A quelques jours de la fermeture des portes du Montluçon Art Mobile, ArtsHebdoMédias, partenaire de la manifestation, vous invite à lire le dernier volet de sa série d’articles sur l’exposition. Vous y découvrirez deux œuvres représentant chacune un espace singulier du Mobile Art. D’une part, L’Entreprise de déconstruction théotechnique de Fabien Zocco, qui met en scène huit smartphones, utilisant l’appareil à la fois pour sa capacité à communiquer mais aussi pour son esthétique. D’autre part, Völuspá de Lola and Yukao Meet, qui invite à une plongée sensitive dans la mythologie nordique, où instrument de musique et tablette numérique proposent au public une immersion visuelle et sonore. Si vous ne pouvez pas faire le voyage jusqu’à Montluçon, n’hésitez pas à emprunter la visite virtuelle. Cette dernière demeurera en permanence accessible à partir du site d’AHM. Le Mobile Art, quant à lui, poursuit son développement. Plusieurs œuvres sélectionnées pour la Biennale d’art de Venise y participent. A lire bientôt dans nos colonnes.
Disruption (ou innovation de rupture). Le mot est à la mode, même si en France on emploie souvent le néologisme ubérisation créé à partir du nom de la société de transport qui a cristallisé l’attention. Maladie à combattre pour les uns, opportunité à saisir pour les autres, la disruption, quand elle survient dans un domaine, est un tournant pour tous. Mais toute évolution vraie n’est-elle pas disruptive ? A regarder les adolescents, il est permis de le penser. Instinctivement, ils cherchent non pas l’innovation dans la continuité, mais plutôt l’invention dans la rupture ! Le Mobile Art, pour y revenir, est-il disruptif ? Oui. Non seulement, il invente des formes nouvelles, comme les œuvres applicatives, mais, surtout, il propose une relation renouvelée à l’art où il est toujours question de liens, de rapport à un environnement, à d’autres (connus ou inconnus), de participation, d’expérience et de réalisation commune. En s’emparant d’un appareil du quotidien, il s’assure d’obtenir l’attention de tous et réunit sous sa bannière les 7 à 97 ans. Le Mobile Art est en passe de devenir un espace de création partagé et nourri par tous les continents et toutes les cultures. Sans a priori. Sans souci d’appartenance. Au service d’un art critique, ouvert, intelligent et esthétique. Pour preuves, les deux œuvres présentées maintenant.
L’Entreprise de déconstruction théotechnique de Fabien Zocco
Réalisée en 2016 au Fresnoy, L’Entreprise de déconstruction théotechnique a été présentée en 2018 au Centquatre, dans le cadre de la Biennale Nemo, et cette année au Pearl Art Museum, à Shanghai, à l’occasion de (Re)Model the World. L’installation générative et robotique, incluant huit smartphones, propose une réécriture de la Bible par une succession d’algorithmes. Les phrases produites par la machine sont ensuite énoncées dans l’espace d’exposition par les appareils mobiles. L’Entreprise de déconstruction théotechnique est la première pièce de Fabien Zocco qui intègre du geste sans pour autant abandonner la préoccupation majeure de l’artiste, le langage. L’idée de réaliser une pièce chorale avec des objets parlant ou chantant planait dans son esprit depuis longtemps, quand son parcours au Fresnoy lui offrit l’occasion de la réaliser.
Après s’être attaqué à l’Ulysse de Joyce, l’artiste se laisse tenter par la Bible. « Le livre avec un grand “L”. Le Verbe couché sur papier. Pourquoi le choisir ? J’ai été éduqué dans la foi catholique mais je ne suis pas croyant. Cependant, culturellement, ce texte m’intéresse. Il est fondateur du rapport à l’écriture en Occident, au même titre que l’Iliade ou l’Odyssée d’Homère. Ces épopées procèdent de traditions orales, transmises sur de longues périodes pour ensuite être rédigées vraisemblablement par plusieurs auteurs-compilateurs. Elles participent d’une sorte de geste, un peu comme les sagas dans les cultures nordiques, qui réunissaient une société autour de récits, vecteurs d’un ciment socio-culturel. » S’attaquer à un tel monument n’était pas chose aisée, d’autant que Fabien Zocco aime allier les préoccupations les unes aux autres et souhaitait s’intéresser aussi à l’objet téléphone, né au XIXe siècle et lié à la spectralité.
« Quand Proust, à son propos, met en parallèle la “présence réelle” et l’“anticipation d’une séparation éternelle”. Je ne peux m’empêcher de penser à l’ambiguïté du mot medium. Le téléphone serait comme un trait d’union entre deux mondes. » Avec L’Entreprise de déconstruction théotechnique, l’artiste transforme le smartphone en porte-voix d’un récit venu du fond des âges. « Faire ce choix, c’était s’emparer d’un texte prétendument inspiré par Dieu, l’offrir à une machine et par conséquent court-circuiter l’homme. Il y a une volonté de confronter le spectateur à une sorte d’hydre, de chorale machinique, qui s’approprie le texte par-delà la langue, sachant précisément que le logos fait partie des attributs humains. Du moins à l’origine. »
Völuspá de Lola and Yukao Meet
Völuspá est une performance audiovisuelle de Lola and Yukao Meet inspirée d’un conte nordique dramatique qui décrit la naissance du monde et sa destruction violente par le combat des géants et des dieux. Une composition électroacoustique octophonique, associée à un morceau de violoncelle, accompagne une vidéoprojection graphique à laquelle se mêle de la peinture performative sur une surface circulaire au sol. Dans la religion païenne nordique, Vølven était une chamane qui pouvait entrer en transe pour voir le passé et l’avenir. Parfois accompagnée de jeunes femmes qui l’aidaient en chantant, elle était assise sur une chaise et tenait à la main une baguette sacrée, décrivant les images du conte cosmologique qu’elle voyait dans ses transes.
C’est l’une d’elles que relate Völuspá, l’un des poèmes de l’Edda, recueil de mythologie nordique datant du XIIIe siècle, qui donne son nom à la performance de Lola and Yukao Meet. L’espace dans lequel elle est activée est aménagé pour que le public soit assis en demi-cercle, de manière à être immergé dans la composition octophonique et la performance de violoncelle. D’habitude, le duo construit ses spectacles par improvisation ; c’est la première fois qu’ils recourent à une composition sonore préalable et qu’ils associent vidéo-projection au sol et pratique picturale. Dans Völuspá, l’atmosphère est intense, sombre, expressive.
« Les membres du public sont assis sur le sol, près de la zone ronde accueillant la scénographie visuelle du dessin augmenté qui les guide dans ce conte rempli de drames, de suspense et de mouvements dans l’espace », précise Lola and Yukao Meet, dont chaque nouveau projet s’inspire d’une histoire, d’une mythologie ou d’une cosmologie. « Nous sommes convaincus qu’en raison de notre culture, de notre éducation, de nos lectures, de notre mémoire héréditaire, nous portons en nous des souvenirs inconscients de nos ancêtres sur de nombreuses générations. (…) En adoptant une écriture visuelle et musicale de l’ordre de la narration poétique, nous ne décrivons pas, nous évoquons, nous faisons appel à la capacité de chacun(e) d’entre nous de s’approprier ces récits pour les faire siens. »
Contact
Montluçon Art Mobile, jusqu’au 2 juin au Fonds d’art moderne et contemporain de Montluçon. Plus d’infos d’un clic !
Crédits photos
Image d’ouverture : L’Entreprise de déconstruction théotechnique © Fabien Zocco, photo Quentin Chevrier – L’Entreprise de déconstruction théotechnique © Fabien Zocco, photo Ville de Montluçon – Völuspá © Lola and Yukao Meet, photo Orevo