En un regard, tout est posé. Ce qui se joue sur la toile se trouve dans l’œil qui nous accroche. Oubliés les autres acteurs, confinés dans l’obscurité. Qu’ils soient prélats ou simples profanes, les portraits de Serge Labégorre sont ceux de comédiens, surpris dans le pinceau du projecteur. La tragédie, à n’en pas douter, se déroule, lente, inexorable, mais ailleurs. Revenons au regard intense qui fixe. Derrière cette étincelle de vie, une trouée intérieure, une perspective en prise directe avec l’invisible. Cette œuvre répond à une grande tradition théâtrale où le verbe ne déploie sa toute-puissance que dans la retenue et le dosage subtil des silences.
Toute la tension dramatique se noue dans la façon de travailler du peintre, à sa manière, en secrète connivence, de répondre de son art. « Mon atelier est mal éclairé et c’est une volonté. J’ai besoin d’une sorte de scène de théâtre. Avant que naissent les acteurs, j’allume haut un seul projecteur. Cette relative obscurité me permet d’appréhender les grandes masses qui constituent un tableau, de savoir s’il peut avoir quelque incandescence dans l’espace. » Toujours l’incandescence d’un rouge furieux qui irradie peu ou prou la toile, de ce rouge mauresque des robes sévillanes et des capes de matador. Et c’est vrai qu’il y a quelque chose d’ibérique dans ces portraits, le parfum d’une arène de violence et de sang. Toujours le noir, « une couleur qui permet d’abolir le temps ». Et puis l’attente, l’incertitude, la besogne éternelle du créateur.
Face aux épopées violentes de Serge Labégorre se déploie la cohorte gravement ordinaire des sculptures de Sophie Favre. Qu’ils soient hommes ou bêtes, les personnages de l’artiste sont désespérément humains. Pas d’anthropomorphisme, mais une conscience aiguë de la vacuité de toute chose. L’indicible attente habite les regards. L’ambiguïté de la condition précaire de tout être vivant se dévoile, entre angoisse et désarroi. Inquiétante et familière étrangeté de ces êtres de terre… Avec acuité et simplicité, l’œuvre de l’artiste s’insinue sur des terrains que nul ne foule sans appréhension : impuissance, solitude, abandon.
« Le désespoir, dans l’accomplissement d’un travail, est un aiguillon nécessaire » dit encore Serge Labégorre…