L’ombrage d’un grand marronnier qu’éclairent à profusion des chandeliers à fleurs rouges, de l’autre côté de la rue, à deux enjambées de la galerie de la Forge Royale, offre une quiétude toute champêtre dans ce coin privilégié du vieux Paris des artisans ébénistes. On hésiterait presque à venir troubler le souffle retenu depuis bien des ans de ladite forge…
Mais, dans ce dialogue intense, tendu à l’extrême entre l’ombre et la lumière, Joanna Flatau ne laisse guère de place à l’anecdote, ne sollicite de complaisance. Ce qu’elle ravit au noir dans ses encres, enchante des corps qui vibrent et exultent, délivrés de l’obscure pesanteur originelle. C’est qu’une force singulière anime ses figures. Du tréfonds de son être, l’artiste nous livre des créatures fantasques issues sans doute des mânes de la Pologne et de Varsovie qui la vit naître. Parfois hallucinées, d’autres effarées ou comblées, elles ne sont sans doute pas étrangères à l’âme slave et au mysticisme de la Kabbale et du Golem. Le rire parfois vient illuminer le trait ; un rire difficile à cerner, à définir ; peut-être d’ailleurs n’est-ce que l’esquisse d’un sourire, aussi éphémère que les mouvements de l’âme, ou par trop ambigu pour qu’on parvienne à le saisir. Même les crânes humains, certes bien polis, trouvent encore à sourire ! Drôle de défi que ces créatures surgies de nulle part qui cèlent leur mystère, leur douleur ou leurs craintes, voire le passé et ses zones d’ombre, avec une fougue de cavales sauvages qui se rient qu’on puisse vouloir les dompter et vous invitent tout benoîtement à les accompagner dans la danse, à l’instar de Dance with me, grande toile éclatante qui explose ironiquement de couleur. Sans doute l’ombre est-elle toujours là, les forces obscures tapies dans l’attente du forfait qu’elles s’appliqueront à accomplir, et c’est bien pour cela que mieux vaut en rire, semble nous dire l’artiste. Car ces portraits qu’elle nous offre comme en devenir plutôt qu’en souffrance, nous inviteraient à passer une fois encore de l’autre côté du miroir, c’est-à-dire à ne pas chercher d’explication plus ou moins vaine, mais à simplement recevoir cette formidable énergie que dispense une peinture libre de toute référence sinon celles enfouies en nous et qu’il nous faut bien entendre si l’on veut y voir un peu, ou entrevoir par-delà un réel souvent façonné pour tromper son monde.