Un immortel désir de peinture fait vibrer le MO.CO.

La mort de la peinture figurative a souvent été annoncée en France. Aux yeux de certains, elle était devenue obsolète. Comme si Allemands, Anglais, Américains… étaient les seuls capables de renouveler ce moyen d’expression multimillénaire. Et pourtant, la scène picturale française est bien vivante ! Preuve en est l’exposition, en deux volets, proposée par le MO.CO., à Montpellier. Immortelle met en avant le travail de plus de 120 peintres contemporains. Une monstration attendue depuis longtemps et qui fera date. Au bonheur des lecteurs d’ArtsHebdoMédias, qui retrouveront rassemblés pour l’occasion de nombreux artistes que nous suivons depuis longtemps.

Cependant s’il est possible de faire un effort de mémoire, on se souviendra que quelques expositions présentant des peintres ont jalonné notre histoire de l’art au cours des décennies précédentes, rappelons Ce sont les pommes qui ont changé en 2000 aux Beaux-Arts de Paris, Urgent Painting en 2002 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, et la même année Cher Peintre  au Centre Pompidou, ou Peintures/Malerei au Martin Gropius Bau de Berlin en 2006, toutes expositions soulevant un dédain de la part des professionnels de l’art nationaux. Depuis, quelques monstrations intéressantes ont emporté un succès populaire comme  peinture(s) – génération 70 à la Fondation pour l’art contemporain Claudine et Jean-Marc Salomon en Haute Savoie en 2007, La belle peinture est derrière nous au Lieu Unique à Nantes en 2012, l’an dernier à la Fondation Pernod Ricard  Entre tes yeux et les images que j’y vois* (un choix sentimental)  ou en ce moment même au MASC à l’abbaye Sainte-Croix des Sables-d’Olonne avec Voir en peinture, quelques rares institutions en France qui ont  su défendre des peintres de différentes générations ou encore quelques galeries qui étaient fidèles à cette technique ancestrale et ont permis de présenter ici ou là des artistes qui, malgré  la forme de mépris pour les démarches purement picturales qui sévissait, continuaient à s’adonner uniquement à ce registre quelque peu déprécié. Il est donc assez nouveau que l’on s’intéresse à des artistes qui se restreignent à une technique qui semble si classique et osent la pratiquer sans fléchir sous le poids de la tradition ou d’interdits idéologiques. Ce regain d’intérêt pour la peinture, apparu depuis quelque temps, aussi bien chez les artistes que chez les critiques ou les collectionneurs, ne traduit ni un retour en arrière, ni un paradoxe par rapport aux bouleversements survenus dans l’art du XXe et XXIe siècles, mais bien plutôt une reconnaissance de sa vitalité et de son rôle moteur dans la création contemporaine.
L’exposition de Montpellier conçue conjointement par Numa Hambursin (commissaire général) Amélie Adamo (co-commissaire invitée) et Anya Harrison (co-commissaire MO.CO. Panacée) se déroule en deux volets. Une première partie au MO.CO. présente la génération d’artistes nés autour des années 1970, avec 90 artistes et 250 œuvres, et la deuxième partie se joue au MO.CO. Panacée, avec la nouvelle génération d’artistes nés entre 1980 et 90, avec 33 artistes et 100 œuvres.
Au cours de la période moderne et maintenant contemporaine, le medium peinture a résolument choisi de ne plus respecter les codes académiques et classiques instaurés par l’histoire de l’art et fortement hiérarchisés qui mettaient en haut de la pyramide la peinture d’Histoire, puis la peinture de genre, enfin le portrait, le paysage et la nature morte. Il fait voler en éclats les cloisons de ces classifications et décolle les étiquettes puisque les cases sont devenues étanches. Plus question d’enfermer ces peintres dans des rapprochements formels ou stylistiques, de les regrouper dans des tendances ou mouvements picturaux qui n’ont plus lieu. Abandonnés tous les ismes qui écrivaient l’histoire des avant-gardes et même impossible de créer d’artificielles familles. Inclassables, ces jeunes artistes avancent selon l’oxymore, individuellement en groupe et en ordre dispersé. Une multitude d’individualités engagées dans des démarches singulières où le style n’est plus une quête en soi, mais un mode d’expression qui peut s’adapter et se modifier au gré des envies et des plaisirs de manier la couleur et les formes sur la toile ou d’autres supports.  La ligne de partage entre ces artistes dont la naissance se situe de part et d’autre des années 1980, en fait deux générations bien distinctes, selon Numa Hambursin. La première, qu’il qualifie d’une génération résistante, pour qui l’anarchie dans laquelle les artistes se sont formés en tant que peintres devient gage de liberté. La seconde, il la voit comme la génération triomphante qui répond par une efficacité décomplexée.

Vue de l’exposition Immortelle. Photo Marc Domage

Ce qui les réunit ? Un amour quasi charnel de la peinture et une grande connaissance de l’histoire de l’art (et pas seulement occidentale). Leur pratique hétérogène ne se cantonne dans aucun registre mais s’ouvre volontiers aux divers techniques de la peinture de chevalet ou même au-delà de la toile ou du cadre et la matière y joue un rôle primordial. Ils développent des thèmes et problématiques contemporains, fluctuants et ouverts sur des registres divers allant de l’humour au tragique ou à l’absurde. Cette génération de peintres biberonnée à la TV et aux flux d’images générées par internet utilise souvent la photographie comme point de départ, comme base de documentation. Ensuite, ils la remixent et la réassemblent, ils transforment la réalité pour rendre leurs impressions sur le lieu, la personne, le moment. Ils font volontiers se télescoper un hommage à la tradition, des clichés de presse ou de vie intime. Ils passent sans difficulté de la peinture post/Poussin/Courbet/Manet aux histoires contemporaines et aux récits du quotidien. Ils s’ingénient à reconfigurer le portrait, à refigurer et inventer le monde et le paysage intérieur. Et paradoxalement ils passent du temps avec leurs sujets/modèles et face à leur toile dans la solitude de l’atelier et la lenteur du temps d’élaboration et construisent que ce Thomas Lévy-Lasne appelle des Images patientes.  Se trouvent traités dans une grande variété picturale la chair, le corps, l’érotisme, la présence de l’autre ou au contraire la solitude, la mémoire, la violence du monde, des enjeux qui agissent tant sur le plan esthétique qu’éthique. Rien ne leur fait peur, ni les crucifixions et vanités, ni les compositions monumentales et historiques ou les grandes tartines romantiques… Ils se permettent de tutoyer la peinture. Ils essaient, tentent, rivalisent, dialoguent, déboulonnent ou sacralisent les grands maîtres du passé dans une décontraction quasi irrévérencieuse. « Il fallait du panache pour se lancer à la hussarde dans une aventure qui faisait glousser vos contemporains. Il fallait surtout croire en la peinture et en son immortalité », écrit Numa Hambursin. Car la peinture telle une plante vivace comme nous l’indique le titre donné à cette exposition, même sans arrosage, reste très résistante et existe en de nombreuses espèces.
Pourquoi opter pour la peinture figurative et particulièrement par une approche réaliste ? Quels choix le peintre opère-t-il dans le réel ? Comment le figurer ? Que peut-on dire sur cette envie de peinture alors que l’époque était à l’art conceptuel ? Comment envisager ce désir de revenir à un métier de la main, à une technique classique alors que la mode est à l’image numérique omniprésente ? Pour la génération d’artistes apparue depuis le tournant des années 2000, la peinture se présente comme mode d’expression ordinaire. Le retour au réalisme peut sembler un enjeu passionnant pour la peinture contemporaine. La concurrence de la photographie a rebattu les cartes. Si l’utilisation des outils numériques est de plus en plus importante, elle bute sur l’artificialité d’une image qui a du mal à faire concurrence à une image incarnée en peinture, créée par la main qui laisse percevoir une association rendu/contraste/plaisir de matière. Il s’agit donc d’un souci technique, un goût de la manière et du métier. C’est par l’intention, et non la technique, que l’artiste produit une peinture réaliste. Le choix du sujet, d’un modèle, d’un angle de vue, l’interruption de la perspective par des cadrages inhabituels ou la juxtaposition d’images dont le sens n’est pas immédiatement apparent, la sobriété de la mise en page ou la profusion du décor, le décalage ou le décentrage de la composition ou encore le morcellement de ses éléments à l’encontre des prescriptions classiques, indiquent de la part des peintres une volonté, non de raconter un récit, mais d’assigner le réel à comparaitre dans sa banalité, son quotidien et son immédiateté, sans jugement.

Contact> Immortelle, du 11 mars au 4 juin 2023 au MO.CO. et du 11 mars au 7 mai 2023 au MO.CO. Panacée, à Montpellier.

Image d’ouverture> Vue de l’exposition Immortelle. De gauche à droite, Claire Tabouret, Self-Portrait as a Vampire [Autoportrait en vampire], 2019. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Almine Rech.© Adagp, Paris, 2023, et Davor Vrankić, Painters & Co. [Peintres et Cie], 2006 – 2007. Courtesy de l’artiste © Adagp, Paris, 2023. Photo Marc Domage

Artistes invités au MO.CO.> Agrinier Thomas, Aillaud Arthur, Barrot Ronan, Bataillard Marion, Bazignan Pauline, Belgrand Adrien, Belin Murielle, Belyat-Giunta Anya, Benchamma Abdelkader, Beneyton Julien, Berger Céline, Bernini Romain, Bizien Vincent, Boisadan Mathieu, Boitard Fabien, Bourdarel Katia, Boutlis Alkis, Bresson Guillaume, Bruneau Benjamin, Cadio Damien, Charlet Marion, Cherkit Mathieu, Ciavaldini Sylvain, Clarke Daniel, Dalléas-Bouzar Dalila, Davrinche Gaël, Descossy Julien, Défossez Benjamin, Derenne Grégory, Deroubaix Damien, Des Monstiers Julien, Driez Raynald, Dubois Aurélie, Forstner Gregory, Gobart Yves, Groom Orsten, Guinamand Cristine, Gurrieri Elsa, Hazelzet Thibault, De Heinzelin Aurélie, Hoffman Karine, Ic Hervé Georges, Jaune Oda, Jérôme Sarah, Korichi Youcef, Leglise Frédéric, Lesourd Elodie, Levasseur Iris, Lévy-Lasne Thomas, Liron Jérémy, Loutz Frédérique, Masmonteil Olivier, Mérelle Fabien, Min Jung-Yeon, Mirazović Filip, Miquelis Gilles, Mocquet Marlène, Molk Marc, Mostyn-Owen Orlando, Navarro Edgardo, Navi Barbara, Nervi Audrey, Nielsen Eva, Obrecht Florence, Pahlavi Axel, Pasieka Simon, Pencreac’h Stéphane, Picandet Lucie, Pinard Guillaume, Pouyandeh Nazanin, Pradalié Abel, Proux Laurent, Rabus Leopold, Rabus Till, Renaud Brann, Reymond Florence, Ricol Raphaëlle, Roegiers Antoine, Rougier Karine, Sabatté Lionel, Tabouret Claire, Toumanian Guillaume, Tursic Ida et Mille Wilfried, Velk Marko, Verny Thomas, Vidor Vuk, Vrankić Davor, Xie Lei, Zonder Jérôme.

Artistes invités au MO.CO. Panacée> Bailly-Borg Carlotta, Barberat Rose, Barceló Marcella, Blanc Mireille, Caille David, Canesson Corentin, Capron Hugo, Chén Xuteng, Claracq Jean, Czermak Ichti Neïla, Dal-Pra Diane, Di Folco Inès, Flora Alison, Garcia-Karras Laura, Haddad Miryam, Hamdad Bilal, Hascoët Charles, Herbelin Nathanaëlle, Lefebvre Oscar, Marque Bouaret Mathilda, Martin Simon, Mirabel Johanna, Ricciardi Pacôme, Rivrain Cédric, Safa Christine, Sanchez Milène, Sartor Louise, Shatberashvili Elené, Sivertsen Johannes, Sokol Apolonia, Vaguelsy Gaétan, Ventura Romain, Yasmineh Rayan.

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