Il est des artistes qui vous ouvrent les portes d’un monde. Aux temps où l’humanité n’était pas sortie du néant, l’arbre était le maître de la terre. Sous son feuillage généreux prospérait un peuple de pèlerins silencieux. Jephan de Villiers s’est fait l’ethnologue de cette civilisation disparue, l’Arbonie. Depuis plus de trente ans, l’artiste est dépositaire de ce secret.
La révélation s’est produite dans la forêt de Soignes, aux environs de Bruxelles. Ce jour de 1976, Jephan de Villiers s’y promène. « J’ai ramassé un morceau de bois que j’ai tout de suite appelé un bois-corps. Dans ma poche, j’avais un visage de mie de pain, modelé à la table du déjeuner. J’ai posé le visage sur le bois. » L’Arbonie renaît. Au fil des années, l’artiste va arpenter la forêt, se laisser avaler par les arbres pour exhumer les rites et les traditions du peuple de l’écorce. Les bois-corps ont des outils, une écriture. Sur des chariots, ils transportent des fragments de mémoire en de longues processions méditatives.
Il y a dix ans, Jephan de Villiers prend pied sur une nouvelle terre d’inspiration. Devant l’estuaire de la Gironde, bercé par une musique étrange, il se retrouve au bord du monde. L’Arbonie s’enrichit d’orgues de mer, de forêts sous-marines. Les œuvres présentées aujourd’hui à la galerie Béatrice Soulié ont toutes été réalisées dans ce territoire entre fleuve et océan. La chère forêt de Soignes n’est pourtant jamais loin quand l’artiste la quitte ainsi. Il lui suffirait de se retourner pour l’embrasser du regard. « Il y a un grand silence dans ce travail » commente Jephan de Villiers le soir du vernissage. Silence pour entendre les voix ténues du peuple disparu. Humilité pour être disponible à ce qui passe, à ce qui tombe, pour qu’entre les doigts de l’artiste les trésors de la terre reviennent à leur vie première.