Ars Electronica :
le futur de l’imagination

Cartographier le « nouveau monde » naissant, telle est l’ambition de l’édition 2020 du festival Ars Electronica, principal rendez-vous arts, sciences et technologies, se tenant du 9 jusqu’au 13 septembre dans les jardins Kepler à Linz, en Autriche. Cinq jours pour découvrir et participer à des centaines d’expositions, rencontres, conférences, performances… Sans compter la version en ligne et ses innombrables propositions artistiques. Accrochez vos ceintures, c’est parti pour un tour du monde !

« Le festival a toujours été ouvert aux signaux du futur, ouvert aux expérimentations », rappelle Hannes Leopoldseder, co-fondateur d’Ars Electronica. Avec la crise sanitaire, la notion de « nouveau monde » est devenue très à la mode et le futur une préoccupation. Mais à quoi pourrions-nous prétendre ? Plus international que jamais avec ses 120 jardins répartis sur la planète, la manifestation cherche à dessiner les contours de cet environnement en devenir, et à doter de sens les mutations en cours, proposant un riche voyage aux confins des arts, des sciences et des technologies. Les grandes thématiques contemporaines y seront abordées entre idées et projets, depuis l’écologie jusqu’à la technologie, en passant par les concepts de démocratie, d’incertitude et d’humanité. On le sait, Ars Electronica ne cesse d’élargir les réseaux de l’art et de la pensée, d’en pousser les interactions. Avec un tel programme, qui n’aurait pas envie de se promener dans les dédales planétaires des jardins du festival ? ArtsHebdoMédias vous propose un tour du monde en accéléré, un aperçu des thématiques abordées dans cette édition d’Ars Electronica mise en scène par zone géographique.

Ars Electronica Center, Linz, Autriche. ©Robert Bauernhansl

En Europe, la réflexion porte sur un devenir à l’aune des crises planétaires

Avec la COVID-19, l’incertitude rythme davantage l’année en cours, chaque acte, même infime, provoquant parfois d’extraordinaires répercutions à l’autre bout de la planète. Dans ce contexte, Ars Electronica offre plusieurs bulles d’interrogation à partir de ses jardins européens. Que ce soit en Finlande, en France, en Croatie, en Roumanie, au Portugal ou en Slovénie, chercheurs, scientifiques et artistes se confrontent au réel et au futur. L’occasion notamment de cultiver son jardin autour des notions d’environnement, de traitement de l’information, de ville résiliente et durable. De la collapsologie à l’éclosion de possibles futurs, le public enrichit sa pensée au fil d’un parcours entre œuvres et conférences. Autre aspect développé dans cette partie du monde, la question de l’éthique et des valeurs prioritaires. Faut-il vraiment en finir avec la mort ou s’atteler à préserver l’environnement ? A Paris, le collectif Heartbeat of Earth (Battement de cœur de la Terre) a planché sur le climat délivrant des œuvres interactives traitant tant du déclin de la vie océanique, que de la fonte des glaciers et de l’élévation du niveau de la mer. La Belgique, elle, spécule sur le futur. Partant du principe que les artistes sont des instigateurs de processus innovants, trois propositions sont offertes : l’une sur la résilience urbaine, l’autre sur l’éthique du génie génétique et la troisième sur l’expérimentation musicale traversée par l’IA.

A Diverse Monoculture de Jip van Leeuwenstein (NL). ©Jip van Leeuwenstein

En Afrique, l’art déconfiné en plein « lockdown »

C’est une réflexion sur les technologies du futur et leurs usages qui nous est proposée par le continent africain. Dans un monde devenu technologique, bien des défis restent à relever, notamment lorsque la technologie n’est pas accessible à tous de la même manière comme le montre le jardin sud-africain qui propose la promotion de solutions numériques et créatives. Notamment celles nées pendant le confinement, durant lequel les artistes se sont connectés pour échanger, accéder à l’art ou créer. Le jardin égyptien met, quant à lui, en exergue les problématiques de traitements de données, de leur confidentialité et de leur sécurité. Il offre aussi un espace dédié à l’expérimentation et aux collaborations artistiques liées à la création technologique. En Israël, si le confinement a sonné l’arrêt des travaux de Musrara, un groupe de recherche en art sonore, il n’a pas arrêté l’un des membres du groupe qui s’est isolé dans une grotte du désert de Judée. Ainsi coupé du monde, ce dernier a mené une réflexion interrogeant la musique tridimensionnelle et la philosophie qui l’accompagne. Expérience qui donne lieu à un court métrage agrémenté de compositions et de sons binauraux. Autres pépites à découvrir : de nouvelles formes théâtrales en lien avec les technologies numériques concoctées par des scénographes et artistes repensant les unités de temps, de lieu et d’espace.

Finding Amir/From Jerusalem to the Judaea Desert, Israel / Musrara, the Naggar School of Art and Society (Israël). ©Bat El-Dotan

En Amérique du Nord, des visions hybridées et transdisciplinaires au programme

Bienvenue dans les allées de la virtualité au Canada où le public découvre Emergences et Convergences, une exposition questionnant l’humain et sa relation au vivant. La proposition est forte : nature et technologies hybridées donnent lieu à une nouvelle écologie futuriste. Aux Etats-Unis, on s’intéresse au voyage dans l’espace et aussi à la téléprésence, notamment grâce au MIT Media Lab qui propose de chercher à comprendre les états d’absence/présence. À Chicago, on fusionne les œuvres d’art numérique et physiques dans un espace virtuel. A Berkeley la créativité sonore en alliant musique et AI, dans la Sillicon Valley, est à l’honneur. Les protagonistes se demandent si la machine peut être perçue comme un artiste à travers un événement annuel art et technologie. Au Mexique, la région de Tequila devient un pôle de recherche où on la repense dans une forme unissant résilience, respect de son identité et durabilité.

Returning the Gaze de Behnaz Farahi (US/IR). ©Behnaz Farahi

En Amérique du Sud, le monde d’après est dans l’incertitude

Dans cette partie du monde, les jardins électroniques fleurissent aussi et d’autant plus depuis l’accélération de la déforestation amazonienne et la crise sanitaire. Pérou, Chili, Argentine, et Brésil proposent de repenser la nature humaine et l’humain dans son rapport avec la nature. En outre, les questionnements très attendus sur les extrasystoles de l’Amazonie – « poumon de la Terre » de près de 7 millions de km² rétrécie chaque année davantage – s’accompagnent de réflexions sur l’avenir de la Terre et celui des terres, voire des territoires. Quant à la pandémie mondiale, elle a également une forte résonance socio-économique en Amérique du Sud et notamment au Chili. Si le monde d’après est en ligne de mire, ici on aborde avant tout sa phase de transition, remplie d’incertitudes. Les mutations socio-économico-politiques en cours et très inspirantes pour l’art engendrent une variété de projets à l’instar d’un théâtre dans un monde en ruines ou d’un spectacle dans un paysage inorganique. Pour sa part, l’Argentine se demande si l’art peut imaginer une vision nouvelle de l’humain via les technologies de pointe ou quel modèle social offrir aux générations futures à l’aune de la crise sanitaire. Le champignon, recycleur naturel, serait-il un allié potentiel de l’humain pour un avenir durable ?

A Fungus Garden au Museo del Hongo (Chili). ©Rodrigo Guerra

En Asie, des propositions entre nature et culture

À Bangkok, les sens sont en effervescence et en virtualité pour expérimenter divers niveaux d’existence. A Hong Kong, Maurice Benayoun et Refik Anadol observent les comportements de deux « extraterrestres » ne se comprenant pas, et le travail de Jeffrey Shaw, l’un des pionniers de l’art des médias visuels, est présenté dans une rétrospective, WYSIWYG. Il est également possible de suivre la route du thé grâce à un voyage virtuel dans une plantation en Indonésie. Quant à la Corée, elle propose une nature atypique. Jardin de la troisième vie est en effet un jardin du futur, où la nature physique et virtuelle se rejoignent. Ne pas hésiter à faire une halte à Tokyo, où l’on s’interroge sur le devenir de l’art médiatique avec une performance de Dommune et les œuvres de Daito Manabe, Yasuaki Kakehi et Miyu Hoso. Répertoriée par Ars Electronica en Asie, la Russie propose de naviguer entre jardins sédentaires et jardins nomades, au fil de l’eau suivis par des drones collectant des données sur la composition et la pollution fluviale, voire post-humains…

Pangardenia Boat Trip, Evgeniy Molodsov (RU). ©Anna Prilutckaia

En Océanie, imaginer la terre comme méta-sens

À l’autre bout du monde, le festival a installé des bureaux en Australie avec le même objectif de soutenir la créativité artistique et technologique. De ce côté-ci de la planète, on est accueilli par des sculptures holographiques maories en 3D, érigées sur nos smartphones. Un beau voyage au cœur de la mythologie nommé Kōrero Paki. Le périple continue à Melbourne avec l’univers délicat de Matthew Gardiner où des fleurs en origami sont animées par la robotique. Une œuvre en kit à retrouver ici. Pour sa part, Matthew Sleeth invite à la réflexion sur notre acceptation des systèmes de surveillance, notamment décuplée par la crise sanitaire. La proposition se nomme A Drone Opera. Puis, il nous faut mettre le cap vers Victoria durant l’ère précoloniale en terre aborigène, au pays du Dja Dja Wurrung, avec deux projets évoquant cette période jusqu’à celle d’une époque post-colonial utopique et invitant à la réflexion sur la notion de « territoire ». Notre tour se termine avec BIOMES, à Newcastle, où l’écologie est au cœur du Mois national australien de la biodiversité.

Kōrero Paki. ©Yinan Liu (NZ), Jermaine Leef (NZ), Uwe Rieger (DE / NZ), Holly White (NZ)

Ars Electronica pour la première fois sur le Net

Pour cette édition 2020, Ars Electronica se déroule aussi en ligne ! Une grande première pour l’événement depuis sa création en 1979. Une aventure digitale à laquelle ART Domains participe. Ce site, permettant au monde créatif d’obtenir un nom de domaine adéquat, est partenaire pour la .ART Global Gallery, où se déploient à la fois des pavillons et une galerie planétaire ! Dans cette dernière, le public découvre les œuvres d’artistes ayant soumis leurs travaux dans le cadre d’un appel à candidatures lancé en août dernier. De son côté, .ART Pavilions met en exergue plusieurs projets spéciaux sélectionnés par Ars Electronica et supportés par Softspot, Rappelons que l’hébergeur en ligne, spécialement conçu pour les expositions d’art et les événements, avait été lancé lors de la CADAF online l’été dernier dans la mesure où l’événement ne pouvait se tenir physiquement à la Monnaie de Paris, crise sanitaire oblige. Des milliers d’œuvres étaient alors à découvrir par les quelque 4000 visiteurs de l’événement. En plus des espaces d’exposition, la start up proposait également des chats publics et privés ainsi que du live streaming. Il y a fort à parier qu’à l’avenir, les événements artistiques planétaires soient hybrides, à la fois physiques et virtuels à l’instar de cette édition un peu à part d’Ars Electronica !

L’auteur de ce texte participe elle aussi à Ars Electronica en ligne. Retrouvez son travail d’artiste en un clic.

Lire aussi EDEN d’Olga Kisseleva primé à Ars Electronica.

Crédits photos

Image d’ouverture : Thoma Foundation’s pioneering Digital & Electronic Art collection/Carl & Marilynn Thoma Art Foundation, Santa Fe, New Mexico (US) ©Rachel Maclean, les autres photos sont créditées à la suite des légendes.

 

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