Alors qu’Olivier Masmonteil est à l’affiche de La peinture, une bonne résolution, exposition collective accueillie par la Galerie Vis-à-Vis, à Metz, Isabelle de Maison Rouge nous présente la collaboration entre le peintre et la Maison Bompard. Occasion pour l’historienne et critique d’art d’analyser comment peuvent se tisser des relations fructueuses entre l’art et l’entreprise.
Art et entreprise, le rapprochement ne va pas forcément de soi, cependant certaines initiatives visent à les réconcilier. Si au premier chef cette approche prête à une confusion des genres c’est sans doute pour mieux signifier l’ambition de l’art d’interroger les modalités de l’entreprise et vice versa… Ce type de projet offre un dispositif ouvert et évolutif et qui permet de travailler sur une pratique qui se joue comme une expérience, un regard autre et un double échange. Les relations entre art et entreprise ne fonctionnent pas dans un seul sens, le mécène ou commanditaire et son bénéficiaire, mais dans une sorte de réciprocité. L’artiste n’agit pas seul, mais au sein d’un univers où chacun trouve sa place, en prise directe avec le monde qui change, il sert de marqueur dans la société.
L’art contemporain se construit autour d’une redéfinition de ses frontières. Ces territoires plus vastes de l’art peuvent être le sujet d’une approche inédite de communication de haute voltige où deux univers se rencontrent. Tel est le cas dans l’exemple de la rencontre entre la peinture d’Olivier Masmonteil et le cachemire d’Eric Bompard. Olivier Masmonteil est un peintre de métier scrupuleux, soigneux, méticuleux. Il s’intéresse de très près au médium qu’il a choisi en étudiant la technique de peinture à l’huile des grands maîtres du passé. Il s’est tout d’abord consacré exclusivement au genre du paysage pendant une dizaine d’années. La notion de paysage s’est élargie depuis l’extension de l’urbanisation, englobant une réflexion ouvrant autant au paysage intérieur qu’au monde contemporain qui se déploie sous les yeux du peintre et dont il a envie de rendre compte. Il dialogue avec l’histoire de l’art convoquant et échangeant avec ses pairs des siècles précédents. Son atelier fonctionne comme autrefois avec un certain nombre d’assistant mais devient un appareil moderne efficace, où chacun de ses participants apporte une particularité à l’image d’un travail de partenariat. La question de l’entreprenariat le concerne donc. Aussi pour lui collaborer avec une autre entreprise devient une occasion d’échanges et enrichissement mutuel. Il n’aime pas le côté intrusif que peut revêtir parfois ce type de rencontre, mais il tient à ce qu’elle soit au contraire harmonieuse et donne l’impression qu’elle existe depuis toujours, que l’histoire s’avère commune. Avec l’équipe d’Eric Bompard ce fut justement l’association de deux univers avec des gens ultra compétents, chacun s’occupant de la partie qu’il connaît mais unissant leurs compétences, Olivier Masmonteil fait de la peinture et la directrice de création des pulls en cachemire… Pour le peintre entrer dans l’ouvrage de l’autre, échanger, se sentir accompagné, en sécurité pour pouvoir expérimenter et s’exprimer sur un support qu’il ne connaît pas du tout, sentir la fusion de deux expertises lui a beaucoup apporté. A la genèse de cette aventure, Barbara Werschine, CEO d’Eric Bompard, qui a été présentée à l’artiste par un ami commun et admirative de son travail artistique, voit comme une évidence ce partenariat avec un peintre qui travaille la couleur et la matière comme nul autre et partage de nombreuses valeurs communes avec la maison Bompard qui œuvre avec grande dextérité à partir d’une autre matière et autre couleur depuis plus de 35 ans. Elle lui propose de créer une partie de la collection pour l’amener ailleurs. Lors du premier échange, elle part sur la ligne car elle connaît les horizons du peintre. Lui a d’abord en tête l’idée de l’arbre. Elle lui confie que les pulls sont comme une seconde peau. Ce qui évoque aussitôt au peintre la notion de tatouage qui est un élément personnel, épidermique, intime, secret, quasi réservé à des initiés, qui se découvre petit à petit, n’est pas ostentatoire et reste énigmatique. Une bonne idée se déroulant de manière évidente, les deux protagonistes font se rejoindre leurs deux conceptions. Celle du tatouage, le motif de l’arbre qui suit l’artiste depuis 20 ans, réalisé en broderie (à Cholet) et plutôt que le mettre simplement comme cela se fait d’habitude dans la confection au centre de la poitrine l’artiste choisit de le mettre sous l’aisselle, au-dessus de la fesse ou sur l’omoplate. Sur la demande de l’artiste, cette collaboration soutien le projet environnemental développé avec l’association Reforest’Action puisque pour l’achat d’un pull, un arbre est planté dans le domaine de Chantilly. L’autre sujet qui enthousiasme l’artiste d’emblée reste évidemment la couleur puisqu’une des particularités de Bompard est d’avoir plus de 4000 références de couleurs. Le peintre a l’impression d’être entré dans une confiserie avec ces teintes aux noms évocateurs, corail, océan, si poétiques, qui le font voyager. Initialement Olivier Masmonteil part sur 12 couleurs puis finalement il en utilise 36…
L’atelier Olivier Masmonteil et la Maison Eric Bompard se rejoignent sur des valeurs qui les unissent. En premier lieu la nature, mais également le temps, le travail bien fait, la transmission (aux collectionneurs pour l’un aux clients pour l’autre). Ils partagent également leur position à rebours des modes et des tendances au profit de la connaissance. Le goût pour le paysage d’Olivier Masmonteil vient de son voyage autour du monde et d’une grande sensibilité à la nature. Il puise toute son inspiration dans l’histoire de l’art pour créer une expression contemporaine. Le studio de création d’Eric Bompard trouve son identité dans l’histoire du cachemire qui est une matière naturelle qu’il associe au respect des animaux qui la fournissent grâce à des pratiques responsables (les chèvres dont on récupère le cachemire sont brossées) et le savoir-faire de l’artisanat avec l’expertise de la maille. La mise au point se fait en France dans le studio à Paris et la confection se fait près de la matière en Mongolie intérieure. L’expérience est donc vécue comme une union créative, l’association entre d’un côté la directrice de création et le studio et de l’autre côté Olivier Masmonteil et son atelier, lui offrant la liberté de revisiter le pull intemporel. Le résultat se présente sous la forme d’une collection capsule responsable et engagée de pulls (deux pour homme, deux pour femme) et une pièce collector le châle en édition limitée à 200 exemplaires inspiré d’un tableau qu’il peint à partir des couleurs Bompard sur un paysage de Nouvelle-Zélande qu’il affectionne particulièrement et le défi a consisté à rendre ces couleurs sur l’étole. En outre, la toile réalisée par le peintre a été présentée dans les vitrines dédiées. Enfin pour poursuivre l’aventure humaine, l’artiste a réalisé un mini tour de France pour rencontrer les clients et expliquer son travail, et le shooting pour la campagne de presse de la collection de pulls a été réalisé à l’atelier. « Sortir l’artiste de son champ est formidablement intéressant », conclut Olivier Masmonteil.
Contact> La peinture, une bonne résolution, jusqu’au 20 février 2022, à la Galerie Vis-à-Vis, à Metz. Eric Bompard x Olivier Masmonteil. Site de l’artiste.
Crédit> Image d’ouverture : ©Olivier Masmonteil