Histoire de finir 2015 sur un clin d’œil, la rédaction vous propose une singulière rétrospective fondée sur ce que nous avons vu durant l’année. Il n’est pas ici question d’établir un énième classement, top 50 ou palmarès, encore moins de remettre des prix ou des bons points, mais d’offrir un panorama subjectif de ces douze derniers mois. Chaque auteur a choisi un artiste et une exposition. Il ne s’agit pas d’informer au sens strict mais de partager des choix pour des raisons à la fois sensibles et personnelles. Une douzaine de lignes pour s’expliquer, ou presque ! L’exercice a séduit et amusé parce qu’il était décidé comme ne reposant sur rien d’autre que l’envie et la liberté de s’exprimer sur des œuvres qui tiennent à cœur. Chacun d’entre nous s’est vu confronté au choix. Evidemment qu’en un an, il se trouve bien plus de deux sujets à évoquer, mais le challenge résidait précisément dans cette capacité à ordonner les priorités. Sensation, histoire, sentiment, défense d’une cause, découverte… tous les prismes ont été utilisés et croisés. La seule obligation était de s’engager. Devant nos yeux ont défilé les expositions les plus en vue ou les plus marquantes, comme le face-à-face Egon Schiele/Jenny Saville organisé par le Kunsthaus de Zürich, His Master’s Voice proposée par La Panacée, à Montpellier, ou Anima/Animal présenté par l’abbaye de Saint-Riquier. Les noms d’artistes dont nous avions envie de parler se sont bousculés sous cette plume qui tentait de mettre de l’ordre dans notre esprit. Il y avait là, en tête et sans possibilité de rendre dans toute son exhaustivité le foisonnement de nos réflexions : James Turrell et Loris Gréaud, Marine Joatton et Marlene Dumas, Luc Tuymans et Rina Banerjee, Pat Andrea et Francesca Caruana, sans oublier Fred Forest, Liu Bolin, Miguel Chevalier, Antony Gormley, Pascale Marthine Tayou, Erwim Wurm, Damien Cabanes, Carl Andre, Sylvie Blocher, Marina Abramovic, Fabrice Hyber… Stop ! Vous l’aurez compris le choix était cornélien. Voici donc déposé sous vos yeux notre cadeau de fin d’année. Joyeux Noël à tous !
Pour Marie-Laure Desjardins
Jean Le Gac. Pourquoi choisir Jean Le Gac ? Parce qu’il est un artiste français majeur dont on ne parle que trop peu et qu’en 2015, il a imaginé au Musée de Carouge, en Suisse, une exposition à la fois inattendue et remarquable. Dans cette ancienne bâtisse de la banlieue de Genève, le peintre s’est emparé de l’ensemble des pièces du rez-de-chaussée pour y créer L’atelier parallèle, entendez un second lieu de vie. Et oui, certains travaillent au fond de leur jardin, Jean Le Gac, lui, a pris l’habitude de s’installer dans n’importe quelle pièce de son appartement parisien. Au bout de la table dans la salle à manger, dans la pièce de projection, au milieu de ses bouquins… Il se déplace d’un endroit à l’autre empruntant des couloirs au parquet bien ciré. Transférer tout cet environnement en Suisse étant impossible, l’artiste s’est évertué à en recréer l’atmosphère. Aux murs, dans des vitrines, les œuvres s’exposent comme à la maison. Le visiteur passe d’une pièce à l’autre en s’attendant à croiser le maître des lieux. Conteur, lecteur, peintre, photographe, écrivain, Jean Le Gac imagine des aventures à la manière d’un cinéaste, il navigue sans cesse entre réalité et fiction, entre sa vie et celle du personnage central de son œuvre. Ses tableaux alliant peinture, photographie et écriture montrent des scènes dont l’essence et la facture sont reconnaissables entre mille, des scenarii qui nous entraînent à travers différents temps et espaces. Un portemanteau déjà bien garni attend. Une soupière est servie. Il ne manque plus que les invités ! Autant de détails auxquels l’artiste s’attache pour nous conter des récits romanesques. En 2016, le centre d’art contemporain perpignanais A cent mètres du centre du monde lui consacrera une rétrospective. Heureusement que certains ont les yeux ouverts.
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La nouvelle histoire, au centre d’art A cent mètres du centre du monde, à Perpignan. J’aime la peinture, en général. Contemporaine, en particulier. De qualité, évidemment. Je vais éviter d’entonner un couplet entier sur le sort peu enviable de cette dernière que d’aucuns ont condamné sans appel. Elle n’avait soi-disant plus rien à dire. Mon avis est tout juste à l’opposé de ces pensées dogmatiques qui veulent avoir raison de la création, de l’imagination et de la liberté. De vrais peintres, il y a en a encore. Et d’excellents. Notre temps s’incarne dans leur travail et nos âmes y trouvent indifféremment la joie, l’oubli, le repos, la réflexion, le plaisir, la force… La plus belle exposition collective de peinture qu’il m’a été donné de voir cette année a été pensée par Pat Andrea pour le centre d’art A cent mètres du centre du monde (du 17 octobre au 20 décembre). Là, dans cet espace ouvert à la lumière, l’artiste a réuni les initiateurs d’une Nouvelle histoire. Nombre d’entre eux sont passés par son atelier des Beaux-Arts de Paris ou ont fréquenté cette même école. Tous ont développé une peinture très subjective et engagée, profondément nourrie de leurs méandres sensibles. Tous sont figuratifs. Quel bonheur ! Comprenez, je n’ai rien contre l’abstraction ou prétendue telle, c’est juste qu’il y avait une véritable jubilation à passer de la lascivitéfluorescente d’Axel Pahlavi à l’étrangeté de Simon Pasieka, des compositions inattendues de Jean-Philippe Paty aux récits mythologiques de Nazanin Pouyandeh, des sujets extraordinaires de Brann Renaud à la virtuosité du dessin de Jérôme Zonder. Pat Andrea et Ghasem Hajizadeh étaient les figures tutélaires de l’étape. Avec de tels anges gardiens, tout est permis. Enfin ! Et merci.
Pour Yassine El Azzaz
Emeric Lhuisset. La guerre est partout. Dans le réel, mais aussi dans l’image et les imaginaires. En Syrie, en Afghanistan ou en Ukraine, Emeric Lhuisset va au-devant de la guerre pour en construire une nouvelle représentation. Inscrit dans le temps long qui le caractérise, il n’en demeure pas moins ancré dans l’actualité. Après plusieurs rencontres avec les combattants révolutionnaires de l’armée syrienne libre, il installe une caméra sur le torse d’un rebelle pour rendre compte de son quotidien. On est loin des fantasmes martiaux véhiculés dans les médias. Ni larmes ni sang, pas même des flammes. Seuls l’ennui et l’attente côtoient le silence des ruines. Emeric Lhuisset court-circuite le dispositif médiatique classique pour donner à voir la guerre de l’intérieur. Le plan séquence est diffusé en boucle et en temps réel, il dure 24 heures. Le combattant redevient homme aux yeux du monde. Il boit son café le matin, fait une sieste l’après-midi. Le point de vue choisi par l’artiste permet de l’accompagner. En Ukraine, l’enjeu est tout autre. Il s’agit d’immortaliser, par une mise en scène solennelle, le regard de ceux qui ont fait fuir le président Ianoukovitch. Leurs portraits sont ensuite exposés dans le centre ville de Slaviansk, là où ils sont considérés comme des ennemis. Une démarche courageuse et pertinente qui fait d’Emeric Lhuisset un artiste à suivre absolument.
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Sarkis avec Paradjanov, exposition présentée par la Fondation Boghossian-Villa Empain, à Bruxelles, jusqu’au 31 janvier 2016. Difficile d’installer une spiritualité médiévale dans la froideur marbrée d’une villa Art déco ? C’est sans compter la maîtrise « sarkissienne » d’un va-et-vient permanent entre les espaces et les temps, entre les œuvres et les lieux qui les accueillent. A l’occasion du centenaire du génocide arménien, l’artiste rendait un hommage poignant à Sergueï Paradjanov, cinéaste et poète prolifique. Sarkis avec Paradjanov invite à plonger dans un océan de symboles, sur les traces de Byzance. Les Ikônes de l’artiste dialoguent avec les personnages produits par le cinéaste pendant ses années d’emprisonnement. Des plumes, du carton et autres morceaux de plastique fusionnent dans des collages et des costumes taillés pour les plus improbables scénarios. Chineur, Sarkis ne l’est pas moins. C’est dans les tiroirs personnels de Paradjanov qu’il découvre les tissus utilisés pour le portrait de ce dernier ; auquel il ajoute une coiffe de bandes magnétiques appartenant à certains films du réalisateur. Vecteurs de transmission et de mémoire, elles sont aussi présentes dans la collection de miniatures exposées dans une petite vitrine de la même salle. Si le récit fait vivre la mémoire, c’est bien l’objet qui la porte.
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Pour Véronique Godé
Patrick Roger. Je marchais dans le Marais quand sur le fronton de la galerie éphémère Nikki Diana Marquardt, au n°10 de la rue de Turenne, je vois filtrer par la porte entrouverte une belle lumière bleu-vert ; curieuse, j’entre et c’est un choc sensoriel ! Douze lionnes de taille réelle sont assises en cercle autour des restes d’un festin, du haut d’un pylône pend un énorme morceau de viande, alors qu’une jeune femme assise à une interminable table de bois discute avec un homme debout dans le calme et la sérénité. Au-dessus d’eux, une sculpture sonore composée d’une quarantaine de plaques d’aluminium ponctue l’espace temps, tout en réfléchissant les rayons du soleil qui dardent à travers la véranda. Je perçois une odeur de chocolat. Nous ne sommes ni au zoo, ni dans un salon de thé, mais bel bien dans une galerie, ou plutôt dans ce que le sculpteur et chocolatier Patrick Roger appelle son pop-up store. Car dans le contre-champ de cette impressionnante mise en scène, un homme en tablier, pieds nus, s’affaire. Ses sabots noirs ont été laissés à l’entrée d’un espace atelier dont le parquet et le mobilier sont en chocolat ! Daïsuké – tel est le nom du bras droit de l’artiste Patrick Roger – s’évertue à façonner de magnifiques sapins miniatures saupoudrés de sucre glace. Toute une forêt qu’il ne quitte que pour emballer les trésors à base de cacao que vous avez choisi d’emporter. Mais si la bidoche suspendue est elle aussi en aluminium, dans quelle matière les lionnes ont-elles été sculptées ? Il vous reste jusqu’au 31 décembre pour le découvrir !
Follia Continua !, au Centquatre, à l’automne à Paris. J’avoue avoir un faible pour la galleria Continua, non pas seulement pour le choix de ses artistes, pour ses convictions ou ses utopies, mais aussi pour sa façon conviviale et généreuse d’accueillir ses publics : lors de pique-niques dans ses anciens Moulins de Seine-et-Marne depuis 2007, ou dans les vignes et les ruelles de San Gimignano en Toscane, où elle fut fondée en 1990. Toutefois, c’est au Centquatre à Paris qu’elle a fêté ses 25 ans cette année ! José-Manuel Gonçalvès, en maître de cérémonie pour cet anniversaire inspiré, avait savamment réparti sur les 2 000 m2 de l’institution les œuvres sélectionnées d’une cinquantaine d’artistes. Le vaisseau d’acier d’Antony Gormley fut assemblé au milieu de la cour. Il y est encore émergé ! Du haut de la tour qui domine la rue Riquet, la chute simulée de l’ange déchu de Sun Yuan & Peng Yu semblait d’autant plus impressionnante. Happée par le vertige, je me faufilais, sur la pointe des pieds – de peur de les renverser –, entre les colonnes de soupières de Pascale Marthine Tayou. Il régnait ce jour-là une lumière particulière, filtrée par les vitraux de couleur conçus par Daniel Buren. J’ai aimé suivre le labyrinthe d’Anish Kapoor jusqu’au cœur d’une tornade comme si je n’étais que vent et poussière. Contempler les oscillements d’un rideau dans une vidéo de Sabrina Mezzaqui ou les pérégrinations d’une araignée espiègle sur des corps nus. L’art n’est autre qu’une question de point de vue, un rafraîchissement de l’esprit. Je rejoignai alors le groupe guidé par le galeriste Lorenzo Fiaschi qui nous expliqua comment ils avaient convaincu des pêcheurs cubains d’aligner leurs bateaux pour former, dans le détroit de Floride, les cercles symboliques du Troisième Paradis. Cette performance de Land art parfaitement illégale, orchestrée par l’artiste Michelangelo Pistoletto, fut réalisée avec brio le 16 décembre 2014, soit la veille du jour où Raoul Castro et Barack Obama se sont appelés pour la première fois ! Depuis, la galleria Continua réfléchit avec le gouvernement du pays à l’ouverture d’un espace d’art contemporain à la Havane qui possède déjà sa biennale.
Pour Charlotte Waligòra
Anish Kapoor. Son œuvre Dirty Corner a été vandalisée à deux reprises dans les jardins du Château de Versailles, en juin et en septembre 2015. Le second acte de vandalisme, daté du 6 septembre, visait vraisemblablement les origines juives de l’artiste indien. Dégradation que la plupart des tagueurs et graffeurs de la rue auraient rechigné à exécuter, me semble-t-il. La première avait été nettoyée ; des projections de peinture jaune que la longue cavité d’acier oxydé garde toutefois en mémoire à sa surface. Le matin du 7 septembre, commence un étrange ballet d’informations : l’artiste souhaite – « à chaud », dira-t-on plus tard – garder les marques d’une haine antisémite qui flirte pleinement, en cet instant, avec la haine de l’art contemporain. « Cette fois, je suis convaincu qu’il ne faut rien retirer de ces insultes, de ces mots propres à l’antisémitisme que l’on voudrait aussitôt oublier. » Pasolini pensait : « C’est un devoir de scandaliser et c’est un plaisir de scandaliser. » Cette espérance sera pour une autre fois. Nouvelle visite de l’exposition : malaise mais conviction que la décision de l’artiste est la bonne, car il est bien évident que ce n’est pas en effaçant ces insultes qu’on effacera les haines sectaires et nationalistes irréfléchies et non pensées de notre pays. Le 8 septembre pourtant, alors qu’Anish Kapoor est victime d’une situation contre laquelle nous aurions dû nous insurger, Fabien Bouglé, conseiller municipal de Versailles, dépose plainte contre l’artiste pour « incitation à la haine raciale, injures publiques et complicité de ces infractions ». On lira ici ou là que Kapoor joue la carte du scandale, on parle énormément d’argent, alors que les œuvres préexistaient et que deux galeries phares de l’artiste ont co-financé la production. Les inscriptions seront effacées. Quelques jours plus tard, l’œuvre est à nouveau vandalisée : « Respecte l’art comme tu crois en dieu », est-il inscrit en rose le long du tube métallique. En respectant l’art comme on peut croire en dieu, Anish Kapoor décidait de donner à voir au monde entier ce dont il a été victime, sur le territoire français, et a essayé de transformer l’atteinte « en mémorial de la honte », un miroir de ce que nous éludons au lieu de l’observer en face afin d’y remédier. Par cette attitude, Anish Kapoor nous a rappelé que les artistes plasticiens pourraient de temps en temps, peut-être, (ré)agir activement et visiblement contre les plus indignes agissements.
Anish Kapoor au Château de Versailles. Du 9 juin au 1er novembre, l’ancienne résidence royale a offert au public international qui fréquente ce haut lieu de la culture et de l’histoire française une exposition Anish Kapoor. Pour cette édition, il a été demandé à l’artiste de réfléchir à la notion de pouvoir. Faute de budget pour la production de nouvelles pièces, il a décidé de présenter des œuvres préexistantes, remaniées pour l’occasion, adaptées à l’échelle du lieu. Six œuvres monumentales ont été sélectionnées. Quatre (C-Curve, Sky Miror, Dirty Corner et Descension) ont rythmée le grand axe est-ouest de la somptueuse perspective Le Nôtre s’épanouissant à l’infini, une œuvre (Shooting on the corner) a été déposée dans la Salle du Jeu de Paume, rappelant le caractère sanglant des évènements qui suivirent la prise de la bastille (1789), l’arrestation du Roi (1791) et sa décapitation (1793). Sectional Body preparing for Monadic Singularity (2015) a été placée dans le Bosquet de l’Etoile et offre un jeu de dialogue avec le minimalisme américain doublé d’un clin d’œil jubilatoire à James Turrell (né en 1943) ainsi qu’à l’installation Leviathan, présentée en 2011 au Grand Palais. Chaque œuvre d’Anish Kapoor doit être perçue comme un « non-objet » – trompe-l’œil volumétrique – qui interagit avec le spectateur faisant souvent l’expérience d’échelles qui le dépassent et bouleversent son rapport à l’espace. La passion de l’artiste pour les matériaux et leur système de montage toujours visible est perceptible à chaque pas et l’exposition a fonctionné comme une rétrospective – aucun musée français n’aurait pu accueillir un tel ensemble pour des raisons d’espace – coïncidant et interagissant magistralement avec l’environnement géographique et historique que forme le château et les jardins de Versailles, jusqu’au actes de vandalisme, leur gestion et les réactions suscitées. Un sans faute pour l’artiste judéo-hindou, originaire de Bombay, établi en Angleterre et présenté dans le monde entier.
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Pour Caroline Figwer
Julien Salaud. Voilà bien des années que nous nous intéressons au travail de Julien Salaud, que certaines images refusent obstinément de quitter nos rétines : les précieux et fantasques dessins d’insectes présentés au Palais de Tokyo en 2010, les animaux stellaires vus aussi bien au Salon de Montrouge (2010 et 2014) qu’à la Fondation Ricard (2011) ou encore au Jardin des Plantes (2013) ; mais l’œuvre qui nous a fait totalement basculer du côté merveilleux de sa force, c’est sans conteste Fleuve céleste. Cette monumentale installation visible jusqu’en 2018 dans les caves Ackerman, près de Saumur, est tout simplement sidérante. Installée à vingt-cinq mètres sous terre, elle couvre l’intégralité des parois et des voûtes d’une impressionnante nef naturelle de 60 mètres de long. Entièrement réalisé avec quelques 45 kilomètres de fil de coton blanc et plus de 65 000 pointes en acier inoxydable plantées dans la roche, l’immense dessin rehaussé par la lumière noire (ultraviolets) révèle une mythologie foisonnante pleine d’êtres anthropomorphes, d’animaux extraordinaires. Ici, un faune à l’orée d’un bois. Là, une chouette saisie en plein vol. Dans le ventre de la déesse mère, à l’abri du tumulte des hommes, un monde est né de la main d’un artiste sincère et sensible. Lire aussi Le chamane et l’universel
Une liaison contemporaine, à Enghien, Paris, Villeneuve-lès-Avignon et Lille. C’est sans conteste l’installation la plus émouvante de l’année. Une liaison contemporaine est à la fois une œuvre numérique et littéraire. N’en déplaise aux rabat-joie qui n’évoluent que dans des mondes verticaux ignorant toute sédimentation et transversalité. Cette création a été imaginée par l’auteure, metteure en scène et comédienne Carole Thibaut et réalisée en collaboration avec le collectif InVivo. Elle immerge le public dans une histoire d’amour cachée, en marge du quotidien des protagonistes, dont les mots tentent d’endiguer le flot impétueux de leurs sentiments ou d’établir le récit subjectif de cette aventure si humaine. Dans ce cube de verre, envahi d’images, de musique et de monologues, Elle et Lui creusent le sillon de leur relation impossible et magnifique. La mise en espace est simple et efficace. Chaque étape révèle un angle, un point de vue particulier et essentiel de cet amour éphémère et foudroyant. Dans la pénombre, les yeux se ferment pour n’avoir qu’à écouter, le cœur accélère à l’énoncé de sentiments qui n’étaient pas censés appartenir à d’autres… Groggy, l’âme retournée, le visiteur sort à regret de ce rêve éveillé, de ce temps à l’arrêt.
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Pour Anne-Laure Robert
Valérie Belin. Animé, inanimé ? La frontière est souvent floue dans les photographies de Valérie Belin. Comme en témoignent ses portraits. Entre mannequin de cire – représentation de la réalité – et mannequin de défilé, quelle est la représentation la plus réelle ? La femme mannequin est certes un véritable être humain de chair (si peu) et d’os (surtout) mais elle est là pour représenter une beauté parfaite qui n’existe, finalement, que peu dans la réalité. Ainsi, pour sa série Super Models, dévoilée à l’occasion de l’exposition Images Intranquilles au Centre Georges Pompidou entre juin et septembre 2015, l’artiste oblige ses modèles à prendre une pose totalement statique. Puis elle travaille la brillance des yeux, des cheveux, pour un rendu presque factice. Tout comme les contrastes pour définir les contours des visages qui semblent tout droit sortis d’un moule. Le travail de l’artiste, née en 1964 à Boulogne-Billancourt, vient d’être récompensé par le sixième prix Pictet qui lui a été décerné pour sa série Still Life.
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Deux expositions parisiennes pour fêter les 25 ans d’Ostkreuz. C’est pendant un séjour à Paris, au printemps 1990, que plusieurs photographes est-allemands ont décidé de créer l’agence Ostkreuz (allusion à une station de métro de l’est berlinois). Il était donc logique de revenir dans la capitale française pour y célébrer ses 25 ans. Une rétrospective en deux temps et en deux lieux. Du 13 au 29 novembre, les visiteurs de la galerie Passage du Désir ont pu découvrir les meilleurs clichés d’Ostkreuz. Puis, du 13 novembre au 18 décembre, le Goethe-Institut avait choisi de montrer des photographies de la RDA prises par les membres fondateurs. L’agence concentre en priorité ses travaux sur les évolutions de la ville de Berlin. Pour cela, les objectifs des photographes visent aussi bien les intérieurs des appartements cossus de l’ouest de la ville que les squats des quartiers pauvres, mais aussi les modes de vie des habitants historiques ou nouvellement arrivés. Ces deux expositions ont permis de (re)découvrir le travail de ces 20 photographes : Marc Beckmann, Sibylle Bergemann, Jörg Brüggemann, Espen Eichhöfer, Sibylle Fendt, Annette Hauschild, Harald Hauswald, Tobias Kruse, Ute Mahler & Werner Mahler, Dawin Meckel, Thomas Meyer, Julian Röder, Frank Schinski, Jordis Antonia Schlösser, Linn Schröder, Anne Schönharting, Stephanie Steinkopf, Heinrich Völkel et Maurice Weiss.
Pour Samantha Deman
Ai Weiwei. Un choix à la fois difficile et évident : difficile car j’aurais voulu rendre hommage à El Anatsui pour ces quelques minutes partagées il y a plusieurs mois sur la banquette d’un bus, entre Chaumont-sur-Loire et Vendôme, durant lesquelles l’artiste ghanéen accepta avec autant de générosité que de simplicité de se remémorer des souvenirs d’enfance… Evident, car en cette année particulièrement sombre et menaçante au regard de la liberté d’expression, on ne peut que saluer l’esprit et l’opiniâtreté d’Ai Weiwei en la matière. Autorisé depuis cet été par les autorités de son pays à voyager de nouveau – son passeport lui avait été confisqué en 2011 –, l’artiste chinois, pour lequel « la pratique artistique est indissociable de la vie », a pu assister à l’inauguration de la vaste rétrospective de son œuvre organisée cet automne par la Royal Academy of Arts de Londres. L’occasion pour la prestigieuse institution de mettre en lumière différents temps forts de son parcours, dont l’engagement et la production – qui aboutirent à trois mois d’emprisonnement – liés au tremblement de terre intervenu au Sichuan, dans le sud-ouest de la Chine, en 2008 et dont les 90 000 morts et disparus avaient en grande partie été imputables à des défauts de construction directement liés à la corruption des élus locaux. S’il a à cœur de dénoncer les abus et actions liberticides de ceux qui la gouvernent, Ai Weiwei aime à rappeler la richesse de la culture et des savoir-faire ancestraux qui caractérise la Chine et nous la faire partager.
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Tu dois changer ta vie, présentée jusqu’au 17 janvier au Tripostal, à Lille. Pour le voyage dans le temps, poétique et envoûtant, signé JR avec la complicité de Robert de Niro ; pour les quelques instants passés à baigner dans la féerie bleutée d’une des grottes de Julien Salaud et le retour en enfance offert par Martin Creed et ses milliers ballons de baudruche verts ; pour le plaisir de laisser son nez flâner le long de l’installation murale de Julie C. Fortier et le sourire provoqué par le ton décalé des trophées de chasse de Ghyslain Bertholon… J’en passe et des meilleures ! Pas moins d’une trentaine de propositions artistiques sont ici comme autant de voies à explorer, suivre ou décliner, réunies dans cette exposition programmée dans le cadre de la quatrième grande édition thématique de Lille3000 – projet poursuivi dans la lignée de Lille 2004, Capitale européenne de la culture –, Renaissance. Empruntant au philosophe allemand Peter Sloterdijk le titre de l’un de ses ouvrages, Tu dois changer ta vie, celle-ci a pour ambition de provoquer chez le visiteur l’envie d’agir, d’expérimenter, de prendre le temps de la réflexion, aussi, afin de (re)devenir acteur de sa propre existence comme de la communauté humaine au sens large. Un parcours à entrées et niveaux de lecture multiples à faire dans sa bulle ou en famille !
Elyx ou le sourire en partage
« Nous sommes de plus en plus nombreux à être ce que l’Institut des futurs souhaitables* appelle des conspirateurs positifs : une force en devenir, non pas politique mais de changement, confiait Yacine Ait Kaci sur notre site en septembre 2014. Elyx n’en est qu’un des exemples. » Depuis deux ans, son petit bonhomme s’est fait le héraut d’une multitude de projets placés sous le signe du partage et de l’échange : depuis des interventions en milieu scolaire à la communication des Nations unies, dont il est devenu le premier ambassadeur virtuel pour diverses journées et conférences internationales – Elyx a été très actif durant la récente Cop 21 – , en passant par l’organisation d’« Elyx parties », où le public est invité à concevoir une œuvre participative, le petit bonhomme n’en finit pas d’explorer de nouvelles pistes de collaboration. Une fondation portant son nom devrait bientôt voir le jour ; elle aura pour objectif de promouvoir et diffuser les valeurs d’inclusion et de bienveillance à travers l’éducation et les projets participatifs. « Elyx ne parle pas et pourtant tout le monde le comprend. (…) Son ADN est celui de tous, il a creusé dans notre humanité les quelques points communs que nous avons. C’est un dessin, chacun d’entre nous a un jour dessiné. C’est inscrit dans nos mains comme le langage entre nos dents et le dessin arrive à peu près au même moment. Ce moment est notre deuxième dénominateur commun, l’enfance et son innocence, ce moment où tout est littéralement possible (…). Tout est magique. (…) Chacun conserve en lui intact ce pouvoir, Elyx est là pour nous le révéler et c’est ce qui nous fait… sourire. » Ces quelques mots sont extraits de l’ouvrage ELYX par YAK, édité en octobre dernier aux éditions du Chêne (240 p., 19,90 euros). Et une idée de cadeau de Noël de dernière minute, une ! S. D.
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* Cette organisation à but non lucratif a pour but de produire et diffuser librement de nouveaux savoirs pour réhabiliter le « long terme » dans les décisions actuelles, que ce soit au sein des entreprises, des collectivités territoriales, des grands corps d’Etat, du monde associatif et syndical français et européen. Ce afin de « contribuer à la nécessaire réinvention de nos modèles par l’apport de la prospective aux enjeux du développement durable ».
Prochaine mise en ligne : mercredi 6 janvier 2016.
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