Fasciné par la diversité – géographique et humaine – qui caractérise le territoire américain, Ronan Guillou a entrepris de l’explorer, il y a une quinzaine d’années, pour en saisir les mythes et les réalités à travers un processus d’investigation photographique où le hasard comme la rencontre occupent une place essentielle. Truth or Consequences (La vérité ou les conséquences) est le nom de l’une de ses dernières séries, réalisée en 2012 et dédiée à une petite ville thermale – étonnamment éponyme – posée sur les bords du Rio Grande, au Nouveau-Mexique. L’artiste en livre une vision « à la fois sensorielle et intimiste » par le biais d’un travail où s’entremêlent, de manière inédite, image, son et texte. Présentée jusqu’au 17 janvier à la NextLevel galerie à Paris, cette série sera ensuite accueillie le mois prochain par La Chambre, à Strasbourg.
« J’ai découvert Truth or Consequences alors que je préparais un itinéraire dans le cadre d’un projet en cours qui s’appelait Country Limit (2011-2013) », se souvient Ronan Guillou. Ce nom insolite, « à la fois menaçant et cocasse », sonne alors aux oreilles du photographe français – né en 1968, il vit à Paris depuis 1994 – comme « une sorte d’aubaine, quelque chose d’hyper réjouissant ». « C’est tellement binaire, manichéen et propre aux univers de fiction typiquement américains ; dans un pays où la religion a tant d’importance, cela évoque aussi les notions de Paradis et d’Enfer. Et puis qui, en France, changerait son nom pour celui d’un jeu radiophonique ?! » Car c’est bien de ce type d’anecdote que la petite ville du Nouveau-Mexique, aujourd’hui surnommée T or C, tient sa curieuse dénomination : l’histoire remonte à 1950, lorsque l’animateur de radio Ralph Edwards avait annoncé qu’il fêterait les dix ans de son émission – un quiz show intitulé Truth or Consequences – dans la ville qui adopterait son titre pour nouveau nom de baptême. Un défi relevé à l’époque par la cité thermale de Hot Springs, par ailleurs porteuse d’une histoire singulière liée à son ancrage sur un ancien territoire apache. Pour l’artiste, l’idée d’une série photographique s’impose comme une évidence. « Je n’ai jamais vécu une telle vibration, une telle excitation en partant sur un projet. »
Ronan Guillou passera dix jours sur place, à parcourir les rues comme les environs désertiques de la ville, à rencontrer ses habitants, se faisant le témoin éphémère et privilégié de quelques instants de leurs existences variées. « J’avais le sentiment, aussi, d’être un peu un détective. C’est peut-être pour cela que j’ai entrepris de réaliser des interviews. Se sentant sans doute plus impliquées que dans le cadre d’une simple photographie, les personnes rencontrées m’ont fait partager des moments qui m’ont beaucoup touché. Ce fut une très belle expérience. »
Le recours au son dans son travail est une première. « Je ne l’avais pas prémédité », précise-t-il. Tout a débuté lors d’une balade solitaire dans le désert où, sensible aux bruits de ses pas et de la nature environnante, il a commencé à les enregistrer. Peu à peu, il bâtit un univers sonore et textuel – à partir de bribes de correspondances entretenues avec les gens croisés là-bas, notamment, de tags aperçus dans la ville ou encore d’inscriptions prélevées sur des monuments officiels. Un univers que Ronan Guillou a transposé dans un film conçu à partir des éléments réunis lors de son séjour à T or C. « Plus encore que d’habitude, il y avait dans ce projet une volonté forte de partager une expérience. » A noter que l’installation sonore accompagnant l’exposition du photographe à la NextLevel galerie est pour sa part signée de l’artiste suisse Robin Meier, qui livre à travers elle sa propre interprétation des enregistrements recueillis outre-Atlantique.

Lorsqu’il ne frappe pas aux portes – méthode qui remporte un franc succès –, le photographe crée le contact dans la rue, aidé par l’originalité de son matériel qui attise la curiosité. « Je travaille en 6 x 6 avec un Hasselblad (NDLR : qui se porte à hauteur de poitrine et dont le viseur se situe sur le dessus), un appareil qui correspond à mon mode opératoire : il me permet d’assurer mon travail sans me cacher derrière – je peux échanger avec la personne qui est en face –, de voir tout ce qui se passe hors champ. Cela change le rapport au temps, également, car il oblige à se poser, à regarder le cadre, à prendre en compte le fait que la vue – droite-gauche – est inversée. » Les images, travaillées à l’agrandisseur argentique, sont carrées, ce qui constitue à ses yeux un format de composition idéal. « La photographie a pour moi une importante vertu thérapeutique, estime-t-il. Elle me permet d’écrire la partition de mon existence et, donc, celle des autres. C’est un accès au monde, une porte ouverte vers des réalités dont on n’a pas forcément conscience ; que je n’expérimenterais pas, en tout cas, si je n’avais pas ce lien créé par l’appareil. »
Au fil des ans, son appréhension des Etats-Unis, « comme celle du monde en général », a gagné en lucidité, échappant aux préjugés que nourrissent tant d’Européens à l’égard de leurs lointains cousins. « Ça m’a permis de mieux comprendre une partie de cette Amérique si diverse ! Il y a la pauvre, la riche, la Wasp, la portoricaine, l’afro-américaine, etc. Et je découvre un peuple vraiment attachant. » Une découverte qu’il entend bien poursuivre. En décembre dernier, Ronan Guillou s’est envolé pour l’Alaska, ancien territoire russe n’ayant aucune frontière commune avec les autres états américains. Un projet bientôt suivi par un autre, tout aussi atypique, qui le mènera à la découverte d’Hawaii. Une aventure à suivre.