« En passant par la matière, mon temps se voit et interpelle le vôtre. Je donne à voir mon passé, mon avenir, dans un espace donné ; mais j’en suis venue à la conclusion que le présent n’existe pas. Pourtant je ne peux exister que dans le présent, c’est une passionnante énigme. » Depuis dix ans, Patricia Zurini développe sa démarche artistique à partir d’une thématique : le temps et son universalité. Ceci est mon temps est devenu le titre générique porté par ses installations de perles patiemment assemblées, enfilées ou collées, chacune d’entre elles symbolisant une unité de ce temps présent, déjà passé ou encore à venir. Ses petites billes de verre nous parlent évidemment de durée, d’instantanéité, mais aussi d’éphémère, de fugacité, et leur matérialité est l’occasion rêvée de se réapproprier quelques fragments de ce temps insaisissable et malicieux, qui inexorablement file.
Le projet entrepris dans le cadre du musée de la Chartreuse de Douai vient élargir un peu plus le champ de son exploration. « Il s’agit là de ma toute première confrontation à un temps révolu, explique la plasticienne. J’avais auparavant toujours vécu le temps dans mon travail comme une abstraction, la recherche d’un temps universel, comment faire pour montrer le temps, enfiler à l’infini ces perles, les accumuler, courir après le présent et démontrer son absence. »
Dès sa première rencontre avec les lieux, un ancien couvent du XVIIe siècle, elle en « tombe totalement sous le charme ». Séduite par « cette juxtaposition de bâtiments de styles et d’époques différents et dont, pourtant, l’unité est parfaitement évidente », elle s’imprègne de l’histoire que les pierres lui murmurent et du voyage étonnant auquel elles l’invitent. « Tout est une promenade dans le temps. Les collections en témoignent qui présentent les peintures de Véronèse, Rubens, Lebrun ou Chardin, en passant par Courbet, Corot et Renoir, et offrent aux regards les sculptures de Rodin et de Carpeaux avant de mener le visiteur jusqu’à la cabane de Daniel Buren, au centre du cloître : c’est une véritable machine à remonter le temps.» Le titre de l’exposition, Ceci n’était pas mon Temps…, vient qualifier comme une évidence «l’incontournable confrontation à la mémoire d’un passé».
L’artiste choisit d’investir la chapelle, «grandiose et lumineuse», édifiée en 1722. Elle y déploie deux installations, constituées de deux vastes écrans en Plexiglas transparent, d’où s’élancent de longs jets de perles enfilées sur des cordes à piano, déroulées telles des passerelles salvatrices entre différentes dimensions spatio-temporelles. Patricia Zurini concentre sa réflexion autour des trois principales périodes et fonctions ayant caractérisé l’endroit au fil de son histoire : la Chartreuse fut tour à tour un lieu dédié à la prière, dévolu à la guerre – il abrita une cartoucherie –, puis consacré à l’art. « Ce que je sais des événements qui font son histoire m’a obligé à ne pas utiliser le mélange de couleurs des perles comme symbole de l’aléatoire, mais une couleur pour chaque division temporelle. Chacune des perles enfilées sur les cordes traduisant, non par sa couleur mais par son unité, le hasard. » Le blanc évoque ainsi le temps du recueillement, de la paix, tel qu’égrené par les moines, tandis que le noir rappelle celui de la guerre, de la poudre qui parsemait la cartoucherie. Le brun, enfin, symbolise les arts. Trois couleurs en partage pour un conciliabule insolite et fascinant, en marge du temps, perpétué entre les œuvres de Patricia Zurini et les grands maîtres de jadis.