Héritier de l’art conceptuel, passé maître dans l’art de l’intrigue, le britannique Ryan Gander se distingue sur le devant de la scène artistique internationale depuis les années 2000 avec, notamment, une participation à la Biennale de Venise en 2011 et une autre à la Documenta de Cassel en 2012. L’exposition Make every show like it’s your last est le fruit d’une coproduction qui réunit sept institutions culturelles de différents pays, dont le Frac Ile-de-France. Elle achève actuellement sa tournée au Musée d’art contemporain de Montréal, où elle est à l’affiche jusqu’au 22 mai.
Toutes les pièces présentées à l’occasion de cette exposition témoignent de la complexité mais aussi de la liberté d’une pratique transdisciplinaire propre à l’artiste. Jouant d’un rapport obscur entre réalité et fiction, visible et invisible, sa démarche, fermement reliée à une logique conceptuelle, tantôt ludique, tantôt macabre ou banale, se déploie sur le mode du questionnement et de l’expérimentation. Installations, sculptures, photographies, vidéos, textes ou pièces sonores relèvent d’une même volonté de sonder les conditions de création et les mécanismes de perception des œuvres d’art.
« Le travail de l’artiste se loge plutôt dans la mise en place des conditions qui rendront possible une œuvre d’art que dans un objet particulier, une œuvre unique », confie-t-il à Nicolas Fourgeaud dans le magazine américain Art 21 en 2009. La relation « auteur/œuvre/spectateur », pour laquelle les règles sont constamment redéfinies, est au cœur de ses investigations. La plupart de ses œuvres jouent du déplacement d’objets communs, de situations ou de systèmes dans lesquels il injecte sa propre narration, dévoilant son intérêt pour les histoires, la façon dont les objets véhiculent le récit et pour les possibilités offertes par l’imagination. Avec Ryan Gander, l’œuvre ne se donne jamais complètement à appréhender et ne constitue souvent qu’un indice, la trace d’un autre récit à reconstituer ou à imaginer par le spectateur qui est appelé à prendre une part active dans l’interprétation de ce qui s’offre à son regard. Comme le souligne l’artiste, qui aime déstabiliser son public, le plus souvent avec humour, « le spectateur doit partager mes convictions et doit réprimer son incrédulité pour être en mesure de lire mon travail ».
Parmi les œuvres présentées, Magnus Opus est un dispositif fait de deux gros yeux plantés dans le mur qui réagissent aux mouvements du visiteur. A l’instar de ceux d’un humain, ils paraissent scruter, interroger ou même feindre d’éviter le regard de ce dernier. Observateur observé, l’effet miroir agit, invitant à questionner la place de l’artiste, son intention et sa propre participation. Plus loin, trois sculptures en résine de marbre évoquent les cabanes de fortune que construisait sa fillette à l’aide d’objets trouvés à portée de main : chaises, draps, coussins… L’utilisation par l’artiste d’un matériau noble déjoue l’apparente banalité de cet exercice enfantin en le fixant dans le marbre.
C++ est une installation qui réunit cent portraits, réalisés de mémoire, de personnes rencontrées par Ryan Gander au cours de sa vie. Il s’agit en fait des disques de verre trempé qui ont servi de palettes pour l’exécution des tableaux et qui sont disposés au mur comme le seraient les œuvres elles-mêmes. Ces dernières sont conservées dans les archives de l’artiste ou ont été détruites. Pour l’aménagement de l’espace d’exposition, où sont mis en rapport des éléments biographiques, narratifs et conceptuels, Ryan Gander a imaginé de nouveaux mécanismes qui créent un mouvement perpétuel au gré duquel le visiteur est libre d’évoluer ou de se laisser porter.