Originaire de Chartres, Sarah Khodri est architecte, photographe, et auteure d’un premier ouvrage, Éphémère, publié le 1er avril dernier aux éditions Douro. À travers deux médiums, la photographie et l’écriture, elle capture des moments du quotidien, pour en faire des instants singuliers et extraordinaires. Inspirée notamment par Vivian Maier et Georges Perec, elle relate dans son livre-photo des scènes du premier confinement. Un récit entre photographies en noir et blanc et textes poétiques. Rencontre.
ArtsHebdoMédias – Quand et comment avez-vous commencé la photographie et l’écriture ?
Sarah Khodri. – En 2015, lors d’un travail en arts plastiques au lycée, j’ai utilisé la photographie pour m’exprimer. C’était la toute première fois qu’à travers un moyen artistique, je retranscrivais une idée personnelle. Il nous était demandé d’expliquer à l’écrit le processus mis en place pour l’élaboration de notre projet. C’est aussi comme cela que j’ai commencé à mettre des mots sur mes réflexions. Finalement, j’ai toujours couplé la photographie et l’écriture. Par la suite, j’ai utilisé ces outils de manière expérimentale lors de travaux à l’école d’architecture. J’avais un cours d’arts plastiques avec un professeur qui nous a inculqué les notions du quotidien et de l’évènement. J’ai écrit un essai d’une dizaine de pages, une sorte de journal daté, constitué de pensées et d’évènements, qui consistait à répertorier, étudier la notion de quotidien. Jusqu’à aujourd’hui, ce sujet du quotidien alimente mon travail artistique à l’image de mon ouvrage.
Comment est née l’idée de votre premier livre-photo ?
L’écriture de ce livre est arrivée à un moment où je m’y attendais le moins. Mars 2020, pendant le premier confinement, j’ai dû retourner en province chez mes parents, loin de ma vie parisienne. Cela a été un choc pour moi, et pour de nombreuses autres personnes j’imagine. Chacun l’a vécu différemment, et j’ai fait partie de ceux qui ont vu leur imagination, et leur besoin de créer, croître lors de cet isolement. Au départ, je cherchais simplement une échappatoire, un moyen de faire passer le temps et d’accepter cette situation. Et c’est lorsque la lumière du soleil est venue frapper une surface du mur de ma chambre que j’ai « retrouvé espoir ». Cet instant m’a tellement captivé que je l’ai photographié en noir et blanc voulant ainsi mettre en avant la composition de ce tableau qui s’offrait à moi, et passer sous silence le reste. A partir de ce moment-là, tous les jours, je flânais dans ma maison afin de capturer ces évènements incroyables. Puis, à cause de, ou grâce à, mon côté rationnel, j’ai établi un protocole d’écriture. Je devais capturer une photographie en noir et blanc, la dessiner sur mon carnet, puis écrire tout ce à quoi cet instant me faisait penser. Au départ, cela se faisait de manière très spontanée. Au fur et à mesure, le protocole devenait contraignant, j’avais des pannes d’inspiration et me retrouvais devant ma feuille sans savoir ce que je devais écrire. Alors je « trichais » en quelque sorte, je m’accommodais en prenant plus de libertés. Au final, j’avais imposé ces règles uniquement pour me pousser à écrire, d’une certaine manière cette expérience était faite pour contourner ces règles. Je me suis retrouvée avec un ensemble de textes, dessins et photos, une sorte d’inventaire d’un lieu habité, où des moments du quotidien étaient magnifiés. J’ai trouvé ça très intéressant, donc j’ai mis en page ce récit. C’était une manière de concrétiser et mettre un point d’orgue à cette quête au soleil. Ensuite, une amie m’a suggéré de l’envoyer à des maisons d’édition. Je ne m’y connaissais pas du tout, mais cette amie m’a convaincue que mon travail en valait la peine, j’ai envoyé mon manuscrit à une trentaine d’éditeurs. J’ai eu la chance incroyable d’intéresser la maison d’édition Douro, qui a à cœur de donner leur chance à de nouveaux écrivains.
Pourquoi avoir intitulé votre ouvrage Ephémère ?
C’est lorsque je mettais mon travail en page que j’ai pensé au terme « éphémère », qui peut se définir comme « momentané » ou « temporaire ». Les moments que j’ai photographiés, à la manière des éphémères (insectes, NDLR), ne vivaient que quelques heures. Ils dépendaient de la course du soleil et différaient d’un jour à l’autre. L’idée était de prendre conscience de leur durée de vie limitée et de les immortaliser en les capturant. Pour moi, c’était une manière de marquer ces moments d’espoir malgré la difficulté environnante. Puis, la période du confinement avait une certaine temporalité avec un début et une fin. Un isolement, certes compliqué, mais éphémère…
Comment décririez-vous votre style, que ce soit en photographie ou en écriture ?
Ce qui m’anime est d’interroger ou réinterroger ce qui nous entoure en donnant à voir les éléments du quotidien, un intérêt qui est d’ailleurs magnifiquement résumé par Georges Perec dans son livre L’infra-ordinaire : « Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, l’habituel, comment en rendre compte, comment l’interroger, comment le décrire ». Comme je m’interroge beaucoup, et peut-être parfois un peu trop, l’écriture et la photographie sont des moyens de mettre à plat et stabiliser mes pensées. Surtout, cela me permet de m’accorder une pause, de figer un moment, un instant auquel je porte un intérêt soudain. Alors, je me mets à analyser en détail ce que je vois, et ce que je ressens, à l’image de Vivian Maier, une photographe que j’apprécie particulièrement : elle capture des gestes furtifs en faisant des gros plans sur le tissu urbain qui se déploie sous ses yeux.
L’architecture joue-t-elle un rôle dans votre démarche artistique ? Et inversement ?
L’architecture est un domaine vraiment vaste et pluridisciplinaire. Ma manière de raisonner en architecture est nourrie par mon travail artistique et vice-versa. En architecture, ce qui m’anime c’est la recherche du détail, transposée à différentes échelles, cela représente pour moi la justesse, l’évidence et l’esthétique. C’est ce qui n’est peut-être pas immédiatement perçu, mais qui fait la différence. Que ce soit à l’échelle du bâti, ou du sol, j’aime m’attarder sur ces éléments précis. C’est ce que je tente de transposer dans ma démarche artistique : je regarde des fragments de l’ordinaire qui finalement se suffisent à eux-mêmes et, par leur évidence, sont déjà extraordinaires.
Quels sont vos projets immédiats ?
Aujourd’hui, mon premier objectif est que mon livre plaise et intéresse. Tout est arrivé rapidement, je ne m’y attendais absolument pas. J’ai vite compris que pour faire vivre un tel projet il faut se donner les moyens et y consacrer du temps. Je parle donc de mon livre autour de moi et je vais avoir la chance de participer au salon de l’Autre Livre, à Paris, l’après-midi du 24 avril. Sinon, je continue de nourrir ma page Instagram (@infraordinariser) de textes et photographies liés à mon quotidien.
Contact> Sarah Khodri, sera présente au Salon de l’Autre Livre l’après-midi du 24 avril. Palais de la Femme, 94 rue de Charonne 75011 Paris
Image d’ouverture> Photographie extraire d’Ephémère. ©Sarah Khodri