Vincent Guzman | Guzman et Guzman

« Lorsqu’Anne-Marie et Roland Pallade m’ont proposé d’exposer avec toi Alberto, mon père, je me suis dit que tu étais déjà en moi, mais qu’à cette occasion, je pourrais t’avoir encore une fois à mes côtés. Ainsi, ton œuvre me parlerait, et moi, aux murs, par œuvres interposées, je te répondrais. Puisque tu étais un grand conteur, tes souvenirs sont devenus les miens. Tu fus le point de départ de cette mythologie familiale qui m'a construit. D'abord il y eut le Pérou, celui du Nord, près de l'Équateur, là ou se situait l’hacienda de ta grand-mère, le domaine qu’une journée à cheval suffisait à peine pour traverser. (...)  Tu naquis dans ce monde-là, comme au XIXe siècle au Far West. Distingué par ton intelligence, on te destina aux études. De médecine d'abord, prenant ton destin en main, ensuite, tu te dirigeas vers l’école des Beaux-arts de Lima dont tu sortis médaillé d’or. (...) A Paris, ta porte était toujours ouverte, la table mise pour tes amis, artistes, intellectuels, dont beaucoup étaient sud-américains : Garcia Marquez, Soto, Atahualpa Yupanqui, Vargas-Llosa, Chavez, Restany, … tant d’artistes, de musiciens, de poètes ! certains vivant en France, d’autres de passage, la France étant le voyage initiatique obligé de ceux qui pensaient le Monde. Enfant, je vous écoutais passionnément, allant d’anecdotes épiques en débats philosophiques. Les nuits blanches se succédaient… Chassé de la table à cause de mon jeune âge, depuis ma chambre, allongé à même le sol, je vous écoutais encore, clandestinement, par une petite grille de ventilation qui donnait sur le salon, et c'est parfois là, que le matin vous me retrouviez endormi. Cette chambre fut le premier atelier de mon imaginaire, où les livres, les couleurs, figuraient mes jouets. (...) Aujourd’hui, lorsque je me penche sur moi-même, ou plutôt sur mon parcours, je me rends compte que ce que j’ai toujours tenté d'approcher, c’est une représentation du temps, qui force à grandir, à murir, à vieillir, à changer. L’insaisissable, le furtif, sont à la manœuvre dans cette perpétuelle lutte entre le fugace et le permanent… la vie en somme ! Mon travail. Celui qui le contemple, s’y plonge, le parachève. » Vincent Guzman, décembre 2018 (Alberto Guzman est décédé en novembre 2017). Visuel : Petit paysage, Vincent Guzman, 2018.