Pour ses 120 ans, la Fondation La Ruche-Seydoux fait peau neuve

Pour célébrer ses 120 ans, la Fondation La Ruche-Seydoux fait peau neuve, sous la direction de Jérôme Clément, avec la rénovation de son bâtiment Fernand Léger et une bâche de 25 m2, retraçant l’histoire de l’institution, depuis sa création en 1903 par Alfred Boucher. Poursuivant sa volonté d’accueil du public, La Ruche abrite une exposition par mois (voir l’agenda en fin d’article), et propose le 13 juin, au cœur de ses jardins, une projection de films autour de l’œuvre Le Ballet Mécanique, de Fernand Léger, en partenariat avec Light Cone, association de sauvegarde et de promotion du cinéma expérimental. La Fondation accueillera également le public lors des prochaines Journées européennes du patrimoine, les 17 et 18 septembre prochains. Attiré par ce lieu de légende et par son joli programme, ArtsHebdoMédias a visité cette cité d’artistes à deux pas de Montparnasse. L’occasion de s’entretenir avec son président Jérôme Clément, et deux « historiques » de La Ruche, Ernest Pignon-Ernest, l’un des pères de l’art urbain, et Philippe Lagautrière, peintre-illustrateur auteur de la bâche.

Rotonde vue des échafaudages du bâtiment Fernand Léger. ©Fondation La Ruche-Seydoux

Jérôme Clément : « Nous comptons ouvrir de nouveaux ateliers »

ArtsHebdoMédias. – Vous êtes le président de la Fondation La Ruche-Seydoux depuis 2020, dans quel contexte êtes-vous arrivé et quels étaient les défis à relever ?

Jérôme Clément à La Ruche. ©Alexandra Boucherifi

Jérôme Clément. – Je suis arrivé suite au décès de Michel Euvrard, le précédent président, et après une vacance d’une année du poste. Je connaissais La Ruche mais pas l’ensemble des difficultés rencontrées par le lieu, même si je savais qu’il y aurait des travaux. Ma priorité était de trouver des solutions pour financer et engager la réfection du bâtiment Fernand Léger, un bâtiment très important mais avec divers problèmes d’entretien, de conservation, de sécurité… Après la gestion des travaux, la priorité a été de doter la Fondation d’une structure de gestion efficace, notamment en revoyant les statuts pour les adaptés aux réalités administratives d’aujourd’hui.

Les travaux ne concernent pas seulement le bâtiment Fernand Léger.

Effectivement, d’autres structures sont concernées. La rotonde est en bon état – elle a été refaite il y a quelques années – mais certains bâtiments et ateliers sont à restaurer. Une fois les conclusions de l’architecte examinées, il faudra chiffrer les travaux et les faire voter par le conseil d’administration. Nous sommes en train de mettre en place un plan décennal. Ce dernier nécessite de penser à l’échelonnement des travaux au cours des dix prochaines années, en fonction de l’argent dont nous disposons, et cela suppose de trouver des mécènes et d’obtenir des subventions.

Comment se passe l’arrivée de nouveaux artistes ?

C’est le conseil d’administration qui les choisit. Ils sont généralement proposés par les administrateurs, la Ville ou l’Etat. La vocation de La Ruche est d’accueillir des artistes contemporains. Nous venons de passer un accord avec la Fondation Emerige de façon à ce que le lauréat de leur Prix, attribué chaque année, puisse venir travailler ici.  En 2022, il s’agit d’Hugo Capron, qui prépare une exposition à la galerie Semiose, en juillet prochain. Nous comptons développer ce type de partenariat avec d’autres structures de l’art contemporain. N’oublions pas, par ailleurs, que nous accueillons traditionnellement des artistes immigrés en difficulté dans leur pays. Je pense aux Ukrainiens, évidemment, et avant eux aux Afghans.

Comment allez-vous traduire la vocation humaniste de La Ruche dont vous dites qu’elle fait partie de son ADN ?

Nous nous mettons en contact avec les associations, les mairies, pour savoir quels artistes nous pourrions accueillir. Il faut bien sûr s’assurer aussi de la qualité de leur travail. Pour l’instant, nous sommes un peu bloqués du fait des travaux mais par la suite nous ouvrirons de nouveaux ateliers. À ce moment-là, nous serons en mesure de développer notre politique d’attribution.

La fondation abrite combien d’artistes et quelles disciplines ?

Environ une cinquantaine d’artistes. En raison des travaux, les ateliers sont moins nombreux et quelques-uns vont être supprimés à la faveur de modifications structurelles qui apporteront un confort supplémentaire, comme l’installation d’ascenseurs. La Ruche abrite des peintres, des dessinateurs, des sculpteurs. Il y a également une tradition d’accueil des céramistes. Nous avons aussi des photographes et des vidéastes. Et puis, d’autres disciplines artistiques ont été représentées comme la mise en scène, avec Klaus Michael Grüber, ou la littérature, avec Blaise Cendrars et Apollinaire. Mais cela reste exceptionnel dans la mesure où ce n’est pas la vocation première de la Fondation. Actuellement, nous accueillons Tahar Ben Jelloun, à la fois écrivain et plasticien. La Ruche est très ouverte et les disciplines présentes changent en fonction des périodes, des talents et des demandes.

Comment la Fondation s’ouvre-t-elle au public ?

Outre la galerie accessible au public, les ateliers peuvent être visités sur demande uniquement car les artistes y travaillent. De plus, lors des Journées du patrimoine, le public peut désormais durant deux jours visiter La Ruche. C’est une nouveauté que j’ai initiée.

Entrée de La Ruche. ©Photo Alexandra Boucherifi

Ernest Pignon-Ernest : « Il nous faut maintenir la dimension d’accueil et d’échange de La Ruche »

ArtsHebdoMédias. – Quand êtes-vous arrivé à La Ruche et dans quel contexte ?

Ernest Pignon-Ernest. ©DR

Ernest Pignon-Ernest. – Je suis arrivé en 1973. Deux ans plus tôt, j’avais fait un travail sur la Commune de Paris pour son centenaire, en collant des dessins à travers la capitale et notamment au Sacré-Cœur. Si aujourd’hui, nous sommes habitués à voir des œuvres dans les rues, à l’époque cette pratique n’existait que peu, on me dit souvent que je suis le premier à avoir fait ce genre d’intervention urbaine. A l’époque, les instigateurs du salon de la jeune peinture avaient été intéressés par ma démarche et m’y ont invité. Nombre de ces artistes étaient à La Ruche, comme Francis Biras et Eduardo Arroyo. À ce moment-là, La Ruche sortait d’une période de menace de destruction, certains ateliers avaient été désertés par des artistes persuadés que le bâtiment allait être détruit. Il y avait des voitures rouillées dans le jardin, des clochards dans les escaliers, tout était un peu à l’abandon. Ceux qui étaient encore présents, notamment Biras, cherchaient à intégrer des nouveaux un peu militants. Sont alors arrivés des artistes qui avaient une audience dans la profession, comme Lucio Fanti, Jean-Paul Chambaz et Nicky Rieti. Dès ma première visite, j’ai trouvé l’endroit très agréable et très dynamique. Alors quand on m’a proposé un atelier, j’ai accepté. Il y avait aussi une communauté d’artistes italiens dont faisaient partie notamment Lino Melano et Luigi Guardigli. La Ruche a eu comme ça des périodes très riches.

Vive en compagnie d’artistes avec des pratiques différentes et d’origines variées, est-ce que cela a nourri votre création ?

Oui, sûrement ! Je ne pourrais pas dire comment explicitement, mais c’est certain. Ma voisine de droite est iranienne, celle de gauche est grecque, au-dessus, il y a une artiste kurde d’Irak. Cet environnement de recherches, de sensibilités, de cultures différentes, constitue un enrichissement. Et puis, si j’ai travaillé au Chili c’est parce qu’un temps nous avons accueilli des artistes chiliens.

Comment La Ruche a-t-elle évolué ces dernières années ?

Elle est mieux gérée qu’à l’époque de mon arrivée. Depuis une bonne vingtaine d’années, il faut déposer un dossier pour entrer et montrer un vrai souci de recherche et d’invention. Nous accueillons des artistes qui ont déjà un parcours et s’impliquent. Depuis quatre ans, nous avons décidé d’ouvrir un lieu d’exposition au sein même de La Ruche et géré par les artistes eux-mêmes. Avant la création de la galerie Alfred Boucher, certains ne se côtoyaient pas beaucoup. Chaque mois, deux artistes de La Ruche invitent deux artistes extérieurs. Ce qui amène de nouveaux visiteurs. Le lieu vit plus. Pour autant, nous gardons tous à l’esprit la charge mémorielle de l’endroit où sont passés Soutine, Chagall et Léger. De la même façon que le rayonnement de La Ruche a pu venir de la mosaïque, nous avons eu, il y a une dizaine d’années, l’un des plus grands dramaturges contemporains, Klaus Michael Grüber. À ce moment-là, Jean-Paul Chambaz a réalisé tous les décors de Jean-Pierre Vincent (metteur en scène, NDLR), Titina Maselli ceux de Bernard Sobel. Nicky Rieti, grand scénographe, vit ici également. Et sans vouloir me citer (rires), j’ai moi-même réalisé une scénographie du Bolchoï, à Moscou, il y a trois ans. Les artistes de La Ruche ont un rayonnement international.

Quelques anecdotes ?

La présence de Titina Maselli était formidable. Un jour, elle me demande si son amie peut passer un appel en Italie… C’était Monica Vitti ! Une autre fois, c’était Laura Betti. J’ai aussi vu sur mon palier Alberto Moravia. J’ai vraiment fait des rencontres exceptionnelles ayant déclenché de fabuleuses expériences à l’étranger. En ce moment, j’ai pour voisins un Cubain, une Coréenne, deux Grecs, une Iranienne. Quelle diversité culturelle extraordinaire. Je vois des pratiques très différentes comme celle de l’artiste coréenne qui travaille le riz, le fil blanc, des choses minimales, très tendues avec une dimension spirituelle. Il y a quelques semaines, Adonis, un des plus grands poètes contemporains syriens, était là. Autant de rencontres exceptionnelles qui ne peuvent que nous enrichir.

Quel futur pour La Ruche ?

Récemment, nous avons décidé que chaque année, le lauréat du Prix Emerige sera accueilli en résidence. Un dynamisme nécessaire. En ce moment, nous sommes en travaux mais après rénovation, nous pourrons attribuer au moins entre cinq et dix ateliers nouveaux. Nous accueillons en ce moment un excellent dessinateur syrien et j’espère que nous accueillerons des artistes Ukrainiens, ainsi que d’autres venus d’univers très différents et en difficulté. Souvenons-nous de la première vague d’artistes accueillis à La Ruche, Soutine, Chagall et d’autres, des artistes fuyant les pogromes. Il nous faut maintenir cette dimension d’accueil et d’échange.

Pourquoi avoir fait appel à Jérôme Clément ?

C’était une évidence. Pour les gens de ma génération, la création de la chaîne ARTE a été essentielle. Jérôme Clément, son fondateur, est une référence dans la vie culturelle française et à plus d’un titre. Il a été administrateur du Théâtre national du Châtelet et il a dirigé la Fondation Alliances Françaises. C’est aussi un collectionneur qui s’intéresse au dessin et à la peinture. Il nous fallait quelqu’un capable de gérer un projet à plusieurs millions d’euros de travaux. Jérôme Clément, auteur de plusieurs ouvrages sur la culture, conjugue parfaitement la dimension culturelle et administrative.

Vous avez choisi Philippe Lagautrière pour réaliser la bâche posée sur l’échafaudage.

Là aussi, une évidence. Nous souhaitions une image lisible avec une qualité plastique particulière que nécessite une bâche. Nous n’allions pas aller vers quelque chose d’abstrait ou de minimaliste. Il fallait un artiste travaillant sur des images et Lago avait réalisé un portfolio sur La Ruche. Philippe Lagautrière est dans l’atelier qu’occupait Chagall, c’est fort symboliquement. Nous avons tous pensé que son travail était le meilleur pour représenter le lieu. Il n’a d’ailleurs pas repris son portfolio mais a réalisé une vraie création pour l’occasion.

©Photo Alexandra Boucherifi

Quelques mots de Philippe Lagautrière

« Je suis installé à La Ruche depuis trente ans, cet endroit fait partie de mon ADN. Je vis et travaille dans l’ancien atelier de Marc Chagall et l’histoire de cet endroit me passionne. Lors du centenaire de La Ruche, en 2003, j’ai réalisé un portfolio d’images sérigraphiées. Ce portfolio a été partagé dans les Alliances Françaises du monde pour faire connaitre La Ruche au public étranger. Sur la bâche, je relate l’histoire du lieu en trois parties : côté rue, on découvre sa construction par Alfred Boucher et son neveu au début du XXe siècle, à la suite de l’Exposition universelle de 1900, et après avoir récupéré le pavillon des vins de Bordeaux de Gustave Eiffel. La partie centrale est un hommage aux figures illustres ayant séjourné ici comme Chagall ou Rebeyrolle. Sur la troisième, Alfred Boucher sur son nuage contemple les artistes actuels depuis l’au-delà. »

Agenda> 13 juin : projection dans les jardins de La Ruche de films autour de l’œuvre Le Ballet Mécanique de Fernand Léger, en partenariat avec l’association Light Cone. | Du 16 au 26 juin : Dialogues, exposition d’Ianna Andréadis et Manolis Charos. | Du 6 au 14 juillet : exposition Adeline André, Istvan Dohar, Nathalie Brevet et Hughes Rochette. | Les 17-18 septembre : exposition collective des artistes résidents pour Les journées européennes du patrimoine sur le thème « Patrimoine durable ».

Contact> Fondation La Ruche-Seydoux, 2 passage de Dantzig, 75015 Paris.

Image d’ouverture> Bâche de Philippe Lagautrière sur échafaudages du bâtiment Fernand Léger. ©Fondation La Ruche-Seydoux

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