Prune Nourry, la guérison par la création

Depuis 2016, le Bon Marché invite des artistes contemporains à investir le 24 Sèvres lors d’une carte blanche. Les clients ont pu ainsi déambuler autour des animaux fantastiques d’Ai Weiwei, de la pluie de fleurs d’Oki Sato, de l’immense toile tissée par Chiharu Shiota, des valkyries de Joana Vasconcelos, ou encore des nuages oniriques de Leandro Erlich. Pour cette nouvelle édition, Prune Nourry déploie L’Amazone érogène, un ensemble de sculptures en bois faisant écho à son cancer du sein. Visible jusqu’au 21 février, l’installation de la plasticienne française suit le visiteur dans les différents espaces du magasin, des vitrines à l’atrium en passant par l’escalator central.

A quelques jours de Noël, les trottoirs autour des grands magasins étaient saturés de clients prêts à faire une heure de queue pour quelques emplettes. Masqués, plus ou moins sagement contenus, ils n’hésitaient pas une fois entrés à braver la fameuse distanciation sociale pour acheter. Devant ce spectacle quasi surréaliste en période de crise sanitaire, comment ne pas penser aux lieux de culture qui eux n’avaient et n’ont toujours pas rouverts. On rêve alors que la culture devienne un bien de consommation comme un autre et que l’art, le théâtre, la danse, la musique… soient déclarés essentiels au même titre qu’un objet manufacturé ou un saucisson des alpages ! Alors même que certaines grandes enseignes ont depuis des années entamé ce rapprochement, au point d’être parfois jugées sévèrement, leur initiative apparaît désormais autrement, posant la question d’une possible transformation du client en visiteur dans un temps qui serait identique et dans un objectif qui ne serait pas exclusivement commercial. J’entends d’ici les cris d’orfraie jaillir d’une certaine foule. La culture ne se consomme pas ! Pourtant, je suis très heureuse que les galeries ne soient pas considérées comme des commerces différents des autres. Vous l’aurez compris, le paradoxe est pluriel et il n’existe pas qu’au sein des décisions politiques. Pour le moment, nous n’avons pas encore collectivement réussi à faire que la culture soit considérée comme une nourriture non pas seulement de l’esprit mais de l’être tout entier. Le travail est immense et cette crise nous le montre. MLD

Prune Nourry, 2020. ©Le Bon Marché Rive Gauche

Alors qu’elle n’est âgée que de 31 ans, Prune Nourry découvre qu’elle est atteinte d’un cancer du sein. A cette annonce, l’artiste décide de prendre sa caméra à témoin et de documenter son parcours vers la guérison. De cette documentation, naît son premier long-métrage, Serendipity, en 2019. La même année, la plasticienne investit l’espace de la galerie Templon avec Catharisis, un ensemble de nouvelles sculptures en dialogue avec des extraits de son film. De ces travaux antérieurs, germe L’Amazone érogène, suivant avec pudeur le fil tiré par Prune Nourry entre son travail d’artiste et son combat contre la maladie.

La proposition débute avant même de pousser les portes du 24 Sèvres. Dans les vitrines, pas moins de 1800 flèches en bois forment des motifs géométriques inspirés du minimalisme américain – Prune Nourry vit et travaille à New York depuis dix ans – à la Frank Stella. Celles-ci partent de la première vitrine, dans laquelle est présenté un arc, et se dirigent toutes vers leur cible. Un sein disposé en fin de parcours. Afin d’aborder au mieux l’exposition, il vous faudra emprunter « L’entrée sur l’art contemporain », située à l’angle des rues du Bac et de Babylone, où une vidéo expliquant la genèse et la réalisation du projet ainsi que des extraits de Serendipity sont diffusés. Au cœur de l’établissement, sous les verrières, un arc de cinq mètres de haut, sculpté entièrement en bois de hêtre accompagne une flèche de près de trois mètres et une corde d’arc. En face, une cible en forme de sein de quatre mètres de diamètre est visée par 888 flèches habillées de plumes blanches. Le choix de l’arc, instrument de guerre, est équivoque. Dans la mythologie, les Amazones coupaient leur sein droit afin d’être de meilleures archères. Lors de son traitement, l’artiste a subi une ablation du sien. Dans une interview publiée par Numéro, le magazine du Bon Marché, Prune Nourry se souvient : « Au moment de ma chimiothérapie, j’ai dû couper ma natte qui pour moi était un symbole, et mon amie Agnès Varda m’a dit : “Moi, j’ai coupé ma natte à 18 ans pour passer de jeune fille à femme, et c’est un rituel que j’aimerais faire avec toi.”Lorsqu’on coupait ma natte, j’ai mis un drap blanc : devant ce tissu, le sein à l’air et la natte coupée, Agnès m’a dit que je ressemblais à une Amazone. » La sculpture est polysémique, autorisant donc plusieurs lectures. Si certains voient dans les flèches les rayons d’une chimiothérapie au pouvoir guérissant, d’autres y voient la maladie qui attaque, ou encore se racontent une version plus personnelle en imaginant des spermatozoïdes cherchant à féconder un ovule. Si l’artiste transforme ses maux en matière, l’utilisation du bois ne doit rien au hasard. La sculptrice utilise un matériau organique, vivant, qui lorsqu’on le coupe révèle des lignes concentriques aussi lisibles que des cicatrices. Le processus créatif participerait alors à une cicatrisation pour la plasticienne.

Le parcours artistique de Prune Nourry entre en résonnance avec son parcours de reconstruction. Un parcours à la fois personnel mais aussi universel : près d’une femme sur huit développe un cancer du sein au cours de sa vie. En se réappropriant sa féminité, la plasticienne fournit également un travail de transmission et de bienveillance. En plaçant l’œuvre dans l’espace public, elle l’offre à toutes les femmes qui peuvent à leur tour se l’approprier. « Mon amazone, ce qui te gêne, ton cœur blessé, ta cicatrice, ne changent rien à ce que j’aime », chante -M- dans une chanson inédite qu’il a composé et interprété avec Ibeyi, et co-écrite par Prune Nourry et Daniel Pennac à l’occasion de l’installation. Ode à la féminité, sensuelle et puissante, la proposition de Prune Nourry guérit les maux du cœur et soulage les femmes des normes qui pèsent sur leur corps.

Pour mieux comprendre cette œuvre, des visites commentées auront lieu les 24 et 30 janvier, ainsi que les 6, 14 et 21 février. Un catalogue d’exposition est aussi édité aux Editions Zeug, avec la complicité de Daniel Pennac. Il se trouve en exclusivité au Bon Marché Rive Gauche. Pour les enfants de 6 à 10 ans, des visites suivies d’un atelier artistique auront lieu les 24 et 30 janvier, ainsi que le 6 février.

L’Amazone Érogène, projet pour les verrières centrales, 2020. ©L. Léonard, G. Drossart, Prune Nourry, Studio 1
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L’Amazone érogène, jusqu’au 21 février au Bon Marché Rive Gauche, Paris.

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Image d’ouverture : vue de l’exposition L’Amazone érogène, Prune Nourry, 2020. ©Prune Nourry et le Bon Marché Rive Gauche