Le dessinateur de presse est un acteur singulier du journalisme ; il doit posséder autant de dons d’observation que de connaissances et de compétences ; savoir faire mouche, jamais à court d’une réplique, il doit toucher là où le bât blesse, trouver le défaut de la cuirasse, et alerter sans pour autant jouer à la mouche du coche… Journaliste, dessinateur, humoriste au regard affûté, il lui faut encore être réactif et souvent s’engager. Sollicité sur tous les fronts, là où « ça brûle », ce trublion doit répondre dans l’urgence et son trait, d’autant plus incisif qu’il dit souvent plus sans les mots, qu’il se veuille compassionnel ou cruel, doit décrocher le premier sourire de la journée, fût-il crispé pour celui qui a été ciblé ! Si le dessin de presse évoque d’abord le support qui le diffuse, journal ou magazine ; il caractérise un genre ou un art à part entière qui met en scène les péripéties du pouvoir et les travers de la société. C’est avec Honoré Daumier, considéré comme le père de la caricature, que l’expression est née. Caricature, dessin satirique ou politique, dessin d’humour ou de mœurs, ou encore portrait-charge, il vise à accentuer, parfois jusqu’à l’outrance, certaines figures, en révéler les travers, les ridicules, bref à démasquer…
Pour aborder cet art de la dérision, nous avons rencontré l’un des plus prolifiques dessinateurs de presse français, Jean Dobritz, qui avec plus de 30 000 dessins publiés en 30 ans de carrière, croque et décrypte depuis plus de vingt ans l’actualité dans les pages du Figaro. Adepte du cigare et du crayon comme en témoigne son autoportrait, il fait preuve d’une sensibilité particulière qui le démarque de ses confrères et qui fait maugréer les rédactions avides de mots.Grand admirateur de la rhétorique des images développée par les affichistes issus du bloc de l’Est, de cette expression contrainte de pratiquer l’esquive pour éviter la censure, Jean Dobritz ne cherche pas à affirmer un style mais plutôt à créer un univers de liberté où il n’a de cesse d’explorer les moyens et les outils à sa disposition pour que les mots se glissent dans l’épaisseur du trait, ne s’expriment que par la qualité expressive du dessin sans avoir recours au texte. Donc point de mots ou si peu dans ses dessins qui nous parlent des turpitudes du monde, ici le regard doit s’attarder pour saisir le propos. L’évidence n’est pas de mise, il ne s’agit pas d’obtenir du lecteur un sourire immédiat mais de l’entraîner de façon subtile et ludique sur les traces d’une réflexion plus profonde, plus personnelle aussi.
Mais comment devient-on dessinateur de presse ? Dobritz n’a pas de véritable réponse. Une enfance nomade, au gré des déplacements de son père militaire, aiguise de façon inconsciente son sens de l’observation et de la critique, tous deux nécessaires pour se forger une place dans les différents univers qu’il rencontre. Son goût pour le dessin et la caricature s’affirme à l’âge rebelle, celui de l’adolescence, comme un moyen d’expression et d’action pour refaire le monde. « Durant toute mon année scolaire en classe de seconde, je me suis mis en grève et c’est à partir de là que j’ai dessiné », explique-t-il. Sans aucune autre formation que sa pratique quotidienne alimentée par un certain esprit frondeur, il admire les dessins de Granger diffusés au journal télévisé sur TF1 et quand il présente ses premières illustrations à un éditeur, en 1974, ce dernier le renvoie en lui affirmant que le caractère de ces dernières les destine à la presse. Le coup d’envoi est donné et si, rares sont les dessinateurs qui font carrière, la sienne est lancée au pas de course. Il écume alors toutes les rédactions de Télé 7 Joursà La Croix en passant par Antenne 2 pour finalement intégrer la rédaction du Figaro, l’un des quotidiens précurseurs dans l’utilisation de l’image satirique. Réalisés à l’encre, au stylo ou à l’aquarelle quand il s’agit de couleur, corrosifs et poétiques à la fois, les dessins de Dobritz sont porteurs d’un langage universel.
Loin de l’effervescence qu’il connût à la belle époque ou durant les années folles, le dessin de presse accompagne les évolutions tumultueuses de la presse écrite, soumise à des bouleversements économiques et technologiques. L’image fixe se voit supplantée par l’image animée, on pense au « Bébête show » puis aux « Guignols de l’info » mais il subit aussi la « dépolitisation » générale et l’affaiblissement des clivages politiques. Son avenir au même titre que celui de la presse écrite, nécessite d’être réinventé. D’ores et déjà présent sur la toile, le dessin de presse retrouve de sa superbe tout en élargissant son audience.