Dédié à l’abstraction, le salon Réalités Nouvelles qui prit place au Grand palais dans les années 1980 puis pendant des décennies au parc floral, ouvre pour sa 75e édition, la saison des foires parisiennes au centre de la capitale et se déploie du 22 au 24 octobre en trois lieux : sous la verrière de l’Espace Commines dans le quartier du Haut-Marais, au Réfectoire des Cordeliers et à la Galerie Abstract Project près de la Nation où sont exposées une centaine d’œuvres de petit format. En outre, deux galeries partenaires Gimpel & Müller et Seine 55 proposent cette année en leurs murs un accrochage d’œuvres d’artistes du salon.
Depuis 1946, le Salon RN est animé par un comité d’artistes bénévoles et se donne pour objectif la promotion d’œuvres d’un art « communément appelé art concret, art non figuratif ou art abstrait ». Il réunit ainsi des artistes qui présentent chacun une œuvre – peinture, sculpture, gravure, dessin, photographie – aux côtés d’une section arts et sciences, et d’invitations faites à des étudiants en école d’art ou fraichement diplômés. Le comité de l’association Réalités Nouvelles est lui même composé d’artistes dessinateurs, peintres, sculpteurs, photographes, graveurs, tous élus pour trois ans. Avec le soutien du ministère de la Culture et de l’Adagp, ce sont toujours les artistes eux-mêmes qui œuvrent au fonctionnement du Salon et à sa réalisation. Chaque candidat est sélectionné par un jury après une rencontre ; en atelier ou lors d’autres expositions mais aussi sur dossier. Il doit s’agir de recherches et d’œuvres « abstraites » qu’elles soient allusives, conceptuelles, concrètes, géométriques, gestuelles, haptiques, lyriques, nominalistes…
Retour historique
En 75 ans, plus de 10 000 artistes ont partagé l’aventure de l’abstraction aux Réalités Nouvelles. L’expression « Réalités Nouvelles » serait née sous la plume de Guillaume Apollinaire en 1912 pour désigner l’abstraction comme la forme exprimant le mieux la « Réalité Moderne ». Cet emprunt au poète fut fait pour une exposition organisée à la Galerie Charpentier à Paris en 1939, qui s’avèrerait ainsi comme une préfiguration du Salon rassemblant les membres fondateurs de l’abstraction comme Delaunay, Freundlich, Herbin, Kandinsky, Kosnick-Kloss, Kupka, Malevitch, Mondrian, Pevsner, Taeuber-Arp, ou Van Doesburg… Robert et Sonia Delaunay y exposèrent d’ailleurs des œuvres intitulées « Réalités Nouvelles ». Et la figure du peintre allemand Otto Freundlich en reste indissociable de son histoire dès lors qu’il emploie, pour désigner l’art, l’expression « Die Neuen Wirklichkeit », soit « Les Réalités Nouvelles ». Organisé depuis son origine par un comité d’artistes bénévoles, le salon Réalités Nouvelles n’entendait pas limiter son entreprise à un rassemblement annuel d’artistes, mais souhaitait limiter en revanche sa stricte ouverture à ceux qui se réclamaient de l’abstraction ce qui en constitua la spécificité. Ses deux principaux mérites furent d’imposer cette forme d’expression comme courant artistique dominant dans la France de l’après-guerre et de s’adapter au fil des ans pour perdurer jusqu’en ce XXIe siècle.
Présidé par Andry-Farcy, conservateur du Musée de Grenoble, en 1946, le salon d’artistes tira notamment son prestige de la présence de nombreux maîtres vivants de l’art abstrait – Arp, Béothy, Sonia Delaunay, Domela, Duchamp, Gleizes, Gorin, Herbin, Kosnick-Kloss, Kupka, Magnelli, Pevsner, Picabia, Vantongerloo… et bientôt ceux de la génération montante avec Félix Del Marle, Hans Hartung, Marcel Lempereur-Haut, Jean Leppien, Henry Valensi… et d’autres, encore plus jeunes, comme Christine Boumeester, Jean Dewasne, Jean Deyrolle ou Serge Poliakoff.
Le Salon Réalités Nouvelles devint alors un passage obligatoire pour tout artiste désirant exposer, qu’il soit français ou étranger : Agam, Pierrette Bloch, Carlos Cruz-Diez, Ellsworth Kelly, Bengt Lindström, Joan Mitchell, Robert Motherwell, Aurelie Nemours, Judit Reigl, Nicolas Schöffer, Jesús Rafael Soto, Pierre Soulages, Antoni Tàpies, Jean Tinguely, ou encore Victor Vasarely, y présentèrent leurs oeuvres qui en confirmèrent son esprit d’avant-garde pour l’époque. Cependant dès 1948, la publication d’un manifeste de l’art abstrait oppose les partisans de l’abstraction « chaude » et « froide », notamment Soulages à Herbin. Puis en 1956, la nomination d’un nouveau président, Robert Fontené, s’accompagne d’une redéfinition de la notion d’abstraction avec la participation de Alechinsky, CoBrA, Olivier Debré, Maria Manton, Louis Nallard… qui côtoient les cinétiques Vasarely et Soto – rejoints plus tard par François Morellet (1958 et 1971) et Julio Le Parc (1966 et 1967). Face à la montée de l’abstraction lyrique, les géométriques se constituent en un bastion de résistance au cours des années 1960 pour ne pas être marginalisés, alors que les Madí quittent le navire. Dès lors, le Salon présente aussi bien l’art géométrique, concret – Dewasne, Nemours, Vasarely… – que l’art non figuratif – Hartung, Mathieu, Motherwell, Poliakoff, Soulages… – et toutes les tendances de l’abstraction y sont représentées jusqu’aux formes de figurations allusives.
Dans les années 1970, l’apparition de nouvelles formes d’art abstrait (Supports/Surfaces, Buren…), sous-tendues par une idéologie contestataire, incite des artistes du Salon à le remettre en question alors qu’ils en sont eux- mêmes issus. En réponse, les peintres Maria Manton et Louis Nallard proposent alors une nouvelle définition de l’abstraction, liée au gros plan photographique, dans une défense acharnée de la peinture et des artistes français, parmi lesquels Ivan Contreras-Brunet, André Marfaing, Antoine de Margerie… En 1980, le Salon devient le lieu de la permanence de l’abstraction définie comme « la peinture en elle-même » et de « l’abstraction jusqu’en ses marges » figuratives, selon les mots des présidents Jacques Busse et Guy Lanoë. Les années 2000, avec la présidence de Michel Gemignani puis d’Olivier Di Pizio, sont le moment de réflexion sur l’abstraction alors que l’art et le Salon sont pris dans le flux numérique qui bouleverse tout sur son passage. Le Salon devient un laboratoire de recherche où se croisent peinture, sculpture, arts et sciences, ouvrant de nouvelles approches à une réalité devenant virtuelle.
Le pôle art-science
Cette année, les installations arts et sciences sont à voir à l’Espace Commines. Curiosita Magnetica, est une installation proposée par les étudiants de l’ARC – atelier de recherche et de création « Interfaces Art, Science et dispositifs d’espace » – de l’Ecole Nationale Supérieure d’Art de Dijon, sous la direction de Laurent Karst, architecte-designer du collectif Labofactory et professeur à l’ENSA Dijon, à l’origine de ce travail et du dispositif de recherche sur les champs magnétiques. Maëva Ferreira Da Costa, récemment diplômée de l’ENSA Dijon, y présente également trois pièces regroupées sous le titre L’échelle de Kardashev (L’échelle de Kardashev est une méthode de classement de civilisations qui se base sur leur puissance technologique et énergétique). La présentation de ces installations fut notamment rendue possible grâce au soutien de La Chaire arts & sciences de l’Ecole polytechnique, l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs-PSL et la Fondation Daniel et Nina Carasso.
Trois axes de développement
Ainsi, comme un ADN de ce qui constitue son histoire, le salon est composé de deux grandes familles qui le structurent en deux pôles : l’un « géométrique » ou « concret », l’autre « non figuratif » qui valorise la liberté, l’informel, la géométrie aléatoire et fractale. Une tension qui traverse également les sections sculptures, gravures et photographies mais aussi la recherche Art-science pourrait-on affirmer aujourd’hui. Par ailleurs, l’association Réalités Nouvelles poursuit ses actions autour de trois axes que sont la Galerie Abstract Project ouverte depuis 2015 près de la place de la Nation, fonctionnant sur le modèle anglo-saxon des nonprofit galleries avec déjà 130 expositions présentées tout au long de l’année, et l’organisation de salons Hors les Murs qui constitue un pôle de développement basé sur une politique active d’échanges réciproques avec des artistes en Europe et dans le monde entier : comme à Belgrade (2013), Pékin (2014), Budva au Monténégro (2019) ou encore, Shenyang en Chine (2019 et 2021) où après une première collaboration en 2019, la Galerie 1905 à Shenyang a notamment sélectionné pour 2021, 28 artistes des Réalités Nouvelles qui y exposeront du 18 septembre au 21 novembre prochain. Le Salon historique annuel, qui se tiendra au Réfectoire des Cordeliers et n’a cessé de se remettre en cause au cours des décennies passées a choisi cette année de confier sa scénographie à La Réserve des Arts, une association pionnière qui innove par son approche transversale du réemploi, et réalisa pour le salon RN, 100 % des cimaises à partir de matériaux recyclés.
Le vernissage aura lieu le vendredi 22 octobre ; plusieurs prix y seront remis comme le veut la coutume par différentes revues dédiées à l’art mais aussi par le fournisseur de couleurs et encadreur Marin, célèbre soutien des artistes ainsi que par un comité de critiques réunis pour l’occasion. En 2019, ArtsHebdoMédias remettait son prix à l’artiste YLAG, pour Héliopolis, un grand dessin de format carré tout en ombres et incursions lumineuses.
En 2021, après une année blanche, c’est un nouveau défi qui attend les artistes présents au RN : trouver de nouvelles formes qui combinent l’exigence de la monstration d’œuvres dans cette ère de « virtualisation » et la nécessité d’une réponse haptique pour trouver du grain, de la rugosité et de l’aspérité dans un monde à l’esthétique de plus en plus lisse et transparente. Cette 75e édition du Salon entend proposer une sélection d’œuvres d’artistes dont la réponse à l’invitation s’inscrit sous une forme de résistance généalogique et source vive de création dans un contexte de crise sanitaire, écologique, politique et nécessairement esthétique.