« Tout est temporel et si moi-même je suis temporel, pourquoi mon œuvre ne devrait-elle pas l’être aussi? s’interrogeait voici déjà quelques années, Javier Pérez. D’où cette nécessité de créer des œuvres dans un temps biologique interne, poursuivait-il. C’est aussi parce que je veux créer quelque chose de vivant. » Axe central de sa démarche artistique, le corps, en tant qu’entité physique unique, anonyme et pourtant universelle, est à la fois outil, matériau et mode d’expression. Inlassablement, l’artiste espagnol le questionne, l’explore au fil de ses propres interrogations. A partir de cette enveloppe, à la fois fragile passerelle avec notre environnement et irrémissible témoin de notre solitude, il poursuit sa quête ontologique et déroule patiemment les fils d’une cosmogonie singulière. En abordant le vivant, ses œuvres en révèlent le caractère éphémère : vieillissement, changement, évolution et métamorphose en constituent la trame.
Aquarelles, pastels, dessins, photographies, vidéo, sculptures et installations, Javier Pérez passe d’une technique à l’autre ou les associe avec une égale et fascinante maîtrise. Chez lui, les règnes animal et végétal s’imbriquent subtilement ; ils absorbent l’humain sans vergogne, l’intégrant à d’improbables chimères aux étranges ramifications qui s’étendent ici telles des tiges ou des racines, là tels des circuits nerveux ou veineux… Il est question de cycle, de flux, de croissance et de traces. Les organismes se mêlent et se superposent en un enchevêtrement de matériaux naturels ou artificiels d’un grand éclectisme : crin de cheval, boyaux de bovins, cocons de vers à soie, résine de polyester, porcelaine, céramique, verre soufflé, pour ne citer que ceux-là. Solides ou fragiles, souples ou opaques, tous possèdent en commun une forme d’altération, liée au temps, ou un don de transformation, par essence nécessaire.
Le titre de l’exposition actuellement proposée à Genève, Nocturne Op. 9, fait référence aux dimensions onirique et poétique de la pièce éponyme de Frédéric Chopin. Un squelette sur lequel se greffent des racines, un piano aux touches constituées de lames de rasoir, une vitrine dans laquelle un chausson de danse et une chaussure orthopédique surmontent une boîte à musique, sont quelques-unes des pièces offertes au regard, une série d’installations sous le sceau du mystère, de l’ambiguïté, d’une grande puissance évocatrice.
« Je souhaite que le public soit impliqué dans les œuvres, qu’il soit obligé de forcer ses propres expériences sensorielles et sensitives.» S’appuyant sur les notions d’échelles et de symétrie, Javier Pérez aime tout particulièrement jouer sur les contraires et la contradiction, qu’il s’agisse de concepts ou de sentiments : ses œuvres tout à la fois attirent et inquiètent, séduisent et effraient, issues de ces mondes qui tissent nos rêves ou révèlent nos craintes les plus enfouies. A l’orée du réel, il interroge ce qui peut advenir pour mieux bâtir son monde à la poétique parfois teintée d’ombres, parfois mélancolique, souvent complexe. Un univers troublant à la beauté grave, énigmatique, et qui ne laisse d’envoûter.