leur blaze !
Que manquerait-il à cette exposition qui en met plein les yeux ? « De l’espace », confie l’une des galeristes pionnières du genre, Magda Danysz. Et elle a raison ! Car contrairement à l’information donnée par moult articles, il manque quand même quelques artistes que l’on aimerait voir dans de prochaines rétrospectives. Notamment les artistes femmes, assez absentes ici, à part les artistes engagées Miss.Tic et Kashink. Et l’artiste Madame. Manquent en effet pour n’en citer que quelques-unes : Lady Pink, Miss Van, Mrs Klor, ou encore Lor-K. Manquent aussi plusieurs autres figures du mouvement dont Seen, M. Chat, Epsylon Point, Moze, King Bobo, Shuck One, Creez, Diksa, Chaze, Mode 2… Il faudra donc multiplier ce type d’initiatives de grande envergure, voire créer un musée, et mieux expliquer/documenter l’impact des artistes présentés, dont on ne mesure pas toujours bien la valeur. L’heure est au sens, au bilan historique, de ces dizaines d’années de productions d’art urbain.
Liste des artistes> Jacques Villeglé, Zlotykamien, Ernest Pignon-Ernest, Surface Active, Captain Fluo, Edmond Marie Rouffet, Blek le Rat, Miss.Tic, Vive La Peinture, Speedy Graphito, Jean Faucheur, Mesnager, Mosko, Jef Aérosol, Bando, Ash, Jay0ne, SKKI, Keit, Haring, Mambo, Nasty, Slice, Psyckoze, Lokiss, Shoe, Futura, A-One, Rammellzee Jon0ne, André, Zevs, Dize, Invader, Shepard Fairey, JR, Vhils, Swoon, Banksy, C215, L’Atlas, YZ, Seth, Tarek Benaoum, El Seed, Ludo, Rero, Dran, O’Clock, Tanc, Lek, Sowat, Cristobal Diaz, Baudelocque, Levalet, Madame, Kashink, Vision, Pest, Greky, Sébastien Preschoux, Romain Froquet, Kraken, 9eme Concept, Les Francs Colleurs.
Infos pratiques> Jusqu’au 11 février 2023, Salle Saint-Jean de l’Hôtel de Ville de Paris, 5 rue de Lobau, Paris 4e. Le jeudi de 10 h à 21 h et du lundi au mercredi et le vendredi et samedi de 10 h à 18 h 30. Gratuit. Exposition fermée les jours fériés. Uniquement sur réservation. Pour en savoir plus : le catalogue de l’exposition Capitale(s), 60 ans d’art urbain, 240 pages, éditions Alternatives, sous la direction de Magda Danysz, 29,90€.
Seth, Empreinte/Carbone à bord de Fluctuart sur la Seine. Ses grands portraits de mômes dont on ne voit jamais vraiment les visages vous emportent, entre nostalgie de l’enfance et poésie du quotidien, trempée dans des nuages et des arcs-en-ciel. Julien Malland, a.k.a Seth, revient avec un solo show, Empreinte/Carbone, témoignant de ses voyages et questionnements de « globe-painter ».
Et c’est encore lui qui en parle le mieux : « L’exposition Empreinte / Carbone retrace les quelques dix dernières années de mon travail, à représenter nos univers intérieurs et leur impact sur le monde, avec à l’esprit la même responsabilité, que je sois en Chine, au Brésil, en France ou en Ukraine : tenter de faire surgir la vie à l’endroit où je pose mes couleurs, plutôt que de contribuer à l’aliénation des individus. Me glisser dans le contexte, pour amener à le regarder différemment. Faire découvrir les murs plutôt que les recouvrir. »
Infos pratiques> Jusqu’au 26 février 2023, péniche Fluctuart, Pont des Invalides, Paris.
L’art urbain du tunnel des Tuileries. Finie la grisaille ! Depuis l’été dernier, le long tunnel des Tuileries offre aux promeneurs de vastes fresques réalisées par une dizaines d’artistes sur un peu moins d’un kilomètre, sous la direction artistique de Nicolas Laugero Lasserre (Fluctuart, Artistik Rezo, ICART…). Le long des quais du Louvre et des Tuileries, cyclistes et piétons peuvent ainsi admirer les œuvres colorées de Bault, Andrea Ravo Mattoni, Erell, Hydrane, Jussi TwoSeven, Madame, Romain Froquet, Sifat ou WAR! Mention spéciale à la grande fresque du duo Lek & Sowat, en hommage à Jacques Villeglé, le Nouveau Réaliste si attaché à la vivacité de l’art urbain et qui nous manque tant.
Infos pratiques> Jusqu’en juillet 2023, gratuit et ouvert à tous. Le tunnel des Tuileries (Paris Centre). Accessible depuis le pont Neuf au niveau des quais bas, dans la continuité de Paris Plages, ou par un accès depuis le jardin des Tuileries, le long du Louvre.
Le rire urbain, traits d’humour, mots d’humeur à la galerie Gallimard. L’ambiance de la première exposition d’art urbain de la galerie Gallimard prête à la bonne humeur, malgré la récente disparition de l’une des artistes présentées, Miss.Tic. La pluralité de la vingtaine d’œuvres présentées offre un panel intéressant de la façon dont les artistes de rue s’emparent des codes de l’humour. Toiles, panneaux, estampes de chez MEL Publisher mettent en scène la singularité de chaque artiste. Avec Clet, Isaac Cordal, Ella & Pitr, Jef Aérosol, La Dactylo, Levalet, Madame et Miss.Tic. L’exposition fait suite à la publication du Rire urbain.
Infos pratiques> Jusqu’au 4 mars 2023, galerie Gallimard, 30/32 rue de l’université 75007 Paris. Tél : 01 49 54 42 30. www.galeriegallimard.com Pour en savoir plus : Le live Le Rire urbain, Traits d’humour, mots d’humeur, Sophie Pujas, 240 pages, éditions Alternatives, 28€.
Le monde de Bansky ouvre ses portes rue du Faubourg-Montmartre. The World of Banksy ouvre les portes du monde du mystérieux, et non moins légendaire artiste britannique à ses visiteurs ! 100 œuvres à (re)découvrir, entre la mythique Girl with Balloon (la petite fille au ballon) et les Kissing Coppers (le baiser des policiers), tout l’univers à la fois provocant et poétique de Banksy se déploie ici sur 1200 m2, invitant à la réflexion sur l’absurdité, ou la beauté du monde. Preuve qu’il ne cesse jamais d’être en prise avec l’actualité de notre monde, Banksy, qui était entre autres intervenu sur une porte du Bataclan à Paris après les attentats, a récemment posé sept pochoirs en Ukraine, dans les villes de Kyiv, de Borodianka et en banlieue d’Irpin, en guise de soutien à la résistance et d’appel à la paix.
Infos pratiques> Jusqu’au 31 décembre, 44 rue du Faubourg-Montmartre, 75009 Paris. Tél. : 01 82 83 28 55.
À Bordeaux
Les pionniers du street art à l’Institut culturel Bernard Magrez. Omniprésent, le street art est partout, de la rue, à la mode, en passant par les jeux vidéo (cf. Vandals, 2018) au point d’être devenu mainstream, après avoir été pendant quelques décennies, subversif. L’institut culturel Bernard Magrez propose de revenir aux origines du mouvement avec des artistes phares. De grands noms figurent dans l’exposition : Blek Le Rat, Epsylon Point, Miss.Tic, Jean Faucheur et OX des Frères Ripoulin, Speedy Graphito, les VLP, Jacques Villeglé et Gérard Zlotykamien. Une douce plongée dans les années 1980 comme on aime… Et en bonus, quelques pièces réalisées in situ, pour le plus grand plaisir des visiteurs !
Infos pratiques> Jusqu’au 9 avril 2023. Institut Culturel Bernard Magrez, Château Labottière, 16, rue de Tivoli, 33000 Bordeaux. Tél : 05 56 81 72 77. Le samedi et dimanche de 13h à 18h
Plein tarif : 9€ (donne accès à toutes les expositions).
À Landerneau et à Thonon-les-Bains
Ernest Pignon-Ernest et la figure incarnée. Depuis plus de cinquante ans, l’artiste surgit dans les rues du monde entier. Chercheur de la représentation la plus juste d’un personnage, d’une figure, tantôt poétique, tantôt politique, voire les deux à la fois, Ernest Pignon-Ernest passe de la profondeur et de la puissance du dessin à la pierre noire, au collage de sérigraphies sur les murs, qu’il livre aux regards des passants. Actuellement, en parallèle de son exposition au Fonds Hélène et Edouard Leclerc, à Landerneau, le travail d’Ernest Pignon-Ernest est aussi visible à la Chapelle de la Visitation, à Thonon-les-Bains. « Ce que je fais, c’est un peu comme composer un tableau ou réaliser un montage. Ma palette ce sont les lieux, les lieux et leur histoire. (…) On a dit souvent que je faisais des œuvres en situation. En fait, je fais œuvre des situations », précise l’artiste.
Infos pratiques> Jusqu’au 15 janvier 2023, Fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la Culture, aux Capucins 29800 Landerneau. Chapelle de la Visitation, Thonon-les-Bains, de 14h30 à 18h. Fermé lundi, jeudi et dimanche.
À Biarritz
6e édition de Colorama, Biennale Internationale d’Art Urbain. Né en 2016, le festival Colorama, récemment mué en biennale d’art urbain à l’initiative de l’association Urbanitz (ex Biarritz Street Art), se teinte de jaune pour une saison marocaine consacrée au street art et au post-graffiti, mêlant l’énergie du graffiti et de peinture contemporaine, avec potentiellement une évolution stylistique et le cas échéant, de média. À découvrir donc une sélection d’artistes offrant leur vision de la pratique, des actions culturelles pour les plus jeunes et des rencontres entre les publics et les artistes. Beau programme !
Infos pratiques> Jusqu’au 6 janvier 2023. Le QG Colorama, Auberge de jeunesse de Biarritz, 8 rue Chiquito de Cambo. Ouvert du mardi au dimanche de 10h30 à 12h30 et 14h à 18h30.
Image d’ouverture> Montage de l’expo Capitale(s), 60 ans d’art urbain, à l’Hôtel de Ville de Paris. ©Josephine-Brueder