Cases de Pene, à quelque 15 kilomètres de Perpignan, accueille cet été Vincent Corpet. Présentée dans le monde entier, son œuvre n’est pas inconnue dans la région. En 2012, le centre d’art perpignanais A cent mètres du centre du monde présentait Fuck maîtres et l’année suivante l’artiste investissait une autre institution de la ville avec Corpet arpente le musée Rigaud. Jusqu’au 26 septembre, ce sont les espaces clairs du château de Jau qui reçoivent Fatras. Une exposition de toiles jamais montrées.
Fatras est un ensemble de toiles au travers desquelles Vincent Corpet, déterminé à nous surprendre, déploie les multiples phases de son travail. La surprise vient d’œuvres non seulement anciennes, mais qui n’ont jamais été montrées, et ont été choisies dans l’atelier par Sabine Dauré et Régine de Boussac avec autant de pertinence que l’accrochage peut en rendre compte. Se divisant en deux parties, en haut de l’escalier, les espaces ont été investis par 91 œuvres allant de 1983 aux années 2000, intelligemment distribuées non sans la coopération active de l’artiste qui remonte sur châssis chaque toile restée roulée. A droite de grands formats datant des années 2000, dont les couleurs en camaïeux de gris, ocres rouge et noire soulèvent corps, formes ou animaux qui nous sont plus familiers lorsqu’on connaît cette peinture (on peut se souvenir de l’exposition Fuck maîtres reprenant à l’identique des formats de peintures « classiques », où une sarabande de personnages hybrides en noir et blanc apparaissait sur des fonds unis de couleur vive, présentoirs pour une ronde de sujets sans haut ni bas).
Au palier entre les deux grandes salles, des cartons de 1984, des griffures noires emmêlées, à l’origine d’œuvres engendrées comme des effets secondaires qu’il déclinera en Crucifixions. Ces croquis représentant la matrice génératrice des suivants. C’est par cette idée que l’on peut aborder le procédé singulier de Corpet qui peint par analogies, par ricochets lorsqu’un objet du quotidien lui fait penser à une autre chose à laquelle il donne forme, comme une suite intarissable qui garantirait la dynastie. On ne peut le dire plus justement qu’Amélie Pironneau : « Dans ses premiers travaux, Corpet partait d’un objet banal lequel, entraîné par cette mécanique aléatoire que devient la peinture sous l’effet de l’analogie, engendrait d’autres objets jusqu’à la saturation de l’espace ».
C’est à partir de ce principe transformationnel que Corpet crée, recrée, fusionne et fait naître un univers de formes pétries par sa poigne picturale. Corpet est tout animal, toute sensualité, et les « hybrides », pour nommer la population qui danse sur ses toiles, reflètent son insatiable vitalité plastique, sa liberté picturale que maître ou pas, technique ou pas, temporalité ou non ne jugulent jamais.
Autre surprise est celle de ses natures mortes ou plutôt « natures toniques », accrochées sur tout le mur autour des portes, couronne de peinture qui totémise la salle comme si elle était estampillée de tableaux culte. Une profusion de toiles, réalisées à partir d’objets qui l’entouraient, dans son logement-atelier en 1984 : moulinette, machine à coudre, tire-bouchon, pot, etc. Le principe des analogies mis en route, il en provoque d’autres, plastiques cette fois, évoquant la liberté de Picasso ou des intérieurs matissiens dopés au jaune citron. Tout à côté notre attention est attirée par une série à la densité sobre d’un Morandi qu’il dédie à Max Beckmann. Cette référence pourrait nous surprendre mais il suffit d’admettre le rapport entre abstraction/figuration au sein duquel la figure n’est pas narrative. Si on peut reconnaitre certains sujets ils ne racontent rien d’eux-mêmes mais tout de la saturation picturale qui en annule la dimension anecdotique. Vincent Corpet pratique la continuité telle que Verlaine la ressentait, « ni tout à fait la même ni tout à fait une autre ». Et nous l’aimons et la comprenons pour achever de paraphraser l’auteur…
Le procédé de Corpet qui peint par terre, sans souci de profondeur, produit cet effet de collage de formes sur la surface, plusieurs fois qualifié par la critique de ressemblant aux figures pariétales ou à celles de l’art primitif. La connotation issue des arts exogènes n’est donc pas seulement présente dans sa série de totems réalisée quelques années plus tôt mais dans cette manière d’épingler des motifs sur une surface aussi bien sur la toile que sur les murs, où ces figures continuent d’haranguer notre regard depuis leur propre place. Enfin la dernière salle est consacrée à de superbes dessins ni provocateurs, ni racoleurs mais dont la délicatesse érotique des lignes et tons roses et gris contraste avec les œuvres précédentes.
Quand la visite de l’exposition se termine, nous avons envie de regarder encore, de revenir sur une œuvre pour s’assurer qu’elle a bien été vue. Est-ce le sujet qui nous sollicite ? La couleur ? L’absence de profondeur qui renvoie les hybrides vers nous en les décollant de leurs supports ? Sans doute tout cela à la fois mais surtout l’effacement du réalisme au profit de la force plastique et esthétique.
Dans cette découverte d’œuvres anciennes inconnues on ne peut qu’ajuster, reformer le grand puzzle de l’univers de Corpet, on en replace les fragments dans une immense installation mentale d’images en mouvements, formées et déformées aussitôt par une cascade de cadavres-exquis, à la vitesse légère d’une combinaison de chairs pigmentaires et de motifs hallucinés. A mi-chemin entre une peinture traditionnelle et une singularité aussi inqualifiable que l’activité de la préhistoire ou de l’art tribal, il y a une manière de faire corps avec la figure et d’aboutir à l’unité du corps peint.