C’est une expérience peu habituelle que propose le groupe Société Générale aux amateurs d’art contemporain à l’occasion des vingt ans de sa collection. (De)placements réunit une sélection d’œuvres lui appartenant, exposée au siège de l’entreprise à La Défense jusqu’au 30 octobre. Le nouvel accrochage a été confié à la commissaire d’exposition camerounaise Koyo Kouoh, fondatrice et directrice artistique de RAW Material Company, centre d’art situé à Dakar. Elle met l’accent sur la spécificité et les contraintes imposées par l’espace de travail, lesquelles diffèrent sensiblement de celles du musée ou de la galerie
« Dans un espace de travail, on est censé penser à autre chose qu’à l’art. » Tel est le constat à partir duquel Koyo Kouoh a entrepris de construire sa proposition ! Exposées dans des lieux de passage, de réunion, de réflexion ou de négociation, les œuvres se doivent selon elle d’imposer des situations de visibilité et de contemplation particulières. Elles supposent une indisponibilité du regardeur qu’elles cherchent à apaiser dans son environnement professionnel. « Même si elles ne sont pas activement contemplées, le fait même qu’elles soient là, ancrées dans l’architecture, contribue à une certaine harmonie et à une régulation d’énergies », poursuit la commissaire d’exposition.
Dans un souci d’originalité et d’innovation, Koyo Kouoh a voulu se démarquer du travail mené lors des précédents accrochages, notamment en mettant l’accent sur des œuvres de la Collection qui n’avaient encore jamais été exposées. Elle évoque aussi son souhait de placer la sélection en relation directe avec l’activité et l’environnement imposant de la banque. « Nous sommes quand même dans un espace puissant et de grande influence dans la vie de tous les jours. D’où le choix du thème de déplacement et le jeu de mots avec placement et, par extension, les notions de flux et de mouvement. » La représentation du mouvement tient donc une place centrale dans l’exposition en interrogeant des concepts tels que les flux matériels et immatériels, l’immigration ou l’ouverture à un monde globalisé.
En Chine avec Marc Riboud
Au fil de sa déambulation dans les couloirs, le visiteur appréhende la diversité de la collection constituée de peintures, sculptures et photographies. Parmi ces dernières, une série du photographe allemand Thomas Ruff s’articule autour des travaux de l’architecte des années 1920, Mies van der Rohe : alors que certaines images montrent des bâtiments au plus proche de leur réalité, d’autres sont floutées ou manipulées – à l’exemple de W.H.S.05. La perception est alors modifiée en fonction du point de vue du spectateur qui se retrouve en face d’une œuvre en mouvement, nouant ainsi un rapport ludique avec elle.
Autre photographie exposée, Huang Shan, du Français Marc Riboud. Amoureux de la Chine depuis son premier voyage en 1957, l’artiste n’a eu de cesse d’en sillonner le territoire immortalisant ses merveilles ou ses moments historiques. Dans ce cliché contemplatif, il réussit à capter la puissance gracieuse et mystérieuse de la Montagne jaune – omniprésente dans la littérature et l’art chinois – émergeant de la brume. L’Asie orientale n’est pas seulement représentée par ses paysages mais aussi par de nombreux artistes, dont Liu Bolin avec sa série Hiding in the city. Celui-ci livre à travers ce projet une profonde réflexion sur la modernité, choisissant de se camoufler dans les lieux les plus marquants de la vie contemporaine. On le retrouve ici dans un cliché pris au cours d’une performance réalisée dans la salle des coffres de l’agence centrale historique de Société Générale. A sa manière, il met en scène l’emprise silencieuse du développement économique sur la vie humaine. « Je ne me fonds pas dans le paysage. Au contraire, c’est l’environnement qui m’envahit », explique-t-il en présentant sa démarche.

Autre artiste chinois présent dans la Collection, le sculpteur Wang Du concentre son travail autour du rôle et de la place des médias, qu’ils soient publicitaires ou journalistiques, dans une société de consommation. Herald Tribune International est une feuille froissée du journal éponyme, reproduite en bronze blanc à échelle humaine (1,80 m3), interrogeant le rapport de l’information au support. L’artiste entend illustrer une information accueillie en tant que produit de consommation, disparaissant avec le temps sans pour autant perdre de son influence sur le quotidien.
La sculpture japonaise n’est pas en reste, en témoigne le travail de Takashi Naraha. Sa maîtrise de la matière lui permet d’obtenir une grande variété d’effets sur de grands blocs de granit noir en jouant sur les formes géométriques. Structure Cercle laisse entrevoir une paroi extérieure imparfaite, toute en relief, en opposition à la surface très lisse et réfléchissante de l’intérieur de l’œuvre.
La part belle faite à la peinture
La peinture tient aussi une place primordiale au sein de la Collection. On y retrouve notamment une série de 11 tableaux de Julien Prévieux, lauréat du Prix Marcel Duchamp 2014. S’inspirant des couvertures de manuels de sciences sociales du début des années 1970, l’artiste les détourne en y ajoutant un petit texte en légende. Dans un style minimal et explicite, Economics and the Public purpose (L’économie et l’intérêt général) évoque le monde de l’économie et du management en interrogeant leurs conséquences sur l’intérêt général. La démarche de l’artiste est souvent critique vis-à-vis de pans entiers de la société qu’il juge déshumanisés et qu’il tourne en dérision, notamment à travers ses lettres de « non motivations », dont plusieurs sont aussi exposées.
Moins politisées et plus picturales sont les fresques de Farah Atassi. A travers Transitional Home, la plasticienne belge représente une cuisine, mi-réelle, mi-imaginaire. Pour nourrir sa réflexion autour du vide et de l’absence, elle livre un espace dénué de toute présence humaine, géométriquement organisé autour de lignes structurantes. Une scène où toute péripétie a pris fin. Un lieu austère où l’artiste fait émerger, par le bas, un mobilier apportant de la couleur dans un espace qui impose son obscurité par le haut. A gauche de la pièce, un miroir laisse percevoir une figure à la tunique jaune, référence au peintre Kazimir Malevich (1878-1935).
Au total, pas moins de soixante œuvres sont à découvrir au fil du parcours conçu par Koyo Kouoh. Des visites commentées de groupes sont ouvertes au public, sur réservation via le site Internet de la Collection.