En 2008 la ville de Nice lançait un grand chantier de réhabilitation des anciens abattoirs dans les quartiers est de la ville, sur la route de Turin, un projet urbain innovant à dominante culturelle et artistique. Après mûres réflexions et recherches pilotées par la comédienne Sophie Duez, des travaux d’aménagements et de mise aux normes ont été réalisés à partir de février 2015. Un an plus tard, les abattoirs, rebaptisés dans le cadre de leurs nouvelles fonctions Sang Neuf, offrent 2500 m2 d’ateliers dédiés aux artistes des Beaux-Arts et quelque 1900 m2 destinés aux arts vivants.
Le 29 février dernier, Christian Estrosi, maire de Nice, a annoncé la livraison, au 1er avril, de 29 ateliers d’artistes venant compléter ceux déjà occupés par les artistes du collectif La Station. Ce projet ambitieux accueillera en 2016 un pôle architecture avec, notamment, les services d’urbanisme de la ville et, pour élargir ses domaines de compétences, en 2017 sont programmées la réalisation d’un centre de formation aux métiers d’art, l’ouverture d’un incubateur pour des start-up dont les activités seront liées à la culture et à la santé, de résidences d’artistes, d’une bibliothèque ouverte sur le quartier et d’une salle de concert. Sous l’impulsion de cette nouvelle dynamique de la ville orientée vers les arts, d’autres initiatives privées ont vu le jour.
Pratiques collaboratives à la Villa Arson
Me voila donc prête à arpenter la cité et ses environs pour découvrir une riche programmation, des lieux insolites, des acteurs et des créateurs engagés. Incontournable et véritable moteur de l’activité artistique en région Paca, la Villa Arson réunit à la fois l’Ecole nationale supérieure d’art, une résidence d’artiste, une médiathèque et un centre d’art. Un ensemble qui contribue largement au rayonnement national et international de Nice. Sous la direction d’Eric Mangion, la programmation du centre d’art révèle des choix éclectiques et pointus faisant appel à des artistes venus du monde entier. La première exposition de l’année fait suite à une résidence de la Britannique Sonia Boyce. Figure clé de la scène artistique British Black Art dans les année 1980, elle est une adepte des pratiques collaboratives mêlant musique, performance, vidéo et installation. Avec Vânia Gala (chorégraphe), Astronautalis (chanteur hip hop) et les étudiants de l’école d’art, elle a réalisé une performance filmée au sein de l’architecture brutaliste de la Villa Arson. Ce premier matériau monté et retravaillé se présente dans l’exposition Paper Tiger Whisky Soap Theatre (Dada Nice) sous forme d’installation où se déploient dessins et vidéos de différents formats évoquant les effets de l’improvisation propre au jazz-scat (jazz vocal) et aux mouvements du corps Dada au sein du modernisme. A voir jusqu’au 30 avril.
Hôte coréen au Mamac
Je dévale les collines niçoises où se niche la Villa Arson pour me rendre au Mamac (Musée d’art moderne et contemporain). Je m’émerveille à chacune de mes visites devant cet ensemble architectural de marbre blanc qui réunit le musée et le théâtre en un espace suspendu sur la promenade du Paillon (du nom de l’ancien cours d’eau qui traversait la ville, enfoui aujourd’hui). Réparti sur trois niveaux, l’institution, dont la spécificité réside dans le rapport entre le nouveau réalisme et l’abstraction américaine, s’est dotée depuis quelques années d’une galerie contemporaine au rez-de-chaussée du bâtiment.
Du 27 février au 24 avril, l’exposition Afloat présente une trentaine d’œuvres de l’artiste coréen Peter Kim. De sa culture originelle et de son approche du monde occidental, émerge une pratique artistique très personnelle, libérée de toute contrainte. « En utilisant la répétition de points et de lignes à l’infini, confie l’artiste, j’exprime quelque chose que l’on ne peut pas voir mais qui laisse apparaître ma perception du monde en état de chaos et le caractère incertain de l’avenir. Je cherche à transcrire une dualité dans mon œuvre : exprimer quelque chose d’invisible à travers le visible. »
Au second étage du Mamac, une très belle exposition collective rend hommage au minéral. Qui, petit ou grand, n’est pas parti à la chasse aux cailloux, collecter les spécimens les plus curieux pour les arranger en une constellation de petits trésors ? Cet attrait oscille entre la simple curiosité d’amateur et la contemplation esthétique, entre la croyance spirituelle ou magique et l’expérimentation scientifique. Conçue comme une véritable immersion, l’exposition Le précieux pouvoir des pierres imbrique plusieurs temps restituant les différentes résonances et vibrations singulières que les artistes confèrent aux minéraux. Utilisés à l’état brut tels des ready-made, collectés, mis en scène, soumis à des expérimentations ou encore transformés, les minéraux s’affichent tantôt sous la forme d’un cabinet de curiosités, tantôt dans un univers paradoxal entre réalité et fiction, croyance et mythe, leurre et simulacre. Ici, grande place est faite au merveilleux. A voir jusqu’au 15 mai.
Conversations sculpturales à la Fondation Maeght
La Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence présente l’exposition Trois hommes dans un bateau, sous la forme d’une conversation : trois grands sculpteurs reconnus sur la scène internationale tentent de répondre avec brio et humour à la question « Qu’est-ce qu’être un sculpteur aujourd’hui ? ». Cela fait plusieurs années que Richard Deacon, Sui Jianguo et Henk Visch collaborent et réfléchissent ensemble sur cette thématique. Alors que le genre « sculpture » a éclaté au XXe siècle au gré des environnements, des installations, des théâtres performances ou encore des espaces virtuels numériques, ces trois artistes réaffirment à leur manière l’importance de l’expérience de la sculpture pour l’individu comme pour la société. Dans cette exposition conçue par les trois artistes eux-mêmes, les œuvres proposées entretiennent des « conversations secrètes » avec certaines des sculptures majeures de la Fondation Maeght.
C’est le cas des grandes constructions abstraites en métal de Richard Deacon avec les stabiles d’Alexander Calder, de la méthode de touches et de modelés de Sui Jianguo avec la pratique d’Alberto Giacometti et, enfin, des formes ludiques et colorées des silhouettes de Henk Visch avec les Personnages de Joan Miró. Les œuvres de Richard Deacon dégagent une remarquable puissance physique. Son abstraction se construit avec la géométrie comme avec l’organique et la sensualité, en construisant de nouveaux espaces sensibles. Son travail évoque la relativité, la complexité, le changement, l’instabilité et les métamorphoses. Sui Jianguo, pour sa part, entretient un rapport très étroit à la matière et au corps humain, qui entre en contradiction avec le monde des objets. Il joue de la puissance symbolique des matériaux en travaillant le granit, l’acier ou la terre dans un processus créateur où l’artiste combat la matière pour faire naître une forme entre figuration et abstraction. L’artiste néerlandais Henk Visch occupe aujourd’hui une place très singulière dans le paysage de l’art contemporain. Qu’il soit abstrait ou figuratif, son travail met en relation des sculptures, d’échelles très différentes, dans des matériaux très divers allant de l’aluminium, peint ou brossé, au bronze en passant par le bois ou l’acier. Ses figures humaines toujours synthétiques sont, tour à tour, debout, assises ou contorsionnées. Les corps sont tordus, les têtes trop grandes ou trop petites et les membres étrangement allongés ; chacune de ses sculptures défie la réalité, cherchant à proposer des « espaces sans limites pour la pensée ». A voir jusqu’au 13 mars.
La Station investit le Sang Neuf
Le collectif La Station, tout premier locataire du Sang Neuf (anciens abattoirs de Nice), a invité deux artistes dont les pratiques respectives se retrouvent autour d’un même intérêt pour le détournement, la manipulation et l’activation de l’objet. C’est en remarquant le réseau de rails ornant les plafonds des locaux que Laurent Faulon et Delphine Reist ont pensé l’exposition Flux Tendu. Composée d’œuvres suspendues à cette armature métallique, vestige des anciens abattoirs où étaient suspendues des carcasses de viande, la proposition témoigne, par la variété des productions (in situ, décontextualisées, produites en série, sculptures éphémères…), des différents formats qui norment l’art contemporain et, de manière plus générale, des dynamiques qui régissent aujourd’hui notre existence. « Sur fond de désastre écologique annoncé et amorcé, l’exposition tente d’offrir aux visiteurs une expérience cathartique, un joyeux potlach artistique où des œuvres sont sacrifiées afin de désamorcer la violence collective de nos sociétés et les frustrations qui la génère. La gravité le dispute au grotesque, le dégoût à la gourmandise, le désespoir à l’éclat de rire », détaille Laurent Faulon. A voir jusqu’au 2 avril.
Détours photographiques
Je ne résiste pas à l’affiche et me rend au Théâtre de la Photographie et de l’Image pour découvrir les nouvelles œuvres de Patrick Tosani. Si ce dernier pratique une photographie conceptuelle et minimaliste, il a aussi et surtout tracé une voie singulière et expérimentale. Insistant lui-même sur cet aspect, il dit de sa photographie qu’elle est « enregistrement puis témoignage d’une expérimentation ». L’originalité de son travail semble résider dans le fait que son œuvre témoigne d’un phénomène tangible, d’une véritable présence, mais où la réalité est finalement « remise en cause, interrogée, déjouée et questionnée de manière poétique, presque existentielle dans notre rapport au monde ». Il joue systématiquement sur la monumentalisation et, à l’inverse, sur la miniaturisation des objets, créant de ce fait une perpétuelle déstabilisation perceptive. Ainsi, de simples objets du quotidien accèdent au rang de totem. La grande question qui traverse son œuvre est à n’en pas douter celle du corps. En témoigne la série consacrée aux talons et les multiples travaux effectués autour du vêtement – aplati, déplié, froissé, rigidifié, encollé. L’artiste nous donne à voir une œuvre vivante, en perpétuel devenir, et dont la séduction plastique emporte l’adhésion du regardeur. A voir jusqu’au 29 mai.
Parmi les heureuses initiatives évoquées au début de mon périple notons, à deux pas du Mamac, la création d’un lieu dédié à la photographie contemporaine : Uni-vers Photos, un espace de formation qui, à partir du mois de mars, sera doté d’un laboratoire argentique, mais aussi un lieu de diffusion et d’échange. Dirigé par son créateur William Abitbol, le lieu ouvre ses portes au public lors des expositions organisées tous les deux mois ; de belles occasions de découvrir de jeunes talents venus de tous horizons dans un lieu émérite et convivial. Du 26 février au 19 mars, les travaux de Franck Follet occuperont les cimaises. Intitulée Empreintes, l’exposition révèle trois séries de l’artiste dont les univers se rejoignent.
Sur le cours Saleya, à deux pas de la Galerie de la Marine et de la Galerie des Ponchettes, qui à elles deux représentent la plateforme des musées de Nice dédiée à la promotion de la jeune création, un nouvel établissement a vu le jour dans l’intimité presque confidentielle d’un appartement. La Circonstance galerie a été inaugurée en septembre 2014. Florence Farrugia, maîtresse des lieux, a étudié à la Villa Arson, puis à l’Ecole d’art de Cergy. Ayant abandonné sa pratique artistique, elle se consacre dorénavant à la promotion de l’art contemporain et, notamment, de talents comme Michel Blazy, Karim Ghelloussi, Djamel Kokene-Dorléans, Sylvie Fanchon, Jean-Luc Blanc et bien d’autres encore.
Actuellement ce sont les travaux de quatre d’entre eux qui se répondent dans l’exposition Cristal. Les toiles bicolores de Sylvie Fanchon ont toujours à voir avec le monde sans le représenter. L’artiste renverse les mots, économise les gestes, s’éloigne du but pour l’atteindre. De son coté, Jean-Luc Blanc interroge la place de l’image. Ses œuvres offrent une expérience spéculative, étrange et troublante. L’image choisie dans son apparente insignifiance, dans sa pauvreté, se transforme en abîme. Dans les trois installations qu’il propose, Djamel Kokene-Dorléans dédie le geste à l’autre. Le spectateur devient alors acteur du process. Au sol, une couverture recouvre du pain dur, les crissements sous nos pieds rappellent les craquements du cristal brisé et nos déplacements dessinent le relief d’un territoire à venir. De savants mélanges de matériaux naturels et artificiels constituent le support des investigations de Michel Blazy. Ses œuvres sont des vanités qui évoquent à la fois la vie humaine et son caractère éphémère. A voir jusqu’au 12 mars à la Circonstance galerie.
Où dîner ? Créé au début du siècle, aux portes du Vieux Nice, Le Café de Turin se situe à deux pas du Mamac (musée d’Art moderne et d’art contemporain). Lieu de rendez-vous mythique des citadins niçois, fréquenté le week-end par les frontaliers italiens, il est ouvert non-stop de 8 h à 22 h. Vous pourrez y déguster tous les fruits de mer selon les arrivages, au zinc ou attablé. L’endroit est idéal pour percer l’âme du pays. > 5 place Garibaldi, 06300 Nice. Tél. : 04 93 62 29 52.
Où dormir ? L’hôtel Windsor, à deux pas de la Promenade des Anglais, est un véritable petit musée : sur les 60 chambres disponibles, une vingtaine sont conçues et décorées par des artistes tels que Jean Le Gac, Olivier Mosset, Ben, François Morellet, Claudio Parmiggiani… Une sensation unique d’appartenir à l’œuvre ou de côtoyer, de façon intime, l’imaginaire de l’artiste. Un petit jardin, avec piscine, nous laisse entrevoir le savoir-vivre d’un autre temps, celui du début du siècle dernier qui a vu naître l’établissement. Restaurant titré Maître Restaurateur en juin 2014 : hammam/sauna, massage et salle fitness au dernier étage, le prix de la chambre double varie de 120 à 215 € en haute saison. Petit déjeuner : 14 €. > 11, rue Dalpozzo, 06000 Nice. Tél. : 04 93 88 59 35.
Pour en savoir plus ! Vous trouverez dans la plupart des lieux d’art contemporain et des musées le guide format papier De l’art, également consultable en ligne ici. Par ailleurs, le réseau Botox(s) reste incontournable concernant l’info et l’actualité de l’art contemporain sur la Côte d’Azur.