Laura Gozlan | Foulplay

"Est-ce la narration plutôt elliptique des films de Laura Gozlan, la difficulté de les inscrire dans un registre – grotesque, horrifique, érotique, prophétique, onirique –, ou leur contenu subversif, qui suscite cette affinité avec le post-exotisme ? Les films de Laura Gozlan documentent un monde que l’on pourrait dire parallèle, qui semble néanmoins se situer tout proche de celui que nous fréquentons, mais probablement dans une niche en marge ou en-dessous de notre niveau de visibilité. Là se tient tapi un personnage récurrent, parfaitement solitaire : Mum, une femme « entre deux âges », mais dont les traits fluctuent d’un film à l’autre, comme si ceux-ci évoquaient des sautes temporelles dans le cours de son existence, à moins qu’elle ne soit sujette, si l’on postule que la chronologie des films soit conforme à l’évolution biologique du personnage, à de subits mouvements de vieillissement ou rajeunissement. Le ralentissement du vieillissement des cellules est d’ailleurs l’une de ses principales obsessions, qui lui fait siffler à la paille du jus de momie directement extrait du sarcophage, et inhaler et exhaler des vapeurs qu’on devine aussi délicieuses que délétères, qu’elle souffle à travers des objets-organes assez obscènes selon l’angle d’observation, et autres appareillages techno-fantaisistes qui proposent des articulations nature-culture inédites. Son autre obsession est son auto-satisfaction sexuelle, souvent consécutive à ses extases chimiques. L’onanisme de Mum est ici l’incarnation non pas d’un repli mais d’une offensive contre les valeurs du productivisme hétéronormé, une menace joyeuse et déviante contre les forces des « ordres naturels ». Dans Foulplay, Mum devient une divinité primitive, déesse des cloaques et des bas-fonds, incarnation d’une puissance féministe masturbatoire et séparatrice qui va déchaîner ses forces révolutionnaires contre le patriarcat, projet post-exotique s’il en est. Foulplay signifie un acte illégal et délictueux, un crime. Dans le film de Laura Gozlan, il prend aussi la connotation d’une souillure et, littéralement, d’un jeu excrémentiel, qui évoque aussi l’idée d’une radicale autonomie. Mais qui souille quoi ? Texte de François Piron