Quand le vent du large souffle à Wattwiller

Aqua Terra, un monde fantastique de céramique, où l’eau se manifeste sous toutes ses formes tangibles comme symboliques, s’explore actuellement à La Fondation François Schneider, à Wattwiller (Alsace). Créée en 2000, l’institution poursuit un double engagement en faveur de l’éducation et de la culture, en soutenant notamment des artistes dans le développement de leur carrière et en distribuant des bourses d’études à de jeunes bacheliers. C’est dans une ancienne usine d’embouteillage transformée en centre d’art, qu’elle accueille le public. Pour Aqua Terra, quelque trente artistes céramistes ont investi ses espaces de transparence et de lumière. A découvrir jusqu’au 22 septembre.

La Fondation François Schneider accueille tout l’été une nouvelle exposition temporaire mettant en avant la céramique contemporaine sur le thème de la mer et des océans. Évoquant d’entrée les jeux de plage ou les splendeurs de l’horizon, pour s’arrêter ensuite sur les majestueux icebergs ou plonger au cœur des abysses, les œuvres de terre et de feu de plus d’une trentaine d’artistes nous invitent à une véritable odyssée marine tout en nous questionnant sur la fragilité de cet incroyable et précieux écosystème.
Aqua Terra débute par l’œuvre performative d’Alexandra Engelfriet, plasticienne néerlandaise qui n’a de cesse d’interroger notre relation au monde et aux matières qui nous entourent. Une vidéo très forte montre l’artiste faisant littéralement corps avec la glaise d’une baie de mer au relief aussi hostile que fantastique… Drôle de plage pour une entrée en scène, et à la fois très belle séquence d’ouverture sur notre rapport au vivant. La suite est plus légère : de la série Tribord-Bâbord de Marie Heugebaert, qui s’intéresse au balisage en mer et dans les ports, à la Chaise de maître-nageur de Lisa Pélisson, en passant par Les Crevettes diaboliques, de Johan Creten, qui nous questionnent avec humour et une pointe de surréalisme sur la crise écologique actuelle.

Vue d’exposition, Aqua Terra, Fondation François Schneider. ©Photo Steeve Constanty

Au loin, dans l’espace baigné de lumière et donnant sur le parc, un horizon se profile mêlant à la fantaisie des Baigneuses d’Agathe Brahami-Ferron, la belle énergie de l’incroyable vague de Félicien Umbreit intitulée La Mer : la liberté (photo d’ouverture), ou encore la féérie des fils de pluie suspendus dans l’air de Car Loray, gouttelettes en céramique blanche, qui telles des cascades célestes évoquent une danse poétique entre la terre et le ciel. Ici, tout peut sembler encore joyeux et on croirait entendre le bruit du ressac et sentir le vent du large.
Quelques marches en contrebas, la magie des émaux céladon et l’intense blancheur de la porcelaine nous transportent vers un monde de glace, un moment comme figé dans l’éternité. Mémoire d’une résidence encore récente au Groenland, Cécile Fouillade s’inspire des nuances et motifs de la fourrure de phoque, animal symbolique, qui fournit nourriture, vêtements, chaleur et lumière aux populations des régions nordiques, alors que Weronika Lucinskä présente son travail sur les icebergs, étonnante installation expérimentale dans laquelle des blocs de porcelaine durcis par la cuisson flottent dans l’eau jusqu’à y couler lentement et progressivement du fait de la porosité de la matière. Avec son œuvre Stalahtos, Safia Hijos évoque, elle, la transformation de l’eau de l’état liquide à l’état de roche se formant lentement par calcification.

Weronika Lucinskà, Iceberg. ©Photo Steeve Constanty

Le parcours se poursuit, telle en plongée, par paliers successifs nous conduisant dans les profondeurs du bâtiment, à la découverte des vestiges qui peuplent les fonds marins. Le Spacesuit d’Elsa Guillaume, éclaté de scaphandre à taille humaine, nous accueille tel un guide insolite et fantomatique prêt à ouvrir l’expédition. Plongé dans une semi-obscurité, il nous invite à découvrir l’œuvre magistrale de Cordina & Mérovée Dubois, Mein Er Mère, hommage à la pierre couchée sur l’estran de Locmariaquer (Bretagne), qui depuis le Néolithique a vu la mer monter d’un mètre par millénaire, et les collines devenir îles.
Aboutissement enfin de cette lente et progressive descente, nous voici au cœur des abysses à la rencontre d’une armée de créatures marines toutes aussi fantastiques que parfois drolatiques. Kartini Thomas ouvre le bal avec Tentaculaire II, sculpture, qui s’inspire, comme toujours dans son travail, de ses recherches en biologie, de monstres japonais et jouets modulaires. Tout aussi étrange et ambigu Le poisson scintillant de Muriel Persil semble, lui, attendre sa proie en dansant dans une douce pénombre, sous le regard amusé de L’hippocampe de Mélanie Broglio, archétype féminin agrémenté de coraux, qui laisse échapper de sa bouche un cheval de mer.

Muriel Persil, Le poisson scintillant, 2022. Grès émaillé. ©Photo Steeve Constanty

Étonnant dialogue que cet hommage de la céramique, être de terre et de feu, à ce monde de l’eau que constituent mers et océans, qui semble tenir comme l’on aime à dire du « mariage de la carpe et du lapin » ! Et pourtant, à remonter dans l’histoire de l’art, nous reviennent à l’esprit les fresques d’azulejos et autres majoliques nous contant les grandes traversées et conquêtes à la découverte des nouveaux mondes. La terre, sans doute après la pierre, et dès l’âge du bronze n’a-t-elle pas servi très tôt de support à décor, à travers objets d’usage et aussi d’art, pour se faire mémoire fragile mais belle et bien fidèle de notre humanité ? Cette Aqua Terra est un vrai bonheur à partager, nourrie d’une noble et généreuse narration qui à travers la sculpture de céramique contemporaine (si l’on excepte l’unique et formidable vidéo présentée en ouverture) nous questionne avec beaucoup d’humour et de fantaisie sur notre rapport incontournable à l’eau qui recouvre plus de 70 % de la planète. Elle est aussi et surtout heureuse découverte ou redécouverte de cette nouvelle scène d’artistes contemporains qui s’empare enfin aujourd’hui de la céramique comme on le fait depuis toujours de la pierre, du bois, du bronze… afin de hisser ce médium au rang des beaux-arts.
Aussi est-il urgent de passer cet été par l’Alsace pour plonger avec bonheur dans les eaux de cette planète bleue, et découvrir un parcours de céramique inédit dans une mise en scène aussi intelligente que réjouissante !

Kartini Thomas, Tentaculaire II. ©Photo Steeve Constanty

Artistes invités> Jeanne Andrieu (FR) – Agathe Brahami-Ferron (FR) -Mélanie Broglio (FR) – Mathilde Cochepin (FR) – Rose-Marie Crespin (FR) – Johan Creten (BE) – Cordina & Mérovée Dubois (FR) – Alexandra Engelfriet (NL) – Cécile Fouillade (FR) – Jean-François Fouilhoux (FR) – Sébastien Gouju (FR) – Elsa Guillaume (FR) – Leïla Helmstetter (FR) – Marie Heughebaert (FR) – Safia Hijos (FR) – Romuald Jandolo (FR) – Alexandre et Florentine – Lamarche-Ovize (FR) – Claire Lindner (FR) – Cat Loray (FR) – Weronika Lucinska (PL) – Petra Marianne Meier (FR) – Aline Morvan (FR) – Le Palais du Corbeau (FR) – Lisa Pelisson (FR) – Muriel Persil (FR) – Clément Petibon (FR) – Sarah Pschorn (AL) – Grégoire Scalabre (FR) – Aline Schmitt (FR) – Kartini Thomas (US) – Félicien Umbreit (BE) – Bénédicte Vallet (FR)

Contact> Aqua Terra, du 20 avril au 22 septembre 2024, à la Fondation François Schneider, Wattwiller. Commissaire de l’exposition : Sarah Guilain, responsable des projets artistiques et de la collection de la Fondation.

Image d’ouverture> Félicien Umbreit, La mer : la liberté, 2021. ©Collection Fondation Boghossian. Photo Steeve Constanty