Voyager du noir éblouissant au blanc profond avec Ylag

Pour sa 73 édition, qui s’étire non plus sur une semaine comme les précédents rendez-vous mais sur trois jours et jusqu’à ce lundi 21 octobre, le salon Réalités Nouvelles réunit comme à son habitude au Parc Floral de Paris 400 artistes français et internationaux présentant chacun une œuvre d’art abstrait. Peintures, sculptures, gravures, dessins et photographies sont à découvrir aux côtés d’une section arts et sciences, animée depuis six ans par le collectif Labofactory, et d’invitations faites cette année à des artistes chinois et monténégrins, rencontrés à la faveur d’expositions organisées hors les murs – à Budva, au Monténégro, en juillet-août dernier, et à Shenyang, en Chine, en deux lieux entre juillet et octobre 2019 –, ainsi qu’à des étudiants récemment diplômés de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris. Comme tous les ans depuis 2015, les organisateurs de Réalités Nouvelles ont convié ArtsHebdoMédias et plusieurs de ses confrères à récompenser chacun d’un prix une œuvre présentée sur le salon. Notre coup de cœur 2019 est Héliopolis (photo ci-dessus), un grand dessin de format carré tout en ombres et incursions lumineuses signé Ylag.

Ylag.

Sur le papier s’entremêlent noirs intenses et profonds, gris aussi denses que complexes et blancs tour à tour vaporeux ou éblouissants. Accroché à l’extrémité de l’une des larges cimaises disséminées dans le hall d’exposition, Héliopolis attire immanquablement le regard. L’esprit hésite, s’interroge sur la présence d’une œuvre photographique hors de l’espace habituellement dévolu à la discipline. Il faut s’approcher pour comprendre que l’architecture complexe et mystérieuse déployée sur le papier est le fruit d’une grande et subtile maîtrise du dessin. « En début de travail, j’essaie toujours de déterminer sur la feuille ce qui sera mon point d’ancrage, d’équilibre, explique Ylag. C’est à partir de lui que va s’articuler la suite. Je pose quelques lignes à l’aide d’un té d’architecte, puis ça devient très libre, intuitif, un peu comme de l’écriture automatique. Je remplis progressivement la feuille, il n’y a pas forcément d’esquisse préparatoire comme c’est par contre le cas pour d’autres travaux plus “minimalistes” et pour lesquels j’ai souvent besoin de réaliser un tout petit croquis, souvent de 5 cm sur 5 cm, avant de l’agrandir tout en conservant sa simplicité originelle. Dans ce second cas, le travail est plus rapide, mais exige une concentration plus forte. »

Pagodes, Ylag, 2014.

Né à Paimpol, sur la côte nord de la Bretagne, en 1961, Ylag vit et travaille aujourd’hui entre Quintin et Plésidy, au sud-ouest de Saint-Brieuc. Son nom d’artiste est l’acronyme de ses prénom et nom de famille, Jean-Luc Le Gall, mais en Breton, soit Yann-Lug Ar Gall, sous lesquels il enseigne les mathématiques et les arts plastiques en collège. La notion de transmission est tout aussi essentielle pour le professeur qu’il est que pour le créateur. « Il y a quelques années, je suis intervenu régulièrement en tant qu’artiste dans des écoles et des collèges. Je trouve cela passionnant d’être confronté au regard neuf et aux questions souvent très intéressantes des enfants. » Art et science l’ont par ailleurs toujours habité de concert, jusqu’à influencer tour à tour ses choix d’étudiant : le bac en poche, il s’orientera tout d’abord vers des études scientifiques avant de rejoindre l’Ecole des beaux-arts de Rennes, puis de reprendre deux ans plus tard le cours d’un cursus en sciences. « A l’époque, je me sentais tiraillé entre ces deux voies, restées aussi importantes à mes yeux l’une que l’autre. Je pense que ça se ressent dans mon travail. J’ai besoin, et c’est sans doute pour cela que l’aspect architectural m’intéresse, de cette “sécurité”, cette forme de rigueur que confère la géométrie. » C’est tout le contraste entre ce sentiment de précision mathématique qui émane des œuvres d’Ylag et les éruptions lumineuses nées du travail autour du blanc qui séduit l’œil du regardeur.

Chrysalide, Ylag, 2015.

Si le dessin l’accompagne depuis toujours, ce n’est qu’il y a une quinzaine d’années qu’encouragé par ses proches, Jean-Luc Le Gall accepte de soumettre ses œuvres tant au regard de professionnels que du public : une galerie parisienne, Arcturus, décide de le représenter ; les expositions peu à peu se multiplient. Ce tournant correspond également à l’adoption de nouveaux outils. « J’ai longtemps travaillé au crayon, au fusain et à la plume. Jusqu’au jour où j’ai découvert un pastel tenant très bien la feuille, permettant d’obtenir ces noirs très profonds – je dirais même éblouissants – et par là-même de travailler sur la lumière. Le but est de garder dès le départ le blanc du papier comme source lumineuse et de travailler au noir tout autour. Je ne récupère ensuite que peu de blanc, sauf parfois avec la gomme mie de pain, ou l’estompe ; il s’agit donc davantage d’assombrir progressivement la feuille, et de faire jaillir la lumière. » Les nouvelles possibilités offertes par le pastel noir vont de pair avec l’envie d’aller plus loin côté format. L’artiste s’essaie alors aux feuilles de grandes dimensions – depuis quelque temps, il travaille également sur le grammage du papier, et donc sur la matière –, jusqu’à trouver un format carré, d’un mètre de côté, qui a aujourd’hui encore sa préférence. Même si le travail s’en trouve complexifié du fait d’une plus grande difficulté « à déterminer des repères et poser des points d’équilibre ». « Cela pose d’autres problèmes techniques, mais c’est aussi tout l’intérêt ! »

Accident de blanc, Ylag, 2015.

Qu’ils évoquent une dimension cosmique ou au contraire microscopique, les lignes d’une architecture futuriste, un monde abyssal ou la rugosité d’une pierre, les univers déployés par Ylag n’ont de cesse d’explorer la richesse des liens complices qu’entretiennent noir et blanc. « J’ai toujours eu du mal avec la couleur, confie-t-il. Je me souviens de cours d’arts plastiques, quand j’étais élève au collège, où j’avais un mal fou à travailler les couleurs. Par contre, dès qu’il s’agissait de dessin pur, c’était le bonheur ! C’est vraiment le noir et toutes les valeurs de gris qui me fascinent. J’ai simplement besoin de ce travail, de passer du noir jusqu’au blanc le plus profond. C’est là que je ressens les choses. »

 

 

Crédits photos

Image d’ouverture : Héliopolis © Ylag, photo Orevo – Portrait d’Ylag © DR – Toutes les photos d’œuvres sont créditées © Ylag