Figure majeure de la scène allemande de l’art contemporain, Rosemarie Trockel est l’auteur d’une œuvre inclassable, alliant techniques et matériaux les plus divers pour mettre à bas les frontières qui séparent les disciplines artistiques tout en développant une réflexion socialement et politiquement engagée. Le Musée national centre d’art Reina Sofia, à Madrid, lui dédie cet été une exposition d’envergure – quelque 120 pièces sont réunies – qui met en résonnance ses travaux avec ceux d’artistes et de scientifiques ayant participé, tout au long de son parcours, à animer son imaginaire comme à structurer sa pensée.
De la sculpture à la vidéo, en passant par le dessin, le collage, la céramique, le tricot ou encore l’installation, Rosemarie Trockel a souvent choisi des modes d’expression délibérément décalés avec les tendances orchestrées par les institutions et le marché de l’art et déjoué ainsi, depuis plus de 30 ans, toute tentative de classification esthétique de son œuvre. Sa démarche s’appuie néanmoins sur l’investigation de plusieurs thèmes récurrents, liés au féminisme ou questionnant les antagonismes supposés qui naissent entre amateur et professionnel, célébrité et anonymat, arts appliqués et beaux-arts… La plasticienne allemande s’intéresse également aux relations nouées entre l’homme et le monde animal et à l’impact que nous avons en tant qu’espèce sur notre environnement naturel.
L’intitulé de l’exposition madrilène, Un Cosmos, fait référence au titre d’un ouvrage consacré par le naturaliste et explorateur allemand Alexander von Humboldt (1769-1859) à la découverte du continent américain. S’il en accorde le crédit à Christophe Colomb, ce n’est non pas dans un souci de vérité historique – il était bien conscient du fait que le navigateur espagnol n’était pas le premier à fouler la terre outre-Atlantique – mais pour des raisons philosophiques : le progrès découle selon lui d’une accumulation de connaissances et la « vraie » découverte est celle qui étend les frontières du savoir. C’est bien parce qu’elle adhère tout à fait à ces principes que Rosemarie Trockel a choisi d’évoquer ici Humboldt, de même que plusieurs autres auteurs et artistes qu’elle considère comme de véritables âmes sœurs. Il en résulte la présentation d’un ensemble d’œuvres et d’objets hétéroclites qui témoignent à la fois de l’évolution de sa démarche depuis les années 1970 et de ses sources, pour le moins diverses, d’inspiration. Le visiteur découvre, par exemple, des aquarelles réalisées au XVIIe siècle par la scientifique allemande Maria Sibylla Merian pour décrire les cycles de vie de différents insectes, des extraits des travaux du botaniste espagnol du XVIIIe siècle José Celestino Mutis, ou encore plusieurs pièces créées à la fin du siècle suivant par les verriers allemands Léopold et Rudolf Blaschka, connus pour la précision de leurs représentations de plantes et des flore et faune marines. Rosemarie Trockel met par ailleurs en lumière des artistes peu connus, explorant les mêmes questions qu’elle avec une simplicité, une spontanéité et une inventivité qui soulèvent chez elle une profonde empathie. Parmi eux, les Américains, autodidactes et aujourd’hui disparus, James Castle, Judith Scott et Morton Bartlett.
En choisissant de mettre en regard ces références multiples et disparates avec ses propres travaux, Rosemarie Trockel ouvre les portes de son imaginaire, de son intimité, et offre un accès privilégié à une œuvre complexe et par nature toujours en mouvement.