L’invitation de Vhils à explorer la ville d’un autre œil

Connu dans le monde entier pour ses visages anonymes creusés dans les murs des villes, Alexandre Farto, plus couramment appelé Vhils, présente son travail pour la première fois à Paris avec Fragments Urbains au Centquatre. A travers plusieurs installations, l’artiste portugais invite les visiteurs à s’interroger sur la place de l’homme contemporain dans l’espace urbain, tout en lui faisant prendre conscience du potentiel artistique de la ville.

Diagrama, Vhils, 2018.

Au milieu des danseurs, des jongleurs et des comédiens qui pratiquent leur art dans les espaces ouverts du Centquatre, à Paris, une exposition impressionnante a pris place : Fragments urbains présente sept pièces de Vhils. L’installation Crystallise en est le point de départ idéal. Celui qui fait entrer dans la démarche de l’artiste et guide le regard bien au-delà de sa présence. Les visiteurs entrent dans une pièce sombre, face à eux, sur un grand écran incurvé, une série de vidéos au ralenti évoquent les modes de vie urbains dans différentes villes où le Portugais a travaillé ces deux dernières années : Hong Kong, Macao, Pékin, Los Angeles et Paris. Aujourd’hui, plus personne ne prend le temps de regarder ce qui l’entoure… suggèrent les images qui défilent à un rythme très lent, comme pour forcer le spectateur à stopper sa course, à observer et à apprécier la beauté parfois cachée du paysage urbain.
L’œuvre suivante, Detritos, met en scène de la même manière un contenu différent. Un mur, une explosion, des débris, de la poussière et, enfin, un visage. Ici, Vhils filme son travail avec des explosifs. Cette technique, que l’artiste a utilisée pour la première fois en 2010, montre qu’on peut créer à partir d’un procédé de destruction, mais il veut aussi faire comprendre au public que tout ce qui nous entoure peut vite partir en fumée. Tout comme Crystallise, cette installation vidéo aide le visiteur à mieux appréhender la suite de la visite.
Entre les deux, Víscera, pour laquelle Vhils a eu recourt à une toute nouvelle technique, est présentée ici pour la première fois. Dans la pénombre, un portrait apparaît, éclairé par de petits flashs et renforcé par un subtil jeu d’ombre et de lumière. Ce visage qui émerge au cœur de la ville rappelle combien l’homme doit être au centre des préoccupations urbanistiques. Que serait une cité sans êtres humains pour la faire vivre ?
De l’autre côté de l’espace, les visiteurs peuvent admirer Babel. Cette tour créée à partir de portes et d’objets variés, colorés et récupérés dans différentes villes, arbore des portraits gravés. L’œuvre au nom évocateur symbolise le monde actuel en surfant sur les idées de connexion et de déconnexion présentes dans le paysage urbain contemporain.
Non loin, une ample pièce posée au sol et sculptée en polystyrène sature l’espace. Face à Diagrama, le visiteur reste fasciné par cette métropole et ses immenses gratte-ciels. Il ne doit surtout pas se contenter de rester à l’entrée, mais plutôt passer de l’autre côté de la sculpture. Là, dans un miroir habilement positionné, le reflet de la ville laisse poindre plusieurs visages. Bluffant !

Débris, Vhils, 2018.

L’exposition se termine avec la pratique la plus connue de Vhils. Dans les rues, l’artiste récupère des affiches qu’il superpose, recouvre de peinture blanche et dans lesquelles il taille des visages anonymes au cutter. Certaines couches peuvent être enlevées, d’autres mises au jour, témoignant d’événements anciens, oubliés. Camadas (notre photo d’ouverture) présente ainsi une dizaine de portraits et un paysage urbain s’intéressant à la façon dont l’identité humaine se forge ou est conditionnée par le discours visuel de la ville. La proposition interroge également la notion de vitesse à laquelle tout évolue, se développe et se transforme.
Enfin, l’installation monumentale intitulée Debris justifie le titre de l’exposition. Elle réunit des tonnes d’objets usagés, d’épaves en tout genre – voitures, scooters, réfrigérateurs, vélos, armoires, machines à laver, télévisions, baignoires… –, autant de fragments urbains que la ville produit et entasse dans l’environnement. En travaillant directement avec ce qui est jeté, Vhils exprime la violence et la rapidité des changements liés au développement des métropoles. Cette œuvre, qui au premier abord ressemble à un tas d’encombrants placés au hasard, se révèle autre à travers des écrans de surveillance : c’est un œil. Utiliser le contraste pour créer un équilibre, mettre de l’ordre dans le chaos, ainsi se déploie l’œuvre de Vhils et se termine Fragments Urbains.

De décombres, point

Camada Series #03, Vhils, 2018.

Dans le 11e arrondissement de Paris, rue Amelot, la galerie Magda Danysz présente Décombres. Complémentaire à celle du Centquatre, cette exposition est une version plus condensée de l’œuvre de Vhils. Au rez-de-chaussée, une succession de murs de briques affiche les fameux portraits, habituellement disséminés dans la ville. A l’étage, l’artiste présente une série de pièces, dont certaines inédites : des visages taillés dans des affiches publicitaires, des compositions de métal et des yeux sculptés dans des blocs de ciment. A voir absolument pour bien appréhender l’ensemble des techniques utilisées, avec brio, par Vhils.

Contacts

Fragments urbains, jusqu’au 29 juillet au Centquatre, à Paris.
Décombres, jusqu’au 28 juillet à la galerie Magda Danysz, à Paris.

Crédits photos

Image d’ouverture : Camadas (détail), 2018 © Vhils, photo M. Maudieu – Diagrama © Vhils, photo José Pando Lucas – Débris © Vhils, photo M. Maudieu – Camada Series #03 © Vhils, photo courtesy galerie Magda Danysz

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