Une ode au fil dans l’art latino-américain

La Maison de l’Amérique latine présente jusqu’au 16 janvier, Une brève histoire de fils. L’exposition parisienne donne à repenser le fil sous différents angles et à travers diverses techniques. L’événement accueille 17 artistes latino-américains à la carrière internationalement reconnue. Parmi eux, des figures aujourd’hui disparues comme Gego ou Soto, de jeunes artistes, comme Kenia Almaraz Murillo, ou encore des figures éminentes, comme Olga de Amaral, à laquelle la Fondation Cartier, à Paris, consacre une rétrospective jusqu’au 16 mars 2025.

Depuis octobre dernier, le fil fait vibrer la Maison de l’Amérique. Ancrées dans des traditions vernaculaires latino-américaines, nombreuses sont les pratiques de tissage qui renvoient à des mémoires lointaines. L’exposition conçue par Domitille d’Orgeval réunit des œuvres de nature très variée (sculptures, mobiles, tapisseries, installations) produites avec des matériaux non seulement végétaux ou synthétiques, mais aussi humains ou animals.
« Aujourd’hui, le fil est devenu un outil d’investigation critique pour explorer de nouveaux territoires identitaires, culturels, écologiques », explique la commissaire. Effectivement, pour nombre des œuvres, la tradition n’est qu’un point de départ pour développer des récits singuliers, des mythologies individuelles. Suivent quelques exemples pour témoigner de la vitalité et de la richesse des recherches des 17 artistes invités.

Colorial, 2014. ©Natalia Villanueva Linares. Photo Polina Tkacheva
Aiguë, 2014. ©Natalia Villanueva Linares. Photo Polina Tkacheva

En référence à la tradition textile latino-américaine, évoquons le travail de Natalia Villanueva Linares. Devant nous, 300 bobines multicolores, dont les fils sont réunis en un point culminant au-dessus d’elles, forment une pyramide. Non loin, le visiteur peut admirer un spectaculaire extrait d’un projet de 50 pages réunissant quelques 15 000 aiguilles. Insérées dans les feuilles de papier, ces dernières en deviennent les lignes d’un message à décoder.
Installée à Chicago, l’artiste franco-péruvienne est désormais imprégnée des cultures de ces trois pays. Ses œuvres parlent de la superposition des traditions et des savoirs, ceux qui se transmettent de génération en génération et servent à raconter des histoires au présent. Bobines et aiguilles sont les figures d’un récit que le temps transforme. Ainsi, le papier exposé à la lumière jaunit-il au fil de l’exposition.

Sans titre, 1978. ©Ivan Contreras Brunet. Photo Polina Tkacheva

Difficile de poursuivre la visite sans s’arrêter un instant devant la fascinante pièce d’Iván Contreras Brunet (1927-2021). Fasciné par les ambiances poétiques et les jeux de lumière de la peinture impressionniste, l’artiste chilien est connu pour ses suspensions ou tableaux aux savants effets d’optique. Ses grillages métalliques pliés, découpés, assemblés à l’envi se transforment en des objets de contemplation aux étonnants mouvements visuels. Disciple de Soto, Contreras Brunet s’est installé à Paris dès le début des années 1960 et y a mené une carrière en toute discrétion.

In-Out (Antropofagia), 1973. ©Anna Maria Maiolino. Photo Polina Tkacheva

Dans une salle à part, la vidéo performance d’Anna Maria Maiolino attire l’attention. Cette succession de plans serrés de bouches avalant ou régurgitant des fils fascine autant qu’elle effraye. À la fois hypnotique et repoussante, cette œuvre témoigne de la dictature présente dans les années 1970 au Brésil. Ces lèvres qui articulent en silence quelques messages, probablement restés incompris, font penser au manque total de liberté de parole. Pratiquant l’art textile pour signifier son l’exil, l’artiste s’est installée à New York en 1968 où elle a découvert l’art conceptuel et la performance, pratiques qui lui ont permis de dénoncer la dictature à l’œuvre dans son pays. Anna Maria Maiolino a remporté le Lion d’Or, pour l’ensemble de sa carrière, cette année à la Biennale de Venise.

Variations on Line n.10, détail, 2018. ©Vanessa Enríquez. Photo Polina Tkacheva

Notre sélection se termine par une œuvre tout en légèreté et élégance. Travaillant avec un langage artistique minimal fondé sur l’usage de bandes magnétiques VHS développé à la suite d’études à l’université de Yale, Vanessa Enriquez exploite la force graphique et l’essence sculpturale de ce matériau technologique. Ses deux installations ont été réalisées in situ. Se déployant sur le mur ou dans l’espace en cascade, elles s’observent sous différents angles et permettent des changements multiples de perception. Chacune d’elles incite naturellement à la contemplation face à l’artifice. Concentré sur le jeu de lumière, le visiteur perd rapidement la notion du temps pour entrer, s’il le souhaite, dans un état méditatif.
Pour en savoir plus et découvrir les 13 autres merveilles d’Une brève histoire de fils, il vous faudra pour rendre sur place avant le 16 janvier.

Infos pratiques> Une brève histoire de fils (de 1960 à nos jours), du 10 octobre 2024 au 16 janvier 2025, à la Maison de l’Amérique latine, à Paris.

Image d’ouverture> Vue de l’exposition Une brève histoire de fils. ©Photo Polina Tkacheva