Choisissez, bougez, découvrez ! Ceci n’est pas un message du ministère de la Santé mais une incitation à profiter plus souvent des très nombreuses expositions de la capitale et notamment celles proposées par les galeries. Parce qu’il est agréable de diversifier les moments et moyens de la découverte, ArtsHebdoMédias vous invite à une promenade artistique imaginée comme un moment intense et partagé. Voici comment nous l’avons envisagée : déterminer un quartier et un jour, utiliser l’agenda d’AHM, sélectionner parmi les expos qui attisent l’intérêt, organiser le parcours en fonction des horaires d’ouverture ainsi que de la géographie, et inviter un amateur d’art à vous accompagner. C’est très exactement ce que nous avons fait. Le premier tour a eu lieu le jeudi 24 octobre en l’aimable et joyeuse compagnie de Nadine Szlifersztejn. Qu’elle en soit remerciée.

De la scène mythologique, ne nous parvient que l’essentiel : un regard déchirant les voiles de plâtre comme ceux des siècles. L’impériosité du corps nu attache le regard alors que l’esprit se laisse aller au mystère et à la grave réjouissance. Il y a dans cette image de Vittoria Gerardi (notre photo d’ouverture) tout ce que l’on attend de la découverte : la beauté et l’énigme. Après avoir travaillé sur la vallée de la Mort, la jeune artiste – née à Venise en 1996 – revient à la galerie Thierry Bigaignon avec une nouvelle série consacrée à Pompéi. A l’évidence, le talent n’attend pas le passage des ans. Aux cimaises et au sol, les photographies métamorphosées en deux propositions distinctes font vibrer doucement et intensément l’atmosphère. « Pour mémoire, Pompéi a été enseveli en 79 par l’éruption du Vésuve et n’a été véritablement redécouverte qu’au XVIIIe siècle. Il faut imaginer une cité entière complétement ensevelie sous sept mètres de cendres pendant quelques 1 700 ans », commente Thierry Bignaignon avant de raconter comment les premières fouilles ne se soucièrent guère de protéger le site. Cependant, dans la seconde moitié du XIXe siècle, un homme attentif à sa préservation imagina une technique de moulage qui permit de reconstituer toutes les formes organiques prisent au piège des matières éruptives. Ainsi, Giuseppe Fiorelli, alors directeur des fouilles, fit verser du plâtre liquide dans les espaces vides laissés notamment par les corps humains et ceux des animaux. « Nous pouvons dire que la majeure partie des connaissances que nous possédons aujourd’hui sur Pompéi, et donc sur cette époque, est la conséquence de l’utilisation de ce plâtre. En faisant sien ce matériau, Vittoria Gerardi a souhaité rendre hommage à l’archéologue. » Aux murs de la galerie, paysages, architectures, mosaïques… de Pompéi s’offrent à travers un voile. Qui cache et qui protège comme au temple mais dont le regard ne sait s’il se lève ou au contraire se pose. Pour ceux qui aiment savoir comment les choses adviennent, sachez que Vittoria Gerardi travaille directement sur les tirages de ses photographies prises à Pompéi. Des images qu’elle va rehausser de plâtre à l’aide de craie, de pâte diluée et de couches finement projetées (jusqu’à une cinquantaine). « Son travail porte à la fois sur la révélation et sur la dissimulation, à l’image de Pompéi où de nombreuses choses ont été découvertes et où beaucoup d’autres restent à découvrir. La série s’inscrit dans cet entre-deux. » Au sol, d’insondables parallélépipèdes en plâtre laissent affleurer quelques millimètres de matière noire. Les pièces abstraites renferment des tirages argentiques réalisés dans la cité antique, véritables métaphores des moulages des corps ensevelis. Pendant l’exposition, la Matrice, un livre réalisé par l’artiste, donne à voir toutes les photographies agrémentées d’un code également reproduit sur le socle des sculptures. Ainsi, il est possible de choisir celle qui correspond à l’image préférée que seule pourra restituer la mémoire de celui qui l’aura emportée. Le livre, lui, retournera à l’atelier. « Vous devenez ainsi une sorte de gardien du temple. Charge à vous de vous souvenir. » La mémoire respire alors dans le silence mélancolique et frémissant de la galerie.
Vittoria Gerardi-Pompeii, jusqu’au 10 novembre, galerie Thierry Bigaignon, Paris.
Thibault Brunet ou les limites du paysage

Flottant dans une étendue de gris, un bâtiment en ruine émerge d’une matière aux angles inattendus. Sur un autre mur, un environnement surgit par bribes d’un noir intense. Les paysages de Thibault Brunet imposent la distance liée au questionnement. Sans même rien connaître à la pratique de l’artiste, les sens y reconnaissent l’implication de la machine, une manière froide de s’attaquer à la représentation. Relief, architecture, objets, êtres humains… se transforment en données. Expurgés de tout ce qui est techniquement inconnaissable, ils sont restitués selon une logique mathématique. « Thibault Brunet a compris que toute machine de vision s’accompagne d’une ombre technicienne, que les données enregistrées et transitant par la boîte noire apparaissaient tel un nouvel input. A la fascination qu’exerce tout nouveau appareil de reproduction, Thibault Brunet préfère jouer avec le noir de la boîte et flirter avec ses limites. Il en résulte des paysages perçus comme fantastiques ou distordus, dont la cohérence optique ne procède plus de nos schémas cognitifs, mais du software et du hardware qui en modélisent la synthèse », explique Marion Zilio, commissaire de Boîte noire, actuellement présentée à la galerie Binome. L’exposition tire son nom d’une série débutée en 2018 aux Etats-Unis alliant photographie et réalité virtuelle. Des images extraites de vidéos trouvées sur le Web et émanant d’organes de presse ont été modélisées en 3D pour obtenir une reconstitution parcellaire de ruines situées à Alep et à Damas. « A mi-chemin entre la restitution muséographique et le jeu vidéo, ces maquettes paraissent tout à la fois déréalisées et paradoxalement recorporalisées. » Plus intrigante encore, la série Territoires circonscrits, dont les photographies en noir et blanc de Soleil noir constituent le troisième volet. A l’aide d’un scanner tridimensionnel, Thibault Brunet enregistre des environnements à 360 degrés dont les données sont restituées en volume et qui servent de base à un travail qui par endroit rappelle celui du dessin. « Le réel, passé au filtre de l’appareil, donne naissance à un univers distordu, fantastique, qui s’estompe progressivement avec les limites de la machine. » Avant de quitter la galerie, une autre proposition mérite toute l’attention du visiteur : Ault. Prix Révélation Livre d’artiste 2019 MAD-ADAGP, l’ouvrage en deux volumes arbore une tranche sculptée reprenant les aspérités de la falaise d’Ault dans la Somme. Capturées par un laser de télédétection, des milliers de données déploient page après page le panorama du relief léché par le ressac. Délimitant le livre comme le paysage.
Thibault Brunet-Boîte noire, jusqu’au 21 décembre, galerie Binome, Paris.
Extension du domaine de la virtualité par Dominique Pétrin

Un cacatoès à huppe jaune regarde vers la porte de la galerie Charlot. Juché sur un empilement de formes plus incertaines les unes que les autres, il domine la situation. A droite, une perruche fait semblant de s’intéresser à un smartphone ancien modèle. A gauche, une cigarette électronique et un inhalateur tentent de donner le change au côté d’une plante verte en pot. Réalisé in situ, ce collage témoigne de la minutie et de l’espièglerie qui règnent dans l’œuvre de Dominique Pétrin. « Espace domestique et espace virtuel se fusionnent, l’écran n’étant plus une barrière entre réel et virtuel, mais une frontière que l’artiste s’amuse à franchir et refranchir, en collectant à chaque fois de nouveaux éléments. Fenêtres superposées, barres d’outils, colonnes, données, objets 3D, fondent l’architecture de son esthétique pourtant surprenamment analogique dans son exécution. Ses motifs, sorte de tapisseries digitales qui recouvrent les murs et le sol, jouent avec l’archéologie du numérique, strictement liée au métier à tisser, mais aussi avec l’histoire contemporaine du design, d’Eduardo Paolozzi au Memphis Group », commente Valentina Peri, commissaire de l’exposition. Dans un des angles hauts de la pièce, une caméra de surveillance décale l’installation en la fixant dans une réalité improbable. Le mur recouvert d’un damier noir et blanc accueille des papiers aux décors différents imaginés, découpés et collés par Dominique Pétrin délimitant un espace d’accrochage sur lequel s’épanouissent deux hexagones aux motifs colorés, géométriques et vibrants. Inspirée depuis plusieurs années par les fresques de Pompéi, elle s’intéresse particulièrement à leur capacité à créer des architectures « rêvées » à l’intérieur d’autres qui ne le sont pas. Chaque mise en scène est un « théâtre de l’imaginaire », comme aime à le souligner l’artiste.
Dominique Pétrin-Pompeii MMXIX, jusqu’au 11 janvier 2020, galerie Charlot, Paris.
The Spaceless gallery ou la galerie métamorphosée

Le mouvement dirige le monde et il n’est rien de le constater. Toutes les sphères de l’art sont poreuses. L’art lui-même s’immisce bien au-delà de sa zone de confort traditionnelle et ses acteurs sont amenés à redéfinir leur rôle ainsi que leur périmètre d’action. La jeune génération développe d’autres modèles. Ecouter Béatrice Masi expliquer le concept de The Spaceless gallery en est la preuve. Lancé il y a un an, cet espace d’art sans murs, sans habitude, sans idées préconçues, se déplace au gré des projets et chacune de ses haltes est conçue comme un événement. Au cœur des préoccupations de la jeune femme : l’expérience. Celle qu’elle a acquise durant ses études d’histoire de l’art, auprès des entreprises pour lesquelles elle a travaillé, comme Christie’s, des séjours à l’étranger qu’elle a effectués, mais aussi celle que l’art se doit de créer. Utiliser son expérience pour en créer une autre au pluriel est sa motivation. Imaginer des propositions décalées, introduire l’art dans des lieux inattendus, comme une orangeraie, ou investir une galerie tout ce qu’il y a de plus classique, rien n’est interdit. Seuls impératifs : le sens et le savoir-faire. Goûter à ces délices est actuellement possible. Jusqu’au 10 novembre, Béatrice Masi présente dans le Marais des œuvres de Lara Porzak, Félicie d’Estienne d’Orves, Pandora Mond, Jayde Cardinalli, Noémie Lacroix et Hugh Findletar. « Le vide, disait Charlotte Perriand, contient tout, car il représente la possibilité de bouger, le mouvement en puissance. Mais imaginons un espace infini, dépourvu de tout repère. Dans un tel espace, il serait impossible de se déplacer, car rien ne permettrait de mesurer la distance parcourue. Il faut donc au minimum que le vide contienne un référentiel pour que cette proposition soit vraie. L’exposition Space(less) se propose d’imaginer la nature de ce référentiel : de quoi le vide doit-il être empli pour permettre le mouvement ? » Chaque pièce de l’exposition est une réponse à la question.
« SPACE(LESS) », jusqu’au 10 novembre, 7, rue Saint-Claude, Paris.
L’Atlas emporte l’enthousiasme des petits et des grands

« Depuis 1975, le Musée en Herbe présente des expositions d’art adaptées à tous, de 3 à 103 ans. » Encore faut-il le savoir ou se le remémorer ! A deux pas de la rue de Rivoli, l’association développe depuis plus de 40 ans une approche de l’art fondée sur le jeu et l’humour. A travers une scénographie léchée et ludique, une médiation et des ateliers adaptés à chaque public, l’établissement se donne pour ambition de rendre l’art accessible à tous et notamment aux personnes en situation de handicap comme de précarité. A l’affiche actuellement, L’Atlas. L’exposition Walk the Line with L’Atlas invite à un voyage dans le temps et dans l’espace, à la découverte du travail de l’artiste et de ses principales inspirations. Ainsi, ses pièces sont-elles accompagnées d’objets archéologiques prêtés par le Louvre, de dessins de Keith Haring, d’affiches lacérées de Jacques Villeglé ou encore de toiles signées Victor Vasarely. Un vrai plaisir que celui de comprendre ainsi les ressorts de l’œuvre. La proposition est à la fois inattendue, intéressante et réjouissante car il ne s’agit pas seulement de regarder, mais surtout de s’impliquer. Il faut suivre l’artiste voyageur dans ses pérégrinations, s’amuser avec des dispositifs que le G.R.A.V. n’aurait pas reniés, chausser une paire de lunettes pour apprécier des œuvres en réalité augmentée, s’asseoir sur un banc et échanger avec les autres visiteurs… Non seulement, le travail si caractéristique de L’Atlas apparaît dans une diversité insoupçonnée, mais sa découverte enthousiasme.
Walk the Line with L’Atlas, jusqu’au 22 mars 2020, Musée en Herbe, Paris.
Quand Giuseppe Penone fait couler la sève

Tout va trop vite ! Les tourbillons engendrés par les foires d’automne se succèdent et toutes les pépites ne sont pas louées en temps et en heure. C’est le cas de l’invitation lancée à Giuseppe Penone par le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Au cœur de sa vaste salle hypostyle baignée de lumière, l’artiste a présenté durant une dizaine de jours Matrice di linfa (Matrice de sève). Pour consoler tous ceux qui n’ont pas pu l’admirer, voici quelques lignes écrites par Giuseppe Penone à son propos, en 2009 : « Le tronc d’un sapin renversé perd en partie sa nature végétale et suggère une nature différente, animale ; il rappelle une chenille. Son tronc divisé à moitié tout au long de ses vingt-cinq mètres et exposé ouvert comme les pages d’un livre révèle la section de tous ses anneaux de croissance, environ cent. Ses branches, de ses étages très touffus, coupées à environ 80 centimètres du tronc semblent se mouvoir dans le vide. Ce sont des pattes qui agitent l’air, comme les rames d’une antique galère agitaient l’eau de la mer. Un bateau long et fin qui sillonne l’espace poussé par la force des branches. Les branches qui, s’agitant dans le vent, ont poussé l’arbre vers la lumière, année après année, étage après étage, cent saisons durant, en ramant contre la force de gravité et en élevant le tronc, l’entourent maintenant tel un autel sacrificiel long de 40 mètres. Les deux moitiés de cette table très longue ont été creusées, évidées. De leur intérieur, leur a été ôtée la forme que l’arbre avait à 80 ans. On pourrait penser que l’arbre nu soit dans la forêt et qu’on lui ait enlevé seulement 20 habits, 20 ans de croissance. Son absence, telle une empreinte, d’un corps qui se relève du sommeil, rappelle le lit d’un fleuve. Un fleuve de sève le parcourt, remplit son vide et souligne l’horizontalité, à laquelle l’implacable force de gravité nous soumet tous. Le rouge ambré de la sève remplit la matrice laissée par l’arbre et l’anime, sa lueur rappelle la vitale turgescence du corps qui l’a habitée. Son parfum envahit et dilate les poumons qui deviennent à leur tour matrices de l’espace de la forêt. » Expérience vécue le dimanche 20 octobre 2019 en compagnie de nombreux visiteurs.
Le trait immersif d’Alexandre & Florentine Lamarche-Ovize

Quand l’information est tombée, le temps s’est enroulé. Saint-Nazaire, 2017. Les Nouvelles de Veracruz ont pris possession du Grand Café. L’exposition signée Alexandre & Florentine Lamarche-Ovize déploie sur les murs du centre d’art une rencontre imaginaire entre les univers de William Morris (1834-1896), père du mouvement Arts & Crafts, et d’Elisée Reclus (1830-1905), géographe pionnier de l’écologie et anarchiste communard. Toutes sortes d’images s’imposent et se superposent. L’esprit voyage entre couleurs et formes d’ailleurs, fresques et céramiques luxuriantes. Le souvenir est d’autant plus réjouissant qu’il est précis. Une évidence naît : il faudra se rendre au Drawing Lab, où les artistes invitent actuellement à découvrir Elisée, une biographie. Un titre qui laisse penser qu’une suite de l’aventure plastique antérieure est proposée. « L’exposition entend reconstituer un concentré de paysage, réconciliant l’absolu et le fragment. Le sol, les murs, le plafond sont investis. Le visiteur est entouré, partout des fleurs, du ciel, des montagnes, des ruisseaux, des arbres. Ils sont dessinés, peints, sérigraphies, imprimés », explique Solenn Morel, commissaire de l’exposition. Et d’affirmer par ailleurs que les artistes « dessinent le monde comme Elisée Reclus entendait nous le faire connaître : foisonnant de détails, de couleurs, d’impressions sensibles superposées à des descriptions précises de morceaux de nature. » Rue de Richelieu, les retrouvailles sont heureuses. Le trait et l’esprit sont de retour. Le regard peut se laisser submerger.
Alexandre & Florentine Lamarche-Ovize- Elisée, une biographie, jusqu’au 9 janvier 2020, Drawing Lab, Paris.
Des arbres promis au Troisième Paradis

Au cours de la récente édition de La Nuit blanche à Paris, la Cité des sciences et de l’industrie a invité Thanks for Nothing à investir ses espaces tant intérieurs qu’extérieurs avec un projet artistique, solidaire et participatif. C’est dans ce cadre qu’à la tombée du jour, des centaines de volontaires se sont laissés guidés pour former, sous le regard bienveillant de Michelangelo Pistoletto, le Troisième Paradis, expliqué ainsi par l’artiste : « L’idée du Troisième Paradis est de ramener l’artifice — qui est la science, la technologie, l’art, la culture et la politique — à la Terre, en engageant le rétablissement de principes communs et un comportement éthique, dont dépend le succès réel du projet. Le Troisième Paradis est le passage à un nouveau niveau de civilisation planétaire, indispensable pour assurer la survie de la race humaine. Le Troisième Paradis est le nouveau mythe qui conduit tout le monde à prendre une responsabilité personnelle en cette conjoncture mémorable. Le Troisième Paradis est symboliquement représenté par une reconfiguration du signe de l’infini mathématique. » Déambulant entre deux traits de couleur, les participants à la performance ont agité au-dessus de leurs têtes une lampe allumée dessinant dans la nuit noire le Troisième Paradis. Pour chacun d’entre eux, la promesse de planter un arbre a été faite.