Fascination de la mise en pièces, débauche de couleurs, profusion et excès en tout genre, tout se chevauche, s’intrique, s’échappe et resurgit ; palimpseste et anamorphose mènent la danse ; les formes s’étripent, se déchirent, passent d’un continent à l‘autre au rythme d’une géographie mouvante, facétieuse, et empruntent des mers qui bousculent des ciels fiévreux. Des fleuves impassibles nous entraînent… et nous voilà cloués aux « poteaux de couleurs ».
Lorsque, enfant, on lui posa la question attendue, à savoir ce qu’il ferait devenu grand, Jean-Marc Scanreigh répondit : « Plus tard, je veux être imprudent. » Et c’est l’impudent sans doute qui s’est imposé, explorant au sein d’une œuvre foisonnante, coquecigrues en partance vers des ciels bariolés, formes évanescentes et figures fantomatiques inquiètes venues nous lorgner, et ce mot, « clé », qui pour revenir à plusieurs reprises dans les titres de ses œuvres nous laisse sans serrure apparente. Au cœur de cette tourmente où la prodigalité balaie l’espace de la toile et ses couleurs stridentes, le sésame est ailleurs ; il se dissimule au sein d’un monde rapiécé, disloqué. Exprimerait-il l’angoisse originelle de toute création, d’une vérité souvent lacérée sinon accommodée, en rupture de ban souvent et désespérément insaisissable ? Dans ce monde chaotique qui se retranche ou se dérobe, et ne cesse de dérouter, où le peintre nargue notre regard, la touche d’humour qui s’immisce dans la griserie ambiante masque peut-être des failles intimes, des vertiges au bord de la gravité ou simplement la mélancolie du poète. Le puzzle n’épuise ses pièces ; comment le pourrait-il dans ce monde sans cesse recomposé, se délitant et se nourrissant de ses contradictions, où la culture même semble trouver ses limites, incapable de se réinventer sans se déchirer. L’univers désemparé où Scanreigh nous entraîne semble hanté de masques, de visages grimaçants en souffrance comme en proie à quelque jubilation ; sourires et rictus se confondent en veine d’un passage vers l’inconnu, son mystère. Son seul imaginaire ? Le monde ancien affleure ici et maintenant et le jardin des Hespérides renferme toujours ses pommes d’or. A nous d’en percevoir les fragrances.
Grèce ou Philippines, Amérique latine ou Etats-Unis, les œuvres du peintre – dessinateur, graveur et éditeur d’estampes et de livres d’artiste – ont parcouru le monde et se sont abreuvé aux cinq continents. En 2010, un collectionneur d’art, Gilles Blanckaert a fait don de huit toiles de Scanreigh à la bibliothèque de l’université Jean-Moulin Lyon-3, inaugurant la première collection d’art contemporain universitaire en France. Enseignant aujourd’hui aux Beaux-Arts de Nîmes, Jean-Marc Scanreigh nous rappelle que l’ironie salvatrice n’est jamais loin : ainsi l’exposition dans l’exposition qui débute le jour de la Saint-Valentin et qui justifie ce « Double jeu » (titre également de l’une des œuvres exposées), les Petites Valentines, coquines huiles érotiques dédiées avant tout aux amoureux de l’art, qui forcent le sourire plus qu’elles ne risquent de provoquer l’émoi des jeunes filles en fleur. Le miroir qui nous est tendu vole en éclats ; à nous d’en restituer le reflet, l’énigme comme une glace sans tain.