Le premier port de pêche français de Méditerrannée accueille ImageSingulières, un festival de photographie qui, pour la quatrième année consécutive, donne à voir une très belle sélection de travaux qui nous font voyager à travers l’histoire du Nicaragua et des Etats-Unis en passant par celle de la Belgique ou de l’Indonésie.
A flâner dans les rues de Sète, il n’est pas rare de tomber sur une affiche scandant haut et fort cette affirmation : « Plus Sétois que Français ». Un message qui traduit bien l’ambiance à part de cette petite cité de l’Hérault suspendue dans un espace-temps qui lui est propre. Y organiser un festival de photographies n’était pas loin de relever d’une forme de pari, engagé et remporté par le photographe Gilles Favier* et son association CétàVOIR.
La manifestation s’articule jusqu’au 3 juin autour d’une dizaine d’expositions, toutes libres d’accès, offrant l’occasion de découvertes captivantes, à l’instar du magnifique travail en noir et blanc réalisé en Amérique du Sud par Sebastiàn Liste et Rafael Trobat et exposé à l’espace Paul Boyé. Le premier nous fait pénétrer dans une ancienne chocolaterie de Salvador de Bahia, au Brésil, où une soixantaine de familles ont, pendant huit ans, élu domicile. Drogue, prostitution, violence… Cette cité dans la ville concentre tous les maux d’une population abandonnée à elle-même. Rafael Trobart nous emmène, quant à lui, au Nicaragua – où il a vécu dix-huit ans –, offrant un panorama très complet et sans complaisance d’un pays à plusieurs moments-clé de son histoire : depuis la révolution populaire sandiniste en 1979 jusqu’à la transition vers une politique néolibérale.
Autre belle surprise présentée au même endroit : le travail entrepris le temps d’une résidence –dans le cadre du programme SFR Jeunes Talents – par Vladimir Vasilev sur le littoral méditerranéen. Ses clichés, eux aussi en noir et blanc, laissent entrevoir ses origines slaves, tant par la forme que par le choix des sujets – emplis de personnages et de paysages bruts et attachants –, et ne sont pas loin de rappeler le travail sur les gitans de Josef Koudelka.
A quelques pas de là, règne une ambiance fort différente au Musée international des arts modestes (MIAM) qui présente les images du célèbre présentateur en chef de la Présipauté de Groland, Jules-Edouard Moustic, lequel signe pour l’occasion de son vrai nom : Christian Borde. Porteurs d’une belle énergie, ses portraits, faussement naïfs mais résolument déjantés, et ses clichés de New York amusent en même temps qu’ils questionnent sur la condition humaine.* Agence VU.
La Maison de l’image et du documentaire (MID) abrite les magnifiques portraits de Jan Banning, mis en regard des photographies d’Ansel Adams – disparu en 1984 –, racontant la vie d’internés américains d’origine japonaise dans le camp de Manzanar, en Californie, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. A travers sa série Comfort women, le photographe néerlandais nous confronte avec l’histoire de 18 femmes indonésiennes, aujourd’hui grand-mères, réduites à l’état d’esclaves sexuelles par les Japonais entre 1939 et 1945. Un témoignage d’une grande puissance, et, par ailleurs, très bien documenté grâce aux légendes, détaillant le parcours de ces femmes, depuis leur calvaire jusqu’au retour dans leur famille. Avant de quitter le MID, ne manquez pas de faire un détour par la cour où Quand les murs parlent propose un échantillon de photos de murs, prises au Mexique, en Palestine ou au Maroc, sur lesquels des anonymes expriment tour à tour leur colère, leur amour ou leur conviction politique.
Un petit train emmène les visiteurs vers les Chais du moulin. Outre un restaurant éphémère qui fera la joie des amateurs de tielles – tourtes au calamar ou au poulpe –, spécialité de la cité héraultaise, ces grands hangars accueillent également deux expositions dédiées à des maîtres de la photographie. Stephan Vanfleteren, tout d’abord, nous emmène au cœur de sa Belgique natale, « désespérée et chaleureuse », comme la décrit Daniel Van Reybrouck en préface de Belgicum, très beau livre rassemblant les photos de l’artiste. Le festivalier entre ici dans un pays intemporel, à la fois sombre et plein de gaieté, où les jupes des grands-mères se soulèvent dans le vent, où les champs se perdent dans la brume et les rires dans les vapeurs d’alcool. La visite permet aussi de redécouvrir le travail du journaliste Gilles Caron – témoin notamment de la Guerre des Six jours et de Mai 1968, il disparaît au Cambodge en 1970 –, présenté par la fondation éponyme à l’occasion de la sortie de l’ouvrage Gilles Caron Scrapbook.
ImageSingulières est un mélange réussi de belles retrouvailles et de découvertes réjouissantes, à inscrire sans hésitation dans la liste des rendez-vous photographiques de l’Hexagone.