Devant ma fenêtre vient de passer le rouge-gorge tandis que le merle sautille allégrement sur l’herbe voisine. Ce matin, tout ressemble à une fable mais La Fontaine ne sera pas le déclencheur du premier texte de l’année. Je relis ceux de …2017, 2018, 2019, 2020, 2021, 2022, 2023 et je me demande s’il ne serait pas temps d’arrêter cet exercice périlleux qui oblige à des pirouettes sémantiques de plus en plus acrobatiques. Il est révolu le temps de l’optimisme béat, de la croyance au progrès automatique. Cependant, laisser tomber n’est pas dans mon habitude, je vais donc oublier les cailloux jetés dans ma chaussure en 2023 et partir d’un pied léger vers une nouvelle inspiration.
J’ai entendu à la radio que la meilleure chance de voir se réaliser les résolutions prises à minuit était de les configurer de manière raisonnable. Changer, paraît-il, prend du temps ce pourquoi il faudrait calibrer nos souhaits à nos capacités de façon à réaliser ces derniers avant d’avoir eu à se lasser des efforts qu’ils nous demandent. Le raisonnement pourrait sembler frappé au coin du bon sens. Il fait d’ailleurs ressurgir un tas d’autres conseils comme « Qui veut voyager loin ménage sa monture » ou « Rien ne sert de courir il faut partir à point ». Bref, si j’entends bien la petite musique de fond, il ne faudrait pas se brusquer mais plutôt se ménager histoire de ne pas s’abîmer… Sérieusement, vous croyez que nous serions à la veille de fêter les 15 ans d’ArtsHebdoMédias si nous avions agi de la sorte ? Nous n’aurions peut-être même pas encore écrit une ligne !
Trouver l’équilibre, programmer le juste effort… sont choses impossibles a priori. Il faut se lancer, se jeter à l’eau pour en connaître la température. C’est l’enthousiasme, la foi et l’inconscience qui permettent aux projets les plus fous de se réaliser et aux individus de se dépasser. Ambitionner l’indicible bonheur d’exister dans la modération des envies, des sentiments, de l’engagement, du faire, cela ne se peut. Il ne faut jamais compter, se retenir, se calmer, au risque de voir le monde entier se désenchanter. Alors oui, parfois, on est fatigué mais ce n’est que passager. Tout le temps où nous serons en bonne santé, il nous sera possible de poursuivre notre indéfinissable rêve.
Il y a tant de magnifiques gens, livres, peintures, films, spectacles, mais aussi discussions, paysages, courants d’air et regards. Même sans fin cette liste serait trop restrictive, trop personnelle. Je vous laisse donc le soin de dresser la vôtre. Dans chacun de nos panthéons, des personnes, des mots, des images nous portent, une foultitude d’instants cruciaux et de points de vue différents nous rendent tendres, intelligents et incroyablement heureux. Ils sont subjectifs, éphémères et ne se laissent pas forcément convoquer à l’envi, mais ils sont réels.
Le merveilleux est le thème choisi par Smaris Elaphus, la revue papier qu’ArtsHebdoMédias publie en 2024 avec Corridor Eléphant et TK-21. Ce n’est pas anodin. C’est un signe. Avoir un but commun, partager, emprunter des chemins inconnus, se laisser surprendre et s’amuser ensemble. Je pourrais tenter de vous convaincre que la rationalité en toute chose empêche les envolées de l’esprit et du cœur, que l’économie de soi engendre le repli et la pauvreté, mais je n’en ferai rien. Chacun est libre de penser ce qui lui plaît.
Pour clore mon propos, je veux remercier tous les auteurs qui enrichissent ArtsHebdoMédias, semaine après semaine, mois après mois, année après année, et tous ceux qui depuis 15 ans nous lisent. J’ai une pensée aussi pour tous les artistes disparus ces derniers mois et pour ceux entôlés, blessés, empêchés de créer en de nombreux endroits du monde, et dont le sort, partagé par tant d’autres (journalistes ou non), est terriblement incertain. Pour eux, il me semble important de mesurer, de vivre à fond, les chances que nous avons. Et comme l’ont si bien chanté les Rita Mitsouko : « Rien ne sert d’être trop triste. Au contraire. Bien au contraire. »
Toute la rédaction d’ArtsHebdoMédias vous présente ses meilleurs vœux pour 2024.
Que l’art soit une réjouissance, un refuge et un moyen exemplaire d’expression, d’action et de liberté.
Image d’ouverture> Sur une plage normande autour de 12 h le 1er janvier 2024. ©MLD