Marc-Antoine Serra | La beauté est une flèche lente

Un cendrier en forme de poisson fume dans le petit jour. Le rocher des calanques dresse sa masse énorme à l’aplomb du viseur. Un garçon de profil tient entre ses lèvres une cigarette allumée. Un autre présente son torse de face au photographe, mais sa tête n’y est plus. Un autre encore disparaît derrière la fumée de sa cigarette. Sur le mur de la galerie, les images sont accrochées en ligne comme les pages d’un chemin de fer au mur d’une rédaction. Prises séparément les photos de Marc-Antoine Serra ne racontent rien ou presque. Elles pourraient figurer parmi ces Platitudes qu’interrogeait Eric de Chassey (Gallimard, 2006) en regroupant ce que l’histoire de la photo compte de plus frappant dans l’ordre du « frontal, sans profondeur, sans durée, sans intérêt ni narratif, ni symbolique ». Sur ces deux derniers points, les images exposées ici ne sont pas en reste. Le poisson fume tout comme le garçon, l’escalier grimpe ou dégringole comme la falaise et le visage s’efface derrière la fumée. Bien qu’elle ne livre aucune information et se montre parfaitement muette, la scène n’est pas dépourvue de point de fuite ou de hors-champ. Quant aux symboles, ils sont aussi gros que les îles Maïre et Tiboulin réunies. Il suffit de regarder le surplomb des calanques, qu’une autre photographie dresse verticalement, entre falaise de marbre et mont analogue, pour en avoir le cœur net. Lorsque Marc-Antoine Serra aligne un coin de grenier en désordre, un garçon qui se mord les doigts dans une attitude de repli, le même ou un autre enveloppé du linceul de la mariée, les choses se compliquent un peu plus. Et quand il y ajoute une vue d’architecture à l’antique, un profil de Black à la beauté radieuse et l’appareillage d’un mur des lamentations, la phrase photographique tourne à l’exposé. « La beauté est une flèche lente », prévient le titre de l’exposition. Pour qu’elle atteigne sa cible, nous dit Marc-Antoine Serra, il nous faut la suivre pas à pas, en dépit des écrans qui en ralentissent la trajectoire et dont la beauté n’est pas moins grande que ceux à qui ils font obstacle. Visuel : Le rapport du langage aux choses, #16, Yasin, Paris, 2013.