S’appuyant sur la sculpture, le dessin, l’installation, ou encore la vidéo, Delphine Gigoux-Martin utilise la métaphore animalière pour interroger notre humanité et offrir un autre rapport au monde. Rien n’a d’importance est le titre de sa dernière exposition, présentée jusqu’au 16 janvier par la galerie Metropolis, à Paris.
Deux temps, trois mouvements : arrêt sur images dans le rêve absurde d’un renard. Il s’est imaginé athlète de haut niveau, champion du saut en longueur, avant de venir se mesurer – avec quelle évidence ! – au réel. De son côté, une biche tente d’échapper aux assauts d’un cerf bien trop entreprenant à son goût. Mais, déjà la forêt reprend ses droits et les sapins attaquent sa croupe. Voudrait-elle se reposer sous les frondaisons d’un bois paisible qu’elle ne le pourrait pas. Une nuée de mouches l’y attend… Auréolées d’enchantement, les installations sculpturales de Delphine Gigoux-Martin ont ce pouvoir salutaire de donner au réel un parfum d’étrangeté. Et ces vaines tentatives d’échapper à sa condition, ces fuites impossibles ont comme un parfum de déjà-vu.
Impossible d’échapper aux fondamentaux
Née en 1972, Delphine Gigoux-Martin n’a pas voulu faire les Beaux-Arts, préférant étudier l’histoire de l’art. A 19 ans, la jeune artiste commence par exposer dans le « circuit alternatif », comme elle le décrit, greniers, caves et champs, au gré des invitations. Dès ses débuts, elle s’est sentie libre dans ses orientations et ses moyens d’expression. Cependant, on n’échappe pas aux fondamentaux. Le dessin, et plus précisément l’étude de la décomposition du mouvement, a toujours occupé une place primordiale dans son travail. Un intérêt que la plasticienne exploite dans les vidéos projetées dans ses installations. Sur le principe du dessin animé, chaque vidéo est travaillée image par image, à l’ancienne. De même, les motifs couvrant les murs de l’exposition en cours à Paris sont reproduits à la main et au fusain par l’artiste.
L’animal, quant à lui, s’est imposé dès le départ. « J’ai depuis pu réfléchir sur la place de l’animal dans mon travail. Certes, le rapport entre l’homme et l’animal m’intéresse beaucoup. Mais ma recherche se situe en fait dans une réflexion plus vaste qui englobe nature et culture. Je ne vise absolument pas l’anthropomorphisme. »


Ici, la métaphore animalière sert à interroger notre humanité et les paradoxes absurdes qui habitent une société où le schéma social s’impose avec la même cruauté que l’ordre naturel. La hiérarchie du vivant et la prédation ne sont guère absentes de la comédie humaine ; elles se placent juste à un autre niveau, moins carnassières et plus cyniques sans doute. Les abattoirs sont relégués loin des villes, même la mort animale n’a plus droit de cité dans le paysage des vivants. La taxidermie est d’ailleurs un choix audacieux de la plasticienne, plus ou moins bien reçu – voire supporté – par le public. « Les animaux que j’utilise proviennent d’abattoirs et de chasses, précise Delphine Gigoux-Martin. Je ne cherche pas à leur donner l’apparence du vivant. D’ailleurs, ils n’ont pas d’yeux. Ce geste symbolique n’est pas anodin, il agit sur le ressenti de la pièce. J’aime que mon travail provoque des émotions ambiguës. »
Dans la cuisine de notre inconscient
Car si la leçon est féroce, elle met en appétit. Les installations de l’artiste célèbrent aussi la fluidité d’une nature généreuse. Comme dans un récit initiatique, générosité et gourmandise vont de pair avec rire et cruauté. Aux imaginations enfantines, le conte de fées apporte la frayeur. Entre enivrement de la découverte et traumatisme de l’inconnu, l’art de Delphine Gigoux-Martin donne à voir ce qui se mijote dans la cuisine de notre inconscient. Dans le bruissement des forêts profondes, une force ancestrale est à l’œuvre, une énergie première à laquelle il est bon de s’abandonner. On ne saurait désobéir aux ordres de la nature : il faut vivre, mourir, ne pas oublier le plaisir et avancer en confiance. « Le monde est tout tissé d’harmonie profonde », disait le poète Sandro Penna.
