La création contemporaine intègre de plus en plus de pratiques sensorielles entourant le visuel, pour mieux le servir. Qu’elles soient olfactives, sonores ou tactiles, celles-ci ont même parfois tendance à s’émanciper, pour se constituer en démarche artistique à part entière. L’exposition collective Vacarmes, à la Maison des Arts de Malakoff jusqu’au 5 juillet, présente les projets d’une dizaine d’artistes* plaçant la musique, le son et le bruit, au centre de leur processus de création. Invitation à déambuler dans une ambiance de cacophonie joyeuse, renvoyant directement aux bruits entourant et animant les villes contemporaines.
Dès ses premiers pas à l’intérieur du bâtiment, le visiteur est plongé dans une ambiance hypnotique, dominée par des boucles sonores simultanément graves, puis aigues. La première impression suggère que l’installation en cuivre en est la source. Syphonie pour orgue 1/8 de Charlotte Charbonnel se déploie à partir d’un unique tube en cuivre sortant du mur et y revenant, non sans s’être auparavant divisé en diverses ramifications formant un volume sculptural au centre de la pièce. La confrontation du son et de l’architecture du lieu investi est l’une des marques de fabrique de l’artiste. Son travail s’apparente le plus souvent à une forme d’enquête : Charlotte Charbonnel sonde le bâtiment pour en révéler les éléments invisibles et les forces impalpables, à travers le son. Ici, le drôle d’insecte aux pattes cuivrées évolue au rythme d’une résonnance infinie.
A un mètre, une autre sculpture joue les trouble-fête ! Dans cette ambiance de recueillement solennel, qui n’est pas sans rappeler la quiétude des temples tibétains, l’œuvre du sculpteur et inventeur grec Takis perturbe. Travaillant à la frontière entre l’art et la science, l’artiste grec de 90 ans explore l’énergie des champs magnétiques à travers le son et l’utilisation de matériaux industriels. Pour Vacarmes, il présente Musicale I, une sculpture sonore composée d’une corde de violon accrochée à l’horizontale se frottant à une aiguille, qui lui est perpendiculaire, et faisant office d’archet. Le rythme mystérieux de la pièce renvoie tout autant à la sonnerie d’une alarme qu’à la chute d’un objet métallique de petite taille.
Non loin est installée Pandora, projet du performer, sculpteur et musicien Joris Van de Moortel. Comme souvent dans les créations de l’artiste belge, la présence d’un simple caisson en bois vient minimiser le concept d’architecture. Ce simple rangement est entrebâillé de toutes parts comme s’il envisageait de redevenir un objet plane. Figé en pleine « éclosion », il laisse apercevoir divers objets rappelant le processus de création : tournevis, gants, instruments de musique… sont ainsi pris au piège. Les traces du passage de l’artiste sont volontairement présentes à l’intérieur de l’œuvre. Un processus d’exécution témoin de la performance in situ qui vit naître une boîte de Pandore sans secret !
Seule vidéo présentée dans le cadre de l’exposition, l’étonnante œuvre de Arash Nassiri attire l’œil du visiteur. Projetée sur l’un des murs de l’espace, Tune Tracks voit défiler des jeunes hommes et leurs voitures dans différents cadres de la ville d’Istanbul. Confortablement installés ou debout à la manière d’hôtesses de salons, ils présentent au public leurs véhicules. Le Franco-Iranien s’approprie la réalité des sociétés orientales pour la confronter à un imaginaire collectif occidentalisé. La musique émanant des automobiles emprunte aux chants religieux comme aux mélodies folkloriques, à la pop comme au hip hop. Le volume du son diffère selon la voiture et le personnage qui l’accompagne à l’écran.
Poursuivant son chemin, le visiteur découvre, à côté des escaliers menant à l’étage, l’installation Sans Titre de Simon Nicaise. L’œuvre combine une caisse de résonnance archaïque, un coquillage, et un appareil technologique, un amplificateur de son. Un micro reliant les deux vient se loger dans la partie interne du coquillage et diffuse un bruit calme et discret, renvoyant à la quiétude des océans. A l’étage, l’artiste, habitué à détourner les objets de leur fonction, présente un synthétiseur assez particulier, duquel émane Une note tenue qui trouble la perception du visiteur.
A l’étage, le centre de la pièce est habité par L’Ellipse, installation sonore de Dominique Blais. Grâce à un étonnant renversement des rôles, l’artiste utilise des micros, installés en cercle, comme haut-parleurs. Ceux-ci murmurent à tour de rôle, dans l’ordre puis dans le désordre, des bruits dont il est difficile de cerner l’origine et qui font naître un très fort sentiment de présence. Celle peut-être d’une assemblée se tenant hors de l’espace-temps de l’exposition et souhaitant communiquer avec nous.
Orbiting Trunk défie, quant à elle, défie les lois de la gravité. L’installation d’Alexandre Joly, une branche suspendue en lévitation, renvoie à un nid d’oiseau d’où parviennent divers chants et mélodies. La présence est ici aussi invisible, la structure en bois ne laissant apercevoir que quelques petites pièces en bois, chapeautées par un disque en cuivre. L’artiste, qui porte un intérêt particulier au son brut et au bidouillage expérimental alliant musique et matière, présente une sculpture bruyante, créant une sorte de trinité entre le lieu, l’installation et le son qui en émane. Vacarmes est aussi l’occasion d’appréhender les projets d’autres artistes tels que Stéphane Thidet et Samon Takahashi. Cette exposition demeure un défi pour tous ceux qui souhaiteraient en appréhender les moindres détails, mais un réel plaisir pour le visiteur rêveur prêt à se laisser emporter par une déambulation ludique et sensorielle.
* Dominique Blais, Charlotte Charbonnel, Alexandre Joly, Joris Van de Moortel, Arash Nassiri, Simon Nicaise, Takis, Samon Takahashi, Stéphane Thidet.