S’appuyant sur le dessin, la sculpture et l’installation, Delphine Gigoux-Martin nous emmène au cœur d’un univers où s’entremêlent rêve et réalité, tendresse et absurde, à travers lequel elle interroge inlassablement notre relation à l’animal. Un rapport de tout temps lié à l’affectif, au symbolique, à nos craintes les plus enfouies comme à la notion de pouvoir. Un large aperçu de son travail est à découvrir actuellement à la galerie Metropolis, à Paris ; une exposition proposée parallèlement à la présentation, au Musée de la Chasse et de la Nature, d’une sculpture de taureau – inédite dans le parcours de l’artiste – ayant été au centre d’une performance étonnante, en octobre dernier.
Delphine Gigoux-Martin a convié l’assistance au Festin du Phénix, performance dînatoire. Au musée de la Chasse et de la Nature, un taureau gris a trouvé une seconde vie par la volonté de l’artiste. Le petit animal semble léviter au milieu de la pièce, cornes en avant et pattes arrière tendues, au-dessus d’un miroir. Delphine Gigoux-Martin a choisi Yves Camdeborde comme complice culinaire, car elle aime son envie de réincarner la cuisine, de lui redonner chair. « Son discours correspond bien à mes envies et à mon travail », explique-t-elle. Le 13 octobre, une soupe au sang de taureau est donc servie aux convives dans des tasses de chasse dessinées par l’artiste et conçues pour se nicher au creux de la paume. La cuisine touche alors à l’alchimie. Puis, Delphine Gigoux-Martin et Yves Camdeborde soulèvent le dos du taureau, retirent son couvercle en quelque sorte. Car l’intérieur de l’animal a été aménagé pour recevoir des plats… A rebours de ce qu’on pourrait attendre, le chef a imaginé des « surprises végétales » que les invités vont déguster debout avec les doigts. Ce n’est pas la première fois que Delphine Gigoux-Martin organise un « vernissage gastronomique ». En 2007, par exemple, l’installation La Rôtisserie de la reine Pédauque, au centre d’art le Creux de l’enfer, à Thiers, comptait treize oies grasses dont la chair avait été utilisée pour préparer de savoureux pâtés. « C’est une manière d’inviter les gens à partager un moment total, explique l’artiste. Dans mon travail, je dénonce le camouflage généralisé de la souffrance animale, la façon dont elle est niée. L’homme adopte envers l’animal un point de vue de propriétaire, de consommateur. La représentation de la mort trouve son aboutissement dans le partage. C’est une rencontre conviviale, dénuée de toute hypocrisie. » De fait, cette générosité a un autre objectif : réactiver le taureau, lui donner une seconde vie. Et si le petit taureau gris demeure dans une salle d’exposition du musée de la Chasse, son avatar, le taureau-phénix, a pour sa part rejoint les cimaises de la galerie Metropolis.
La recherche de l’artiste et la pertinence de son travail convient le spectateur à une rencontre au carrefour de la délicatesse et de la brutalité, de la joie et de la cruauté. L’univers enchanteur et féroce de Delphine Gigoux-Martin invite à un autre regard sur l’humanité et l’animalité.