Le centre d’art contemporain de l’Abbaye d’Auberive accueille jusqu’au 2 octobre une rétrospective de l’œuvre de Marc Petit. Cette exposition fleuve de plus de 300 pièces vient couronner 35 années de travail et fêter les 50 ans de l’artiste. Remarquable par sa taille – il fallut huit jours pour la mise en caisse, trois semi-remorques et deux semaines d’installation – et par les pièces présentées – cahiers et dessins, résines et bas-reliefs, plâtres et bronzes –, elle offre une occasion exceptionnelle de plonger dans l’univers de ce sculpteur au talent à vif et à l’humanité exacerbée.
Le ciel est enragé. Il déverse sur la route des trombes d’eau. Le soleil tente une percée. La lutte est inégale mais la voiture file et bientôt prend de vitesse le coquin et ses noirs nuages. Au bout du chemin, l’abbaye cistercienne d’Auberive et ses grilles ouvertes. Le moment tant préparé et tant attendu est venu : la rétrospective de l’œuvre de Marc Petit est inaugurée aujourd’hui. Partout de petits groupes discutent. On se hèle, on s’embrasse, on se tombe dans les bras. Pour un peu, on croirait une famille enfin rassemblée. Ils sont venus de partout en France et parfois même d’au-delà des frontières. Ici, des galeristes échangent sur leurs dernières découvertes. Là, des collectionneurs se font part de leurs acquisitions et s’envient gentiment. Jean-Claude Volot, en maître de céans, et secondé par Alexia, sa fille, accueille les invités et veille à ce que tout soit parfait. Dans la foule, l’artiste se donne à tous et à toutes. Un mot, une pensée, un sourire. Il a perdu au moins une dizaine de kilos ces dernières semaines. Son corps est épuisé mais ses yeux brillent d’une joie immense. Comme il le professe sans cesse : carpe diem. Des voix s’immiscent à travers le brouhaha de la foule. Elles chuchotent et obligent à tendre l’oreille. La brise porte leur invite aussi sûrement que les sirènes celle de Circé. Il faut de ce pas quitter la cour et ses civilités. Avec précaution, le pied se pose à l’intérieur du bâtiment. Le cœur se serre et jubile à la fois, prêt au voyage. Dans de vastes pièces en enfilade, elles attendent. Au fur et à mesure que le visiteur s’approche, le chœur se fait discret pour laisser s’épanouir le chant unique de chacune d’elles. Les Silences imposent une distance et un recueillement, Le Drap fait tomber le masque, L’Ange du Levant montre la bonne direction, Les Chariots sont prêts pour la course… Objectif aux aguets, la déambulation est une suite de surprises et de retrouvailles. Postés sur des socles blancs, des femmes et des hommes, assis, debout, bras ouverts ou le long du corps, seuls ou en groupe, racontent leur histoire, leur humanité, pleine de joie et de détresse, de souffrance et d’amour. Ventres décharnés, membres allongés, chaires tombantes et mains effilées, ils nous agrippent et nous entraînent à la rencontre de nous-mêmes. Marc Petit sculpte comme il respire, avec la même nécessité, mais sans jamais en connaître le but et pose souvent la question : « Qu’est-ce qu’un sculpteur qui ne sculpte pas ? ». Lui qui a eu la chance d’être corrigé par des maîtres bienveillants, sans jamais être guidé dans ses gestes, conserve cette liberté nécessaire aux entreprises insensées. Dans le secret de son atelier, chaque jour il la cultive et se bagarre contre lui-même. « Si l’on veut arriver quelque part, il faut avoir la force de détruire », aime-t-il rappeler. Une mise à l’épreuve nécessaire pour qui veut aller plus loin.


Là, sous des cieux crayeux, s’offrent au regard les pièces les plus imposantes de la rétrospective dont certaines, comme Les Gingkos, La Fuite, Le Pliant ou La Quarantaine, sont exposées en permanence au Musée Marc Petit-Lazaret Ollandini, à Ajaccio. Disposés en arc de cercle, sept bas-reliefs en bronze témoignent d’une autre facette de l’œuvre de l’artiste. Comme dans certains dessins, troncs et branches d’arbre viennent encadrer le sujet, structurer la composition. Une Eve nue sans chevelure pose devant un banc de pierre qui pourrait tout aussi bien être son tombeau, une autre enlace le pommier mort de la tentation… La brise susurre des histoires d’exode et d’Eden perdu. Sur le côté droit du bâtiment, Les Terra Maïre tissent un dialogue tournées les unes vers les autres. Le regard posé vers un horizon indicible, celles qui donnent la vie et portent la mort impressionnent par la douceur et la force qu’elles irradient. Avant de retrouver la cour principale, Les Mythologiques ferment la boucle. Gorgone, Centaure, Minotaure, Sphinx et Pythie interrogent le promeneur sur la part d’humain qu’ils ont en commun. Autant de sujets qui ont permis des inventions. « J’espère que leur présence sculptée les rend palpables et réelles et qu’à les voir nous nous reconnaissons. Le seul combat qu’elles mènent depuis toujours ne se déroule qu’avec l’inhumain tapi en elles, et en cela nous leur ressemblons. » Placée à l’entrée, la plus grande sculpture en bronze jamais réalisée par l’artiste, Le Sémaphore, accueille les visiteurs, main levée en signe de bienvenue. La luminosité diminue, le soleil est en passe de se coucher, le brouhaha s’est déplacé vers une salle préparée pour les agapes. Marc Petit s’inquiète des présents et de ceux qui n’ont pas pu rejoindre ce port d’attache de l’art consacré à la figure humaine. Emu, il prend la parole pour remercier encore et encore, encore et toujours. Que serait l’art sans le partage ? Que serions-nous sans les autres ? C’est aussi l’occasion de rendre hommage aux mots des poètes, qui le portent, le touchent, l’inspirent. Il déclame comme au Portique. Le vin coule à flots. « Il faut être toujours ivre », écrivait Baudelaire à qui le mot de la fin revient, évidemment. « Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. / Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise, / Mais enivrez-vous, / Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront : “Il est l’heure de s’enivrer! / Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous; / Enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, / à votre guise.” »*
* Texte extrait du Spleen de Paris de Charles Baudelaire.