Dans un silence de cathédrale, Zonder

Jérôme Zonder est actuellement invité au Musée Tinguely à Bâle. Jusqu’au 1er novembre, les dessins magnétiques de The Dancing Room entrent en dialogue avec Mengele-Totentanz, une sculpture-machine réalisée en 1986 par Jean Tinguely.

Dans une salle nouvellement conçue pour accueillir Mengele-Totentanz, réalisée en 1986, le Musée Tinguely vient de lancer une série d’expositions consacrées à des œuvres entrant en dialogue avec la sculpture-machine de Tinguely. Jérôme Zonder est le premier à s’adonner à l’exercice. A l’étage du musée, les visiteurs entrent en silence dans une immense pièce. Apposés les uns à côté des autres, les dessins se chevauchent parfois. Les scènes se déroulent comme dans un cauchemar. Une manifestante à genoux est saisie par les forces de l’ordre. La même encadrée par deux policiers hurle à la face des visiteurs. Un type aux yeux masqués et à la mine réjouie prend la pose : barre de fer sur les épaules et corps affalés à ses pieds. Une fillette aux allures d’adulte tient un couteau à la lame effilée face à un individu à la tête recouverte d’un sac en papier. Un insecte en gros plan montre ses mandibules. La mort accorde un baiser fatal. Deux soldats montrent leur trophée : une femme nue. Et puis il y a ses visages d’enfants troués par de petits personnages agressifs comme sortis d’un dessin animé japonais. L’univers de Zonder est sombre. Il n’hésite pas à s’intéresser à l’inhumanité. La fascination que son trait ultra-sensible exerce n’a d’égale que la maîtrise de son geste. L’artiste est un prodige du dessin. Il pratique son art avec fougue et pertinence passant d’un style à un autre, d’une technique à une autre. Tantôt empruntant aux compositions et thèmes classiques, tantôt s’approchant de la photographie – il va jusqu’à masquer les yeux de certains de ces personnages comme il arrive que la presse le fasse –, tantôt s’attardant sur un détail ou au contraire jouant avec le flou pour forcer le regard. Le noir envahit l’espace, dramatise les scènes, unifie la fresque composée d’œuvres réalisées ces dix dernières années. Dans le mur du fond, un trou béant attire vers un autre monde, un cimetière froid de dangereuses machines. Nous sommes en 1986. Cette année-là, par une nuit d’été, la foudre frappe la ferme qui se trouve juste à côté de l’atelier de Tinguely, et y déclenche un incendie. De la vieille maison ne restent bientôt plus que des poutres carbonisées, des morceaux de ferraille, des outils agricoles métamorphosés par le feu. Touché par le drame, l’artiste suisse décide alors de récupérer un maximum d’objets tordus par la puissance de la chaleur pour les réunir en une sculpture-machine. Composée de 14 éléments, l’installation plongée dans la pénombre dirige les visiteurs vers une ensileuse à maïs, comme l’allée centrale de l’église mène les fidèles à l’autel. Les formes rendues agressives sont prêtes à tailler, découper, broyer. L’armée des ombres trépigne sur les murs blancs. Tous ces outils qui naguère faisaient fructifier la terre sont prêts à en découdre. Transformés par le feu du ciel, ils vivent ici comme en enfer. L’atmosphère est lourde. Machines qui menacent les hommes. A juste titre peut-être. De retour auprès des dessins de Zonder, l’enfant aveugle vous fixe. Ses cavités orbitaires noires de vide tremblent d’en avoir déjà trop vu. The Dancing Room est un bal funèbre. Du visage d’un autre petit garçon un motif se détache. L’écureuil hirsute déguste une noisette ! Zonder est un maître déroutant qui manie la profondeur et la surface, l’absurde et le grotesque, la violence et la sensibilité, l’angoisse et la dérision. The Dancing Room est un mur d’images pour de grands enfants qui, en sortant du musée, promettent à la lumière du jour de devenir bien sages.

Contact

The Dancing Room, jusqu’au 1er novembre au Musée Tinguely, à Bâle.

Crédits photos

Image d’ouverture : Vue de l’exposition The Dancing Room © Jérôme Zonder, photo MLD – Portrait de Garance #24 et Portrait de Garance #26 © Jérôme Zonder, photo MLD – Toutes les photos sont créditées © Jérôme Zonder courtesy Galerie Eva Hober

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