Créé en 2006, Chemins du patrimoine en Finistère est un établissement public de coopération culturelle qui réunit cinq sites du département éponyme – l’abbaye de Daoulas, celle du Relec, le manoir de Kernault, le château de Kerjean et le domaine de Trévarez – autour d’un projet culturel axé sur la diversité et la notion d’identité. C’est dans ce cadre – et plus particulièrement celui du dispositif Regard d’artiste – que Martin Bruneau, Patrick Dougherty et Rainer Gross ont été invités cette année en résidence, respectivement au château de Kerjean, au domaine de Trévarez et au manoir de Kernault, afin d’initier, chacun à leur manière, une conversation inédite entre histoire, patrimoine et art contemporain. Trois expositions livrent le fruit de ces travaux qui ont pour point commun la volonté des plasticiens d’inscrire leurs œuvres en résonnance avec le lieu.
Créateur d’un univers étrange et fascinant, le Canadien Martin Bruneau développe une recherche picturale s’appuyant sur des images et des tableaux inscrits dans l’histoire de l’art et à partir desquels il interroge les notions de nouveauté et de contemporanéité. Rembrandt, Vélasquez ou Poussin sont parmi les grands maîtres dont il revisite inlassablement la peinture à travers des œuvres qu’il vient ici placer en écho à la genèse du château de Kerjean (du 16e au 18e siècle). « La référence à l’histoire de l’art reflète l’idée que notre pensée est construite sur un passé, que ce dernier structure la manière dont on perçoit les choses aujourd’hui. » Céramiques et portraits peints, natures mortes recouvrant des photographies en noir et blanc des environs, les pièces présentées, qu’elles aient été spécifiquement créées pour l’occasion ou pas, rendent toutes hommage au temps qui passe. « C’est vraiment une démarche de curiosité sincère, précisait-il l’année dernière sur France 3. C’est toujours la limite entre le signe et la représentation : quand s’agit-il de pure peinture ou quand l’image renvoie-t-elle à quelque chose d’autre ? Il y a toujours un moment où cela bascule et c’est ce qui m’intéresse. »
Amoureux de la nature, Patrick Dougherty y puise le matériau de ses sculptures et installations monumentales, enchevêtrements de branchages de saule, noisetier, orme ou bambou, qui donnent vie à des formes merveilleuses et poétiques. Chacune des pièces tisse un lien intime avec son environnement, épousant ou détournant joyeusement les caractéristiques naturelles ou architecturales de l’endroit qu’elle habite. « En général, j’arrive dans un lieu sans idée préconçue et je ne trouve le titre qu’en partant. Ici, cette tortue qui transporte une mappemonde sur son dos, je l’ai appelée Sur les pas d’Atlas. C’est une allusion au géant qui porte la Terre sur ses épaules, comme pour dire que nous avons le sort de la planète entre nos mains. » Systématiquement soumis aux caprices du temps et des éléments, les travaux du plasticien américain cultivent l’éphémère. « La pluie et le vent apportent leur part à l’évolution de la sculpture et, au moins, elle n’ira jamais vieillir dans un grenier. » Parallèlement à la découverte de l’œuvre réalisée lors du temps de résidence de l’artiste au domaine de Trévarez, au printemps dernier, le public pourra s’immerger plus avant dans l’œuvre de Patrick Dougherty grâce à une exposition exclusivement dédiée à son travail. Rainer Gross vient, quant à lui, déployer deux installations, réunies sous le titre Cheminer l’eau de la source, au manoir de Kernault. La première recouvre l’ancien lavoir – alimenté par un ruisseau voisin – situé dans le parc, la seconde semble jaillir du puits avant de décrire une courbe complexe s’engouffrant et s’échappant tour à tour du bâtiment principal. Le bois est le matériau de prédilection de l’artiste qui le découpe en lattes, assemblées ensuite en d’interminables lignes sinueuses et souples qui, invariablement, font écho à l’endroit choisi. « Mon projet est inspiré par le caractère “transitoire” de ce site historique, oscillant entre nature et architecture, entre “le sauvage” et “la culture”, explique-t-il. Avec l’aide d’éléments existants et la métaphore de l’eau, les deux installations marquent une zone de transition entre l’extérieur et l’intérieur, entre l’éphémère et le durable. » S’amusant à troubler notre perception spatiale, il invite le spectateur à « un voyage contemplatif, une expérience sculpturale » activant en parallèle la charge mémorielle du lieu. « Dans un double jeu de mots, le titre n’indique pas seulement les éléments clés du projet, il évoque également la sagesse de l’Orient ancien : entre la source et l’au-delà, c’est le chemin qui est le but. » Une triple invitation à voyager au pays des fées à accepter sans plus tarder.