Musée du quai Branly – Au pays des dieux, un art sans frontières

C’est une exposition passionnante et d’une infinie richesse que met en scène le musée du quai Branly, offrant un regard inédit sur l’art de ces peuples indiens des montagnes et des forêts aux traditions séculaires, son évolution au fil du dernier siècle jusqu’à l’entrée de ses représentants dans le monde de l’art contemporain. Plusieurs œuvres ont d’ailleurs été spécialement réalisées pour l’événement parisien.

De majestueuses figures de bois sombre forment une haie d’honneur afin d’honorer les esprits des êtres disparus. Plus loin, baignées de lumière, d’imposantes sculptures équestres en terre cuite , ou encore peintes en blanc, voire même multicolores, témoignent de leur allégeance envers une divinité pour la protection accordée. Le long des cimaises, des peintures sur toile et papier rivalisent de couleurs et de symboles, racontent des histoires d’hommes et de dieux, livrent contes et légendes que nous transmettent également d’innombrables objets en bronze, fer, bois et argile ou qu’animent des bas et hauts-reliefs sobres et raffinés.

Peuplant depuis des temps immémoriaux les contrées qui dessinent les paysages s’étendant de l’Arunachal Pradesh au Tamil Nadu et du Gujarat aux îles Nicobar, les Adivasi – qui signifie en sanskrit « premiers habitants » – ils sont aujourd’hui quelque soixante millions, disséminés aux quatre coins du sous-continent indien. Longtemps en marge de l’Inde moderne et des changements intervenus notamment au siècle dernier, ils ne sont pas pour autant restés totalement isolés de la société hindoue dominante, entretenant des rapports d’ordre économique et culturel avec leurs voisins paysans ou artisans et approchant puis développant, plus récemment, des liens avec l’univers urbain.

De l’art collectif à la création individuelle

Les pratiques artistiques attachées aux rites, coutumes et vision du monde propres à chaque communauté – une dizaine d’entre elles sont ici mises en exergue – en sont progressivement influencées. En parallèle, la mise à disposition de nouveaux médias et matériaux, tels le papier, la toile, la gouache, l’aquarelle ou l’acrylique, favorisent l’émergence de nombreuses individualités, leur émancipation vis-à-vis de la collectivité et l’épanouissement d’une forme de création personnelle. C’est au travers de l’art pictural que ces évolutions sont les plus marquantes, que la rencontre et l’échange entre tradition et modernité se fait peut-être la plus lisible.

Si la peinture gond (1), par exemple, s’appuie sur une iconographie inspirée de la vie animale et végétale ainsi que des mythologies et religions locales, son univers vif et coloré s’est ainsi peu à peu enrichi d’images empruntées aux paysages de la ville et du progrès technologique. Ici une voiture, là un train, côtoie, avec un naturel désarmant, palmiers, tigres et autres images traditionnelles.

Les Rathava (2), pour leur part, aiment concevoir de vastes fresques murales pour évoquer la puissance du divin et le mythe de la Création, qu’ils considèrent en perpétuelle transformation. Et c’est donc dans un profond respect de la tradition des siens que Paresh Rathwa réalise, il y a quelques mois, une œuvre reprenant des éléments légendaires et fondamentaux que sont la terre, l’homme, la vache ou le grain, mais auxquels viennent s’ajouter une montre, un avion ou un policier, symboles de la modernité telle que l’artiste et sa communauté la perçoivent.

Dernier détour, pour sa simplicité, sa poésie et sa puissance évocatrice, vers les rives de la peinture warli, magnifiquement représentée ici par les œuvres de Jivya Soma Mashe. Sur de larges toiles de couleur ocre, de petites silhouettes blanches et géométriques font la ronde, vaquent à leurs activités divines, animales ou humaines. Quand ce n’est sa propre vie, déjà longue de soixante-quinze ans, qu’il met en scène, c’est celle des autres que le peintre se plaît à conter. Oiseau venant au secours d’un garçon amoureux, Autoroute traversant un village, L’homme qui ne voulait pas travailler, Comment les gens ont reçu leur nom, sont quelques-uns des titres savoureux qui accompagnent ses œuvres. Profondeur, fraîcheur, couleur et diversité, caractérisent une exposition qui éclaire avec brio une part méconnue de ce pays fascinant, déroutant et attachant dont les traditions millénaires entrent de plain-pied dans le XXIe siècle.

(1) Dans le centre du pays.
(2) Dans l’ouest de l’Inde.

Le buffle et l’orphelin, Jivya Soma Mashe, 1981-1982.
Le buffle et l’orphelin, Jivya Soma Mashe, 1981-1982.
Contact

Autres maîtres de l’Inde, jusqu’au 18 juillet 2010 au Musée du quai Branly, 27-37 quai Branly, 206-218, rue de l’Université, 75007, Paris, France.
Tél. : 01 56 61 70 00 www.quaibranly.fr.

Crédits photos

Image d’ouverture : vue de l’exposition Autres maîtres de l’Inde © Photo Antoine Schneck courtesy musée du quai Branly – © Jivya Soma Mashe, photo Aditya Arya courtesy National Handicrafts and Handlooms Museum, New Delhi

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