Ange Leccia – Antoine Bourdelle sous un autre angle

Au cœur du musée Bourdelle, passant simultanément dans trois salles en enfilade, le film d’Ange Leccia déploie sur chaque écran quinze minutes d’une narration spécifique qu’unifie la musique sidérale de Frédéric Sanchez. En un flux continuel, blanche et vive, triomphante étoile qui vient de naître, une source de lumière hypnotique que l’on dirait jaillie d’un projecteur vide d’images, fouille les profondeurs de l’œuvre d’Antoine Bourdelle, d’où, surgissant d’une nuit de légende, un peuple de bronze terré dans un repli du temps – les réserves du musée –, forme une armée silencieuse qui vibre et s’anime. Seule présence vivante parmi les sculptures, une jeune femme aussi nue que ses consœurs de métal, modèle, muse et guide, fait écho aux temps présents. A travers ce triptyque en boucle, Ange Leccia rend hommage à celui qui fut l’assistant préféré de Rodin et le précurseur de la sculpture monumentale du XXe siècle. A plus de quatre-vingts ans d’intervalle, caméra au poing, Ange Leccia dialogue avec le maître de l’expression dynamique dont il scrute la modernité à travers les sous-ensembles et les détails des pièces, faisant craquer le glacis d’une époque qui parfois peinait à s’émanciper du naturalisme ; sous la chaleur d’un regard admiratif et ému devant cette œuvre, et qui donne à partager sans retenue l’affect romantique. Scrutant les visages immobiles, le cinéaste en révèle l’intériorité sentimentale au rythme des séquences et des jeux d’ombres qui déplacent les courbes comme des silhouettes, et s’il use du grandiose pour poser l’allégorie, c’est pour mieux laisser l’inconscient jouir de cette ballade onirique, transcendance des siècles, à l’instar du cheval géant à l’entrée du musée, posé à l’ombre de la tour Montparnasse.

GALERIE

||

||

2009