Nature de l’être ou de l’esprit, tombereau de pommes, gazon en guise de papier ou parterre de fleurs phosphorescentes, les artistes ont rivalisé d’intentions pour illustrer le thème imposé : « Par nature ». Moataz Nasr, Gu Dexin, Hema Upadhyay, Joana Vasconcelos, Christophe Beauregard, Céleste Boursier-Mougenot et Zimoun sont les invités du 104 jusqu’au 17 mars.
Qu’entend-on « par nature » ? C’est à cette question aux multiples facettes que répondent les sept artistes actuellement invités au Centquatre, à Paris. Cette exposition collective présente une sélection d’œuvres, inventives, complices et réjouissantes, où l’oreille est sollicitée autant que le regard, le tempérament ludique autant que l’esprit critique. Dans une allée centrale de ce grand espace et dans quelques salles attenantes, cohabitent des compositions visuelles et sonores qui témoignent d’interprétations de la nature bien différentes les unes des autres. Difficile d’y voir a priori une appartenance culturelle, politique ou sociale : qu’ils viennent de Suisse, d’Inde, d’Egypte, du Portugal, de Chine ou de France, les artistes s’accordent ici pour assembler, voire confronter jusqu’à l’absurde ou au poétique des outils technologiques, des matériaux organiques, des images contemporaines ou mythiques comme des clichés. Dans un parcours métaphorique, leurs installations mettent en scène matériellement et intellectuellement le disparate et la dissonance. L’ensemble joue ainsi sur la surprise, l’émotion et la connivence avec le visiteur.
D’entrée de jeu, l’escalier monumental de l’Egyptien Moataz Nasr revendique la nature de l’individu (I am free, 2012) : plaquées contre un mur blanc, deux volées de marches se rejoignent pour former une petite plate-forme au-dessus de laquelle deux grandes ailes sont déployées. Chacun est invité à gravir ces marches jusqu’au sommet et à y ouvrir les bras pour manifester publiquement sa liberté, son propre désir d’envol.
Un peu plus loin, c’est sur la chaussée même que l’artiste chinois Gu Dexin a déversé un tombereau de pommes, soigneusement alignées comme un tapis devant un tracteur immobile (September 2nd, 2006). En attente de leur pourrissement annoncé, ces pommes de la discorde, trop-plein de nos productions intensives, signent le point de rupture entre l’homme et son environnement naturel.
Egalement éphémère par nature, l’installation d’Hema Upadhyay (This space in between you and me, 2011) joue sur le ressort inverse : elle a semé et fait pousser de l’herbe dans une grande bande de terre, pour y écrire toute une lettre de gazon, adressée à sa famille restée en Inde. Plus le temps passera, moins l’herbe sera verte et moins les mots seront lisibles : mais peut-être leur écho se fera-t-il entendre au-delà des saisons ? Dans une salle attenante, l’artiste portugaise Joana Vasconcelos nous ouvre les portes d’une mémoire collective et onirique (Jardim do Éden, 2009) : passé un rideau noir opaque qu’ouvre un silencieux gardien, le visiteur se trouve plongé dans l’obscurité. Devant lui scintille, dans un agencement qu’on devine labyrinthique, un immense parterre de fleurs phosphorescentes et multicolores. Un crépitement léger et incessant évoque cigales et grillons, ou un ruissellement d’eau ; dans la pénombre, où l’on soupçonne plus qu’on ne les voit, d’autres visiteurs. Chacun s’avance au hasard des allées. L’effet est saisissant, et l’on reste confondu devant cet ambigu et formidablement poétique jardin artificiel.
Bien différente est l’émotion suscitée par les portraits du photographe français Christophe Beauregard. Gros plans de visages impassibles, d’une troublante crudité, ils ont l’aspect froid et figé d’une carte d’identité surdimensionnée. Dans cette série (Le meilleur des Mondes ?, 2012), un réalisme visiblement trompeur trahit l’existence d’un mal, d’une injustice, d’une souffrance dont chacun cache la nature.
C’est ensuite dans une volière « musicale » que le public est convié : Céleste Boursier-Mougenot, artiste français avant tout musicien, présente une installation (From here to ear [v.16], 2012) particulièrement inventive et réussie. Soixante-dix oiseaux mandarins volent librement dans un grand espace double et clos, où plusieurs guitares électriques sont disposées à plat comme des perchoirs. Les oiseaux s’envolent d’un instrument à l’autre, sautillent sur les cordes, grattent, pincent,… créant ainsi une suite aléatoire de sonorités, amplifiées par des enceintes acoustiques posées sur un sol ensablé. Par leur simple présence dans cet auditorium improbable, les visiteurs (pas plus de 15 à la fois) deviennent acteurs, attentifs et réjouis, de ce concert d’une nature parfaitement incongrue.
Le plasticien suisse Zimoun, dans les deux œuvres que présente le Centquatre, nous amène plutôt à voir l’invisible et à entendre l’inaudible. Dans une première salle, une tour sculpturale, constituée de cartons industriels empilés en quinconce, occupe tout l’espace et génère un léger clapotis. Lorsqu’on pénètre à l’intérieur, des centaines de petites cordes accrochées aux murs de cartons, agitées par un invisible vent, rendent brutalement diluvienne cette pluie de sons (416 prepared dc-motors, hemp cords, cardboard boxes, 60 x 60 x 60 cm, 2012). Dans une deuxième salle, toute petite cette fois, une imposante souche est posée sur un socle : juste au-dessus, un gros microphone recueille les bruits du morceau de bois qui semble sec, mort. Or ce que l’on entend très distinctement, c’est le bourdonnement de la vie : celle des vers à bois qui n’en finissent pas de ronger la souche (Woodworms, wood, microphone, sounsystem, 2009-2012). Surprenant raccourci sonore sur la nature et son implacable travail que cette œuvre technologique et organique, qui interroge avec beaucoup de rigueur les sens et l’esprit.